Par Jean-Michel Le Baut
Et si le numérique, en matière éducative permettait de déplacer, de brouiller, de franchir les frontières ? Au « Global Forum » qui se tenait du 11 au 14 mars à Barcelone, de nombreux enseignants innovants du monde entier explorent, partagent, réinventent leur imaginaire pédagogique. C’est notamment le cas de Florian Colombat.
Florian Colombat est professeur d’EPS au collège Le Guillon à Pont-de-Beauvoisin en Isère. L’an passé, deux nouveaux élèves y font leur rentrée en 3ème : Théo et Corentin, deux jumeaux atteints de myopathie lourde, qui se déplacent en fauteuils roulants, n’ont jamais suivi la moindre séance d’EPS, ont changé d’établissement à cause de problèmes d’intégration. Que faire ? Réagir comme la plupart en leur disant qu’ils ne peuvent pas faire d’EPS ou les accueillir en leur donnant un rôle qui ne soit pas que de faire-valoir ? Florian Colombat prend contact avec leurs parents pour leur transmettre ses intentions : voir les deux collégiens handicapés en cous d’EPS, les inclure dans le groupe-classe, ne pas les laisser à côté des autres, mais les mettre avec leurs camarades.
Pour mettre en œuvre cette intégration, il utilise des tablettes tactiles, dont il a déjà développé des usages variés dans ses cours d’EPS : l’attrait de la technologie, la légèreté, la mobilité sont des atouts précieux. Deux applications spécifiques sont créées : l’enseignant en a établi le cahier des charges, qu’il a soumis à des éditeurs de Chambéry (Génération 5). Par exemple, une application d’arbitrage (EPS Match&score) est utilisée par Théo et Corentin pour compter les points, évaluer les points bonus (comme, au badminton, les points marqués dans une zone spéciale) : « en arbitrant, au moins on participe au cours », témoignent-ils.
L’activité ne s’arrête pas là : Théo et Corentin photographient ou filment leurs camarades en action ; ils annotent ces captures (via Skitch) avec des conseils techniques ; ils mènent à l’extérieur des recherches sur les règlements, les tactiques, les gestes ; ils se font « coachs » en animant auprès de leurs pairs regroupements, analyses, discussions. L’élève handicapé, souligne Florian Colombat, devient personne-ressource et acquiert un rôle plus important que les élèves valides. Une auto-régulation entre pairs se met en place: le professeur n’est plus le seul dépositaire de la connaissance.
Enfin, grâce à la confiance acquise et à l’intégration-inclusion réussie, Théo et Corentin ont moins d’appréhension pour pratiquer eux-mêmes une activité sportive. D’abord la sarbacane : un outil léger, adapté à leurs ressources respiratoires. Puis la danse : cette fois ils sont définitivement non plus à côté des autres mais bien dans le groupe. Les deux activités sont évaluées pour le Diplôme National du Brevet, ce qui vient parachever l’intégration en l’institutionnalisant.
La dynamique d’intégration s’est même prolongée : dans d’autres matières, aussi par le regard changé de tous les élèves du collège, cette année par les efforts que déploient les profs d’EPS du lycée où Théo et Corentin poursuivent leur scolarité (achat de tablettes, de sarbacanes…). Finalement, grâce au numérique, se diffusent le plaisir de vivre ensemble, une autre vision du handicap, une conception vivifiante de la pédagogie : il ne faut plus regarder les élèves en termes d’inaptitudes, mais bien considérer leurs aptitudes pour pouvoir mieux les développer.
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