Au lendemain d’un remaniement qui a vu le départ de Vincent Peillon, l’AFAE tenait son colloque autour de la question « Peut-on réformer l’école ?» le 5 avril. Posée par les acteurs au cœur du système éducatif, on sentait à Versailles, l’hésitation entre une réponse à chercher en dehors de ces personnels de direction, ou à l’inverse dans leur propre responsabilité… Peut-on réformer l’école? Le thème du XXXVIe Colloque National de l’AFAE, pouvait difficilement mieux tomber. Changement de Ministre, questions autour de la refondation où de la réforme des rythmes… les résistances ou les erreurs de méthodes animaient tables rondes et ateliers. Le A de l’AFAE devenu l’Association Française non plus des Administrateurs mais des Acteurs de l’Education porte ce volontarisme des débats. Qu’il soit possible de répondre « non » à la question hantait les échanges.
Une première intervention de Christine Musselin, sociologue des organisations ouvrait quelques pistes à partir de le Réforme de la gouvernance universitaire. Une des difficultés du champ éducatif, dans le supérieur, comme dans les EPLE, c’est ce qui est balisé comme « loose coopling » : il n’y a pas de nécessité à collaborer. Cet isolement des équipes de recherche ou des enseignants est un frein majeur aux réformes. C’est donc paradoxalement, moins des modifications de gouvernance interne, que de la mise en place de dispositif extérieur à l’université que sont venus les changements. La dynamique d’appel à projets suscitée par l’ANR, le Grand Emprunts… a enclenché coopérations, communication sur les projets, acceptation d’évaluations externes dans les Universités… Par des questions de la salle, une transposition pour les collèges et lycées serait-elle possible ? Appels à projets que lancent déjà les collectivités auprès des EPLE : qu’est ce qui peut faire bouger les établissements, si ce n’est les collectivités locales. Pour renforcer cette possibilité d’échange plus régulier, entre Collectivités et Académie ou EPLE, les ateliers évoquent le besoin de créer par exemples des Agence Régionale de L’Education.
Une vidéo d’introduction réalisée par le CRDP a laissé s’exprimer des griefs vis-à-vis du système : stress, rigidité, contre travailler par groupe, sortir des murs, accueillir des intervenants professionnels extérieurs… La vidéo exprimait une aspiration à une Ecole plus détendue, bienveillante… qui casse des cloisons, emploi du temps, les murs entre les classes. Une aspiration à de la considération entre les acteurs… contre la défiance… Daniel Auverlot, président de l’AFAE a rappelé que les mêmes commentaires étaient remontés de la consultation de 1998 : « En 16 ans ne sait-il rien passé ?» a-t-il interrogé pour ouvrir la 2e journée du colloque.
Frédéric Sawicki (Professeur de sciences politiques à Paris I) animait la table ronde du samedi 5 avril. Il a conduit à resserrer le propos tenant à distance les déceptions de réforme, celle des rythmes scolaires qui avait de nombreuses raisons de réussir… pour regarder au quotidien là où des déplacements se faisaient : « le changement au quotidien ». Isabelle Klepal, d’une expérience de Proviseur, a rappelé que beaucoup des questions posées aujourd’hui par les élèves, les parents, les enseignants avaient des leviers de réponses au sein même de l’établissement. Et pourtant. L’AFAE regroupe ces acteurs de l’encadrement, chefs d’établissement, corps d’inspections… qui ne suffisent pas à ce que ces perceptions changent. A qui la faute s’interrogeaient les ateliers comme autant de pistes pour nourrir la future équipe de la rue de Grenelle : programmes, horaires, examens ? corps d’inspection, vecteur de changement ? un prof, une heure, une discipline ? nouvelle gouvernance ? innover, expérimenter pour changer ? …
Henriette Zoughebi (Vice-présidente Education de la Région Ile de France) a rappelé, que si des évolutions apparaissaient, la collectivité reste sollicitée trop souvent comme simple « carte bleu ». Les partenariats sont faibles. Trop souvent l’Education Nationale se tourne vers les collectivités après coup (manuels pour la réforme des lycées, équipements pour les STI…). L’Education Nationale oublie le plus souvent la concertation en amont. Henriette Zoughebi a réaffirmé son attachement à une Education Nationale centralisée, jacobine, bien plus que des fantasmes de décentralisation excessive. Mais avec des partenariats forts avec les collectivités. Elle a esquissé une troisième voie. Ni hiérarchie pyramidale, ni décentralisation, mais développer une logique de réseaux horizontale, entre les élèves, entre les enseignants en intégrant la collectivité… Dans ce cadre, elle a rappelé les dotations de solidarité de la Région Ile de France pour abonder les crédits pédagogiques pour les établissements prioritaires. Des questions de la salle se demandaient si les appels à projets notamment ouverts parfois par les collectivités auprès des équipes pédagogiques ne pouvaient être le ferment de réforme des EPLE, extérieur à la stricte Education Nationale ?
L’intervention de la sociologue de l’éducation Anne Barrere a insisté sur le décalage pouvant devenir une opposition entre « réforme » et « changements ». La réforme n’est qu’un cas particulier de changement. Nombre de réformes n’aboutissent à aucun changement, quand nombres de changements adviennent sans qu’aucune réforme ne les ait provoqués ou même anticipés. Ainsi en est-il des changements introduits par la société numérique autour de l’école et dans les cartables. Des changements profonds sans réforme. Anne Barrere a également montré que nombre de ces réformes s’arrêtent aux portes de la classe… On réforme dans l’administration de l’Education Nationale, quand le cœur de la relation pédagogique de l’enseignant avec sa classe, dans un lieu contraint, dans un temps limité… remonte au XVIIe siècle. L’EPLE bouge, mais la classe et l’enseignement ne bougent pas. Il y a une rhétorique de la réforme alors que la classe ne change pas. Henriette Zoughebi a annoncé la mise en place d’un groupe de travail « architecture » sur les référentiels des bâtiments scolaires, mais aussi de la salle de classe comme pour faire écho à cette conviction que c’est autour de la classe que de l’accompagnement et du changement doit pouvoir intervenir.
Anne Barrère a également souligné une évolution du changement par projets au changement par dispositifs. Ce déplacement du « pourquoi changer » qui associe les acteurs au « comment changer » qui met en place des dispositifs « à cases », à procédures. L’attention administrative aux mises en œuvre vient tuer le pourquoi initial du projet. Mais à l’inverse Aurélie Llobet, chercheur associé IRISSO-Université Paris-Dauphine, a rappelé que la marge d’interprétation laissée aux acteurs génère parfois une forme d’incertitude qui ne les incite pas à se saisir des dispositifs possibles. Dans ce contexte d’incertitude seule la bonne volonté d’enseignants innovants se saisit des dispositifs. Les changements n’interviennent que lors qu’il y a une contrainte plus forte, des élèves, de la classe…
Jean Lombard
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