« Dans ce temps de crise, la tentation du bouc émissaire peut revenir. L’extrême-droite instrumentalise le racisme et la peur de l’étranger. L’histoire nous a montré où ça conduit ». L’ombre de l’affaire Dieudonné, le climat laissé par la manifestation du Jour de colère pesaient le 3 février sur la cérémonie d’accueil des lycéens franciliens ayant participé au voyage à Auschwitz organisé par la Région Ile-de-France en lien avec le Mémorial de la Shoah. Henriette Zoughebi, vice -présidente en charge des lycées, Jacques Fredj, président du Mémorial, les lycéens et enseignants présents ont témoigné de l’intérêt du voyage à Auschwitz et de la nécessité de cet enseignement aujourd’hui en France.
500 lycéens à Auschwitz
Près de 500 lycéens et apprentis franciliens, venus de 24 lycées et de 5 CFA ont fait le voyage à Auschwitz cette année grâce à une subvention du Conseil régional et à l’action du Mémorial de la Shoah. Le voyage se situe dans une démarche d’ensemble proposé e aux professeurs d’histoire-géographie et aux élèves volontaires. Après une sélection sur lettre de motivation, les élèves préparent le voyage à Auschwitz par une visite du Mémorial et la rencontre avec une déportée. Ils réalisent après le voyage un panneau. Le 3 février le Conseil régional exposait l’ensemble des panneaux réalisés par les lycéens franciliens.
Peut-on enseigner la Shoah ?
Est-il encore possible d’enseigner la Shoah ? Si l’on en croit la presse les élèves réagiraient à un enseignement « trop présent ». Les professeurs ne pourraient plus faire cours dans les établissements de banlieue. Au lycée de La Ferté sous Jouarre, en grande banlieue francilienne, Eric Bimbi et Béatrice Alavoine n’ont jamais rencontré d’opposition à cet enseignement « pour autant que l’on reste sur le terrain historique ». « Quand on s’aventure sur l’émotionnel », raconte B Alavoine, « c’est plus compliqué ». 18 lycéens de première ont fait le voyage. Ils ont réalisé un panneau sur la rafle des juifs à La Ferté sous Jouarre.
Au CFA Garac d’Argenteuil, un centre de formation d’apprentis et lycée professionnel privé, Mme Lemaitre-Sausseau enseigne le français et l’histoire-géographie à des lycéens de maintenance de véhicules automobile. La classe ne compte que des garçons majeurs. « Le voyage à Auschwitz est une très bonne initiative », témoigne-t-elle. « Dans le contexte d’aujourd’hui ce travail contre l’antisémitisme est nécessaire. Et du point de vue cognitif, le fait d’aller sur place touche beaucoup les jeunes. Il n’y a pas que les mots. Ils voient les choses et on fait travailler des formes d’intelligence différente ». Pour elle c’est un enseignement difficile car il peut entrer en résonance avec des histoires familiales. Mais « c’est le programme et nous devons ouvrir les yeux aux élèves et développer leur esprit critique ». Ce qui a le plus marqué les élèves c’est la rencontre avec Dora Golan, une déportée, au Mémorial. « Ca a été un choc pour eux. Et quand on a visité Birkenau, un élève m’a dit : « on est devant le bloc 13, celui de Dora ». Les élèves ont finalement réalisé un panneau sur le camp de Birkenau.
Enseigner contre la montée de l’antisémitisme
« Pour nous ce qui est important c’est qu’à cette occasion se met en place une pédagogie citoyenne croisant mémoire et histoire », explique Henriette Zoughebi, vice-présidente du conseil régional en charge des lycées. « C’est important car cette horreur absolue, vous en porterez la mémoire… Certains nient la Shoah. Vos témoignages sont d’autant plus importants ». Emmanuel Maurel, vice président e charge de la formation professionnelle, rappelle que l’école est là « pour former des citoyens pas seulement des travailleurs ». Faisaint allusion à la manifestation du Jour de la colère, il souligne la nécessité du voyage à Auschwitz pour témoigner et opposer à la rumeur la vérité des faits. « On s’enfonce dans un climat nauséabond », estime Jacques Fredj, président du Mémorial. « On est préoccupé. Vous vous savez parce que vous avez été à Auschwitz. Vous pourrez vous opposer aux tentatives de manipulation ».
C’est la prière d’une déportée venue visiter l’exposition. « Je vois les jeunes au Mémorial. Je vois le résultat. Je vous demande d’être vigilant. Les juifs seront toujours des boucs émissaires. Mais faites que ça ne recommence pas pour une autre minorité ». A Paris, en 2014, on en est là….
François Jarraud
Mémorial : Voyages d’étude à Auschwitz avec l’aide du Conseil régional