« Le milieu scolaire est un cadre qui doit être particulièrement préservé ». Dans un communiqué publié le 23 décembre, le ministère de l’Education nationale réagit à la décision du Conseil d’Etat du 19 décembre en maintenant l’application de la circulaire Chatel de 2012. Les mères voilées ne devraient donc pas pouvoir accompagner les sorties scolaires. Une décision jugée inutile par le Snuipp, premier syndicat du primaire, et illégale par le Snpden, premier syndicat des chefs d’établissement.
La décision du ministère
Le Conseil d’Etat a rappelé que les usagers du service public et les tiers à ce service ne sont pas soumis en tant que tels à l’exigence de neutralité », explique le communiqué du ministère de l’éducation nationale. « Toutefois, il a admis que l’autorité compétente pouvait fixer des restrictions à la liberté de manifester leur appartenance ou leur croyance religieuse soit sur la base de textes particuliers, soit pour des considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service… Le milieu scolaire est un cadre qui doit être particulièrement préservé. Ainsi s’agissant des parents d’élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, ils doivent faire preuve de neutralité dans l’expression de leurs convictions, notamment religieuses. C’est ce qu’indique la circulaire du 27 mars 2012 dont l’application est mise en œuvre sur le terrain avec intelligence, en privilégiant toujours d’abord la voie du dialogue. Cette circulaire reste donc valable ».
La circulaire de 2012
La circulaire de 2012 précise qu »il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires ». La consultation du Conseil d’Etat initiée par le Défenseur des droits, un autre reliquat du sarkozisme, avait justement pour but de clarifier la situation juridique de cette circulaire.
Or le Conseil d’Etat n’a rien apporté de neuf à ce niveau. Si ce n’est le rappel de la loi : » les usagers du service public et les tiers à ce service ne sont pas soumis en tant que tels à l’exigence de neutralité » ce qui veut dire clairement que les directeurs ou chefs d’établissement n’ont aucun droit à imposer aux parents accompagnateurs, ou aux autres intervenants, une neutralité religieuse dans leur tenue. Cette obligation n’existe que pour les agents publics. La décision d’un directeur d’exclure un parent des sorties en raison de sa tenue vestimentaire est légalement contestable.
Un tournant droitier pour Vincent Peillon ?
A la rentrée 2013, Vincent Peillon a diffusé dans les établissements une « charte de la laïcité » sensée répondre aux difficultés rencontrées sur le terrain. A cette occasion, le ministre avait défendu une vision ouverte et intégratrice de la laïcité. » Plutôt qu’une arme et une défiance, voyons (la laïcité) comme un pacte de confiance où chacun d’entre nous accepte qu’il y ait un espace commun dans lequel nous devons réserver un certain nombre de nos opinions personnelles, et où en contrepartie personne ne doit être inquiété pour une opinion, une croyance ou une appartenance. La laïcité libère, mais elle garantit et protège aussi… La laïcité libère, elle n’opprime pas. La laïcité respecte, elle ne stigmatise pas. La laïcité pacifie, elle ne brutalise pas « . La décision d’écarter certains parents des sorties semble en contradiction avec cette vision. Elle met aussi en danger les directeurs. Ce sont les deux points de vue développés par les syndicats.
Le Snuipp préfère l’intégration
Pour le Snuipp, « très clairement, il est rappelé que les parents d’élèves quand ils sont collaborateurs du service public d’Éducation nationale ne sont pas soumis aux règles strictes des agents de ce service public ». Le premier syndicat du primaire enfonce le clou : « la circulaire de Luc Châtel ne peut donc être lue comme une interdiction systématique des mamans voilées lors des sorties scolaires ». Le Snuipp s’appuie sur les pratiques de terrain : » les pratiques enseignantes montrent qu’il est tout à fait possible à la fois de faire respecter les principes de laïcité en bannissant tout prosélytisme et de favoriser la participation de toutes les familles, partenaires indissociables de la réussite de leurs enfants. Il rappelle que l’école publique a pour mission l’intégration et pas la stigmatisation ni l’exclusion d’une partie de la communauté éducative ».
Le Snpden demande une loi
Pour le Snpden, les propos ministériels ajoutent à une confusion que seule une loi pourrait trancher. » Le conseil d’Etat estime qu’une circulaire ministérielle pas plus qu’un règlement intérieur n’ont à se substituer au législateur en matière de libertés publiques. Il estime donc que les collaborateurs temporaires et bénévoles du service public ne peuvent pas être soumis au principe de neutralité pour le motif formel qu’ils ne constituent pas une catégorie juridique. Le même avis souligne pourtant que les missions qui leur sont confiées relèvent du principe de neutralité mais que, en l’absence de loi, il passe par des « recommandations » abandonnées à l’appréciation des directions des établissements mises dans une situation qui rappelle celle qui prévalait avant 2004 pour les élèves ». Pour le Snpden, « si la circulaire s’applique toujours, elle ne constitue plus le point d’appui juridique suffisant dont ont besoin les directions d’établissements auxquelles ne peut être renvoyé le soin de résoudre des questions de libertés publiques relevant du législateur. Seule la loi évitera la multiplication de polémiques et de contentieux qui desservent le projet républicain ».
La décision ministérielle ne semble donc ni répondre à une demande du terrain, ni susceptible d’apporter une solution aux directeurs d’école qui cherchent à bien faire, particulièrement ceux qui cherchent à nouer des liens entre école et familles. Pour le ministre, elle semble surtout porter l’espoir de mettre fin à une campagne politique de l’opposition. Mais à quel prix ?
François Jarraud
L’avis du conseil d’Etat
http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/upload/c[…]
La décision ministérielle
http://www.education.gouv.fr/cid76045/etude-du-conseil-d-etat-realisee-[…]
Communiqué Snuipp
http://www.snuipp.fr/la-laicite-doit-favoriser-la
La circulaire de 2012
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=59726
A propos de la charte de la laïcité
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/09/09092013Art[…]
En EPS
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/09/09092013Arti[…]
La dernière recommandation de V Peillon à propos des accompagnatrices voilées s’ajoute à une longue série de décisions similaires de ses prédécesseurs. Or dans le contexte de l’Ecole française, ces instructions ministérielles sont particulièrement contre productives. L’expérience montre qu’elles pourraient avoir des suites dommageables. Elles vont exactement à l’opposé de la politique affichée par le ministère qui dit défendre une école juste, inclusive et vouloir lutter contre le décrochage.
Lancé et alimenté par la droite, le nouveau débat sur la laïcité empoisonne la vie scolaire depuis une dizaine d’années. Chaque échéance électorale rallume une mèche nauséabonde car le débat vise, chacun le sait, l’Islam. Rappelons-nous, pendant la dernière campagne des présidentielles, le « pacte républicain » diffusé par l’UMP qui ciblait précisément cette religion. « Alors que l’Europe sécularisée avait presque oublié la question religieuse, le développement de l’islam la remet à l’ordre du jour et rend nécessaires certaines clarifications parce que des valeurs essentielles de la République sont remises en cause… et que cela fragilise l’ensemble de la communauté nationale », écrivait l’UMP. Rappelons nous les propos de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre, à propos « des enfants de 6 ans qui refusent de manger du hachis Parmentier à la cantine sous prétexte que le boeuf n’a pas été égorgé comme il est prescrit rituellement »… Force est de constater que la loi de 2004 n’y a pas mis fin. La charte de la laïcité non plus.
Ces campagnes trouvent un appui formidable dans une histoire et une conception de l’Ecole. Après tout, l’école républicaine s’est construite sur la méfiance envers les parents. Elle a développé, et la société française à sa suite, une conception de l’intégration qui repose sur l’uniformité. Parents et élèves n’ont pas de droits réels dans une Ecole qui se veut une institution étanche au monde. Ses références chrétiennes lui semblent aller de soi. L’Ecole accueille et fait se développer des élèves sur des parcours homogènes. L’hétérogénéité comme la diversité lui posent problème. Enfin, l’Ecole a pu longtemps mettre de coté une proportion énorme d’élèves sans que cela pose de problème à la société qui ne voyait pas chez elle le principal moteur d’ascension sociale.
Aujourd’hui ce débat laïc ne pèserait pas si lourd si le contexte de l’Ecole française n’était devenu discriminatoire. Pisa vient de nous rappeler que l’Ecole française est particulièrement injuste socialement. La même enquête montre aussi qu’en France les résultats scolaires sont liés à l’origine ethnique. A condition sociale égale, on observe un fort écart (environ une année d’école) entre un jeune autochtone et un allochtone. Les travaux de G Felouzis ont mis en évidence les phénomènes discriminatoires dans le système éducatif. En 2004, il nous disait » On ne peut pas parler de xénophobie ou de racisme. Mais on observe en effet de la ségrégation au collège et certaines origines en sont plus victimes que d’autres : c’est plus net pour les personnes originaires du Maghreb, d’Afrique noire ou de Turquie. Peut-on parler de discrimination ? Oui et non. Oui car cela crée une situation sociale qui produit une identification de l’individu sur une base ethnique qu’il soit allochtone ou autochtone. Dans les collèges, on observe que ça incite à produire des identités centrées sur l’ethnicisation ». Ce ne sont évidemment pas les personnels qui créent cette situation. Mais l’organisation même de l’Ecole. Par exemple le fait que l’on trouve normal que la scolarité post bac des enfants des milieux favorisés coute 4 fois plus cher que celles des collégiens de Zep et 2 fois plus cher que le cout d’un étudiant… Cet « apartheid scolaire », pour reprendre la formule de G Felouzis, est devenu si banal qu’il ne suscite même plus de réactions lors des visites d’établissements, de lycées professionnels par exemple. Dans ce contexte, toute mesure qui cible une catégorie déjà discriminée accentue le sentiment de discrimination. Or c’est bien le cas des jeunes de tradition musulmane.
La mesure prise par V Peillon intervient aussi à un moment où l’Ecole semblait vouloir repartir sur de nouvelles bases. La loi d’orientation a rompu avec l’ancienne conception de l’Ecole en adoptant l’idée d’une école inclusive. C’est à dire non pas une Ecole où l’élève doit se fondre dans le moule pour être inclus mais une Ecole qui accepte la différance. En même temps, elle fait de la lutte contre l’échec et le décrochage scolaires des priorités absolues. Et c’est aussi ce que nous imposent les résultats de Pisa. Pour l’Ecole française, la scolarité des jeunes issus de l’immigration devrait devenir l’objectif principal.
Or on aurait tort de croire que les propos ministériels sont sans conséquences. En 2011, avant même l’écriture de la circulaire de 2012, après les déclarations de Luc Chatel soutenant une directrice qui avait interdit d’accompagnement des sorties des mères voilées, on avait vu les incidents se multiplier. Dans tel collège une mère portant un fichu à fleurs était interdite d’entrée. Dans tel autre des élèves portant une robe trop ample menacées d’exclusion. Pourtant Luc Chatel avait pris la précaution d’équilibrer sa décision avec la création d’un « conseil scientifique sur les discriminations à l’école », confié à François Héran, qui n’a pas laissé un grand souvenir..
Peut-on mettre un terme à la surenchère sur la laïcité en la récupérant ? C’est bien ce que fait V Peillon qui en tente une lecture de gauche en faisant inscrire dans la loi d’orientation l’enseignement de la morale laïque puis en publiant sa « charte de la laïcité ». La décision ministérielle de se rabattre sur les thèses sarkozistes de L. Chatel est-elle à même de clore le débat ou va-t-elle alimenter les fantasmes ? Elle interroge en tous cas sur les priorités éducatives du ministère. Faudrait-il un rééquilibrage ?
François Jarraud
Sur le site du Café
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