La popularité récente et grandissante des cartes heuristiques, cartes conceptuelles et autres mindmap en éducation, s’accompagne d’une multiplication assez impressionnante de solutions logicielles en ligne (ou non) pour aider à les élaborer ainsi que sur tablette, comme sur ordinateur. Individuelles, collectives, collaboratives, les cartes conceptuelles, les schémas heuristiques et autres cartes mentales s’imposent dans l’environnement de travail comme un élément de plus en plus indispensable au coté des traditionnels outils bureautiques. On trouve en ligne une très abondante littérature sur ces logiciels et sur leurs usages. Si certains découvrent ces logiciels, d’autres peuvent témoigner que voilà près de vingt années qu’ils sont dans le paysage informatique mais aussi dans le paysage scolaire. Malheureusement un aspect de ces schémas, à la base de leur popularité, fait travailler l’imaginaire : ils ressemblent à ce que l’on croit être un réseau de neurones. D’ailleurs certains zélateurs et promoteurs n’ont pas hésité à en faire un argument de vente, un peu à l’image de l’intelligence artificielle, collective ou encore réticulaire. Les analogies sont un moyen puissant de persuasion surtout lorsqu’elles rencontrent un imaginaire magique, comme celui du cerveau.
Ainsi, croit-on découvrir ces formes de représentations du travail intellectuel, et en fait-on une nouveauté ou une innovation. Bien avant l’aide des machines, la représentation schématique du réel, de l’observable, est une forme de travail mental qui s’impose, dès lors que l’on commence à travailler sur des problèmes complexes. A lire cette histoire déjà ancienne, il n’est pas étonnant que ces schématisations, aujourd’hui amplifiées par les possibilités informatiques, viennent à être utilisé dans le monde scolaire. Nous avons nous-mêmes rédigé en 1999 un article qui mettait en évidence cette possibilité et en avons donné plusieurs exemples d’utilisation en classe. Il nous faut donc tenter de faire un point sur la question de ces outils logiciels et intellectuels.
Tout d’abord il faut resituer les deux grandes formes de schématisation : la hiérarchique et la réticulaire. La hiérarchique se représente sous la forme d’arbre, on la nomme carte heuristique. La réticulaire se représente sous la forme d’un réseau composé de noeuds et de liens, on la nomme carte conceptuelle. Chacun pourra discuter des termes, des formes et des appellations, mais ces deux grandes catégories sont les plus génériques pour distinguer les deux types de représentation. D’un coté une structuration a priori permet immédiatement de situer entre eux les éléments signifiants que l’on veut inscrire sur la carte. D’un autre une liberté de structuration qui peut se faire, ou pas avec des liens, commentés ou non.
Quel est l’intérêt de ces deux modèles si on veut aider aux apprentissages ? Le premier modèle est structurant et donc impose une forme standard dans laquelle on va pouvoir systématiquement réduire la réalité observée. Certes les possibilités de l’informatique rendent ce modèle plus souple qu’il peut sembler au premier abord, mais le choix d’une structure arborescente a priori induit des comportements, des usages et donc des formes de représentation. Le deuxième modèle est beaucoup plus ouvert, mais demande à l’usager une capacité à structurer bien différente, et en particulier une capacité à faire des choix de structure, ce qui n’est jamais simple.
Et en classe alors ? Nombre d’enseignants se sont emparé de cette approche pour aider les élèves à comprendre. A la main, avec crayons de couleurs ou avec ordinateur, il y a une règle impérative qui s’impose : une carte prend son sens au moment de son élaboration. Autrement dit, ce n’est pas la peine de donner des cartes toutes faites, elles sont illisibles dès lors qu’elles dépassent quelques liens. Le premier conseil est donc de faire fabriquer les cartes par les élèves ou de les fabriquer avec eux. En d’autres termes, le processus de création est aussi, voire plus important, que le produit fini. On peut toutefois envisager des tâches de déconstruction, explicitation a postériori des cartes présentées. Cela est en particulier vrai pour les cartes réticulaires qui offrent de multiples possibilités de structuration et donc de processus de production.
Le grand intérêt de la démarche d’utilisation des cartes heuristiques et des cartes conceptuelles c’est de permettre aux élèves de passer du perçu à la structure. Face à un texte, le premier travail sera un travail d’identification d’un plan, ou encore de grandes thématiques. Face à une image, fixe ou animée, on pourra exploiter la carte pour exprimer la signification multiple contenue dans ces supports. On pourra dans la suite utiliser ces outils pour faire élaborer des textes, des scénarios, des montages complexes. Car au final, la cartographie est toujours une simplification caractérisante de la réalité observée et à ce titre permet de la rendre plus accessible en la décomposant en parties indépendantes mais reliées.
Pour tous ceux qui veulent faire entrer les élèves dans le travail d’analyse systémique la carte conceptuelle va s’avérer un outil puissant de réflexion. Que ce soit l’analyse d’un contexte, d’un film, d’un évènement etc. analyser un fait complexe sera facilité par le passage par la mise en carte. Mais cette mise en carte n’est rien d’autre qu’un travail de remise en mots, surtout lorsque les cartes utilisent des liens commentés qui ajoutent à la relation entre deux termes le sens même de cette relation en la nommant explicitement. Plusieurs travaux scientifiques ont montré l’intérêt de ces outils (Josiane Basque, Daniel Perraya), il convient donc de dépasser le coté magique de l’outil pour s’orienter vers un usage raisonné et pertinent de ces logiciels qui désormais pullulent sur le web et dans nos machines.
Bruno Devauchelle
Les chroniques numériques de B Devauchelle