Quel bilan faire des 20 mois passés par Vincent Peillon rue de Grenelle ? Peut-on susciter autant d’oppositions, aussi diverses, et être un grand ministre de l’Education nationale ? La question ne doit pas surprendre Vincent Peillon qui sait à quel point Jules Ferry, le saint laïc d’aujourd’hui, a été combattu. En 20 mois d’exercice, Vincent Peillon a lancé un esprit nouveau rue de Grenelle et une véritable refondation de l’éducation nationale. Le chantier est interrompu par François Hollande. L’Ecole a-t-elle manqué son ultime chance de renouveau ?
Quand on évoque Vincent Peillon dans les salles des professeurs on rencontre souvent de l’amertume, dans les écoles, et de l’indifférence, dans les collèges et lycées. Au primaire comme au secondaire, les enseignants attendaient une nouvelle donne dans l’administration du système éducatif. Or il se heurtent à un encadrement qui continue à gérer comme sous Darcos. Dans le secondaire, les professeurs attendaient l’arrivée immédiate d’enseignants après la promesse des 54 000 postes. Or il faut maintenant deux années pour former les nouveaux enseignants et l’essentiel des 23 000 recrutements est absorbé par la formation. Pour le moment rien ne change dans les établissements et même la situation se tend du fait d’une croissance démographique imprévue. Même erreur de timing à l’école. Après des années de frustrations, les enseignants attendaient d’abord de nouveaux programmes qui puissent redonner du plaisir à enseigner. Or ils ne seront pas prêts avant 2015. Par contre V. Peillon a lancé immédiatement la réforme des rythmes scolaires. Longuement négociée avant 2012 aussi bien avec les municipalités que les syndicats, il a pu croire qu’elle était acquise. Venant avant la revalorisation salariale, elle a été vécue par les enseignants comme une « double peine ». La dimension positive sur le plan scolaire s’est perdue dans la question du périscolaire où l’Etat n’aurait jamais du mettre le doigt. Les revirements syndicaux, les interventions de Matignon et de l’opposition ont encore accru la crise en la prolongeant.
Pourtant, aucun des ministres de l’éducation nationale de la 5ème République n’a été aussi proche des enseignants que Vincent Peillon. Chaque entretien avec lui a confirmé ce constat. Ancien professeur du secondaire, ayant enseigné en école normale d’instituteurs, il se souvient des émotions de la classe. Il connait les repères des enseignants et parle directement leur langage. Il se distingue de tous les derniers ministres de l’éducation nationale par son respect et son projet pour l’Ecole et les enseignants.
L’oeuvre réalisée en 20 mois par Vincent Peillon est sans commune mesure. Une véritable refondation de l’Ecole a été délibérément construite avec une loi d’orientation, négociée avec habileté devant le Parlement, qui assigne à l’Ecole de nouveaux objectifs et réorganise son fonctionnement avec de nouveaux conseils. Après des années de destruction de postes d’enseignants, V. Peillon a entrepris un recrutement massif. Sur les 54 000 postes promis, 23 000 professeurs ont été recrutés en moins de deux ans. V. Peillon a jeté les fondations du renouveau en relançant la formation initiale des professeurs, à la fois professionnelle et académique, avec les Espé. Le diagnostic porté sur l’Ecole a amené le ministre à donner la priorité au primaire. Ce n’est pas une simple formule. L’école française est caractérisée par l’entassement des heures de cours sur 4 journées de classe interminables. La réforme des rythmes scolaires corrige cela en donnant aux élèves une 9ème demi-journée et en diminuant la durée des journées de classe. L’inégalité entre enseignants du primaire et du secondaire est corrigée avec la création de l’ISAE, la seule revalorisation que les enseignants aient connue depuis plus d’un quinquennat. Devant le poids des inégalités sociales dans la réussite scolaire, le ministre a entrepris une réforme de l’éducation prioritaire. Il donne aux enseignants des Rep+ une décharge significative permettant un travail en équipe. En même temps il double leur prime annuelle. De nouveaux programmes scolaires sont commandés à un Conseil identifié et indépendant.
Plus encore, on doit à Vincent Peillon un changement complet du discours de l’institution. Après des années de mépris pour les enseignants (qu’on se rappelle les « couches » de Darcos) et de dénigrement du métier aboutissant à la suppression d’une formation jugée inutile, Vincent Peillon a remis la pédagogie et les sciences de l’éducation à l’honneur. Elles sont un élément important de la nouvelle formation des enseignants. On est revenu à une approche des problèmes de l’Ecole dans les termes que l’on connait dans les autres pays, basée sur ce que dit la recherche. Après les évaluations bidons crées sous Darcos pour conforter les discours ministériels, V. Peillon a considéré les évaluations internationales et installé un Conseil de l’évaluation indépendant chargé d’aiguillonner le système éducatif. Le saut qualitatif à l’intérieur de l’institution est énorme. Il se traduit aussi dans la reconnaissance du métier d’enseignant.
Le départ de Vincent Peillon nous laisse responsables face aux questions de la refondation. Peut-on redresser économiquement le pays quand on fabrique chaque année, et depuis tant d’années, 150 000 jeunes sans qualification ? Est-il acceptable que notre pays soit le pays développé où les inégalités sociales pèsent le plus sur les résultats scolaires ? Peut-on se satisfaire d’un creusement des inégalités sociales par un échec scolaire massif ? Va-t-on se satisfaire d’inégalités entre établissements de plus en plus grandes ? D’une discrimination ethnique et sociale de plus en plus visible dans l’Ecole ? Devant l’Histoire, Vincent Peillon sera-t-il le ministre qui a tenté ou celui qui a réussi à sauver l’Ecole de la République ?
François Jarraud
Sur le site du Café
|