Attendu depuis des mois, le rapport sur « le traitement de la grande difficulté au cours de la scolarité obligatoire », rédigé par les inspecteurs généraux Jean-Pierre Delaubier et Gérard Saurat, demande la réorganisation des Rased au primaire et du collège dans le secondaire. Publié tardivement, il interfère avec les discussions menées en ce moment sur les métiers enseignants. Et encourage un retour à un pilotage renforcé des dispositifs d’aide.
Des besoins plus criants en France qu’ailleurs
Le rapport sur le traitement de la grande difficulté était d’autant plus attendu que les résultats de PISA ont souligné le pourcentage important d’élèves en difficulté en France. Les inspecteurs commencent par le rappeler. En France, 8% des élèves sont en dessous du niveau 1 en lecture, soit un taux nettement plus important que chez nos voisins (5% en Allemagne, 2% en Finlande). La France apparait comme un pays au taux anormalement élevé. Surtout ce taux a doublé depuis 2000. Et il semble que ce soit au collège que la dégradation soit la plus importante. Le rapport lui consacre donc une place particulièrement importante.
L’effort financier pour l’aide aux élèves en difficulté semble insuffisant. A l’école primaire comme au collège, le rapport montre des maîtres plutôt démunis face aux élèves « ne grande difficulté ». Les auteurs remarquent que les dispositifs d’aide (Rased, Segpa, classes relais etc.) représentent 17 000 emplois, soir un milliard. Le redoublement à peu près autant. Au total, deux milliards semblent assez peu pour soutenir un pourcentage d’élèves qui varie de 10 à 20%. D’autant que le redoublement est peu efficace : la moitié des crédits affectés ne semblent pas servir à grand chose.
Quel avenir pour les Rased ?
Les réseaux d’aide RASED font l’objet d’une analyse assez fouillée dans le rapport. Les auteurs relèvent l’effondrement des emplois depuis X Darcos : 5000 postes supprimés, particulièrement chez les rééducateurs (maîtres « G »). Pour les auteurs ceux-ci ont le « rôle le plus mal compris et le plus mal défini ». Le rapport critique leur mode d’intervention. » Le « processus rééducatif » tel qu’il reste organisé aujourd’hui est-il la meilleure réponse ? La prise en charge en petit groupe, une fois par semaine (dans la plupart des cas recensés), hors de la classe, peut être bénéfique et des enseignants expriment leur satisfaction. Mais, la lourdeur et le délai des préalables (demande écrite, conseil de cycle, examen par le RASED, etc.) et la distance avec la réalité de la classe (principe du retrait, périodicité, etc.) conduisent néanmoins à s’interroger sur l’efficience de ce mode d’intervention ». Les maîtres E n’échappent pas également aux critiques. » L’espace d’intervention du maître « E », son « champ d’expertise » s’est déplacé et s’est en partie réduit. Il se situe entre la responsabilité ordinaire de tout enseignant et les multiples spécialistes externes et internes qui aident à répondre aux besoins éducatifs particuliers. Il reste un généraliste dont la compétence a été approfondie dans une composante du métier d’enseignant, l’aide pédagogique ». Finalement seul le psychologue scolaire échappe aux critiques , peut-être parce qu’ils sont « de plus en plus sollicités par l’institution ».
Au final, pour les auteurs, » l’intervention des membres des RASED constitue une ressource importante. Mais, dans sa forme actuelle, elle reste encore trop coupée de ce qui se noue et se dénoue dans la classe ». Aussi le rapport envisage-t-il de faire éclater les Rased et de distinguer entre des maitres de proximité et des spécialistes de circonscription. » Deux niveaux de cohérence apparaissent : le niveau de l’école (ou du groupe scolaire ou du réseau) qui est pertinent pour garantir l’efficacité de l’aide de proximité ; la présence du maître chargé de ces aides, ciblée auprès d’équipes assumant de nombreuses situations de grande difficulté ; le niveau de la circonscription, où pourrait se constituer un pôle de compétences pluridisciplinaires piloté par l’IEN. Ce pôle pourrait associer l’actuel maître « G », les psychologues, les conseillers pédagogiques, un spécialiste du français langue étrangère, si la circonscription dispose de cette ressource, voire un maître « D » (troubles psychiques ou cognitifs) , ou s’ouvrir à d’autres professionnels tels que les médecins, ou des orthophonistes extérieurs. Il s’agit de rassembler tous ceux qui peuvent éclairer une situation, aider une équipe ou un maître confrontés à une situation difficile ».
Un collège à reconstruire
Le collège apparait, dans le rapport, comme le point le plus faible de l’aide aux élèves en difficulté. « La réduction de la grande difficulté passe inévitablement par un changement profond de l’organisation et du fonctionnement du collège », affirment les auteurs. Le rapport estime que le cadre du collège » laisse peu d’espace aux professeurs pour répondre à la grande difficulté dans la classe.. La réussite ou l’échec de l’élève se décide là à travers le face à face d’un groupe (classe, demi-classe ou groupe optionnel) et d’un professeur. Si des marges de liberté existent officiellement (deux heures « d’accompagnement personnalisé » en sixième ou l’horaire originellement réservé aux « itinéraires de découverte » au cycle central), elles sont strictement contingentées et ne peuvent, en principe, excéder de 7 à 10 % du budget-temps de l’élève et de la classe ». Le professeur « manque de disponibilité » et « a une connaissance insuffisante de la situation de l’élève »… Les enseignants rencontrés, dans leur quasi-totalité considèrent que la réponse à la grande difficulté se situe au-delà de ce qui est possible dans la classe et pendant l’horaire attribué à leur discipline. Pour beaucoup de professeurs, il s’agit des élèves pour lesquels « on ne peut rien dans le cours normal des enseignements ». Ils considèrent qu’il faut à ces élèves un autre mode d’intervention et une aide spécifique qui, à leurs yeux, ne peut qu’être extérieure à leur cours ».
La segpa » constitue une filière à part, dérogatoire et peu inclusive dans son principe comme dans son fonctionnement. Si cette structure d’exception doit évoluer, il semble inenvisageable d’accueillir aujourd’hui dans les classes ordinaires du collège les 3 % d’élèves, tous en grande difficulté, qui bénéficient de cet « enseignement adapté »… En revanche, elle doit s’ouvrir davantage et proposer des parcours plus diversifiés, et parfois plus ambitieux, comportant des temps d’apprentissage partagés avec les autres collégiens. De même, la préparation du projet d’orientation gagnerait à s’enrichir d’une expérience plus large, fondée sur l’exploration effective des champs professionnels présentés et permettant de véritables choix. Enfin la mise en réseau des SEGPA doit être relancée pour favoriser cette démarche. »
Aussi le rapport demande une réorganisation en profondeur du collège. Pour les auteurs, il faut » introduire des souplesses horaires permettant une réelle personnalisation des parcours… Les besoins des élèves les plus en difficulté ne peuvent trouver réponse seulement à travers un emploi du temps hebdomadaire fixe et commun à tous, établi en fonction de programmes annuels avec pour principale variable une offre optionnelle essentiellement limitée aux langues. Aucun parcours personnalisé ne peut être établi dans ce cadre… Il serait vain de parler de personnalisation si l’emploi du temps ne comporte pas une partie variable (de 20 à 30 %) permettant à chacun (en grande difficulté ou non) de bénéficier d’un itinéraire correspondant à ses besoins et à ses aspirations. De même, à cette souplesse horaire devrait s’ajouter une organisation différente des programmes (comme le prévoit l’article 35 de la loi du 8 juillet 2013) permettant de construire de la cinquième à la troisième (la sixième ayant un statut particulier) des progressions différenciées, conçues sur les trois années composant le cycle en fonction des objectifs terminaux posés dans le cadre du socle commun ». Le rapport veut aussi changer l’encadrement des élèves. Il faut aux élèves en difficulté un tuteur mais aussi « diminuer le nombre de professeurs intervenant au cours d’une même semaine (distribution horaire semestrielle ou par période, généralisation de l’enseignement intégré des sciences et de la technologie (EIST), développement d’une organisation par projet pour une partie des heures, etc.) ; d’autre part, établir les conditions d’un travail pédagogique commun autour des élèves en situation de grande difficulté : assumer ces situations suppose de passer un peu de temps pour concevoir ensemble les stratégies les mieux adaptées ». C’est donc bien une refonte du collège que vise principalement ce rapport.
Rased : Que veut au juste le ministère ?
Si le rapport de l’Inspection était attendu, c’était d’abord par les enseignants des Rased. Mis en extinction sous le gouvernement précédent, les Rased ont vu les postes fondre rapidement en même temps que la formation de nouveaux spécialistes était asséchée. Les associations de maîtres des Rased attendaient un revirement avec le nouveau gouvernement. Or la publication du rapport intervient alors que les négociations sont en cours avec le ministère.
Les critiques portées par le rapport sur les réseaux d’aide inquiètent Maryse Charmet, présidente de la Fnaren, l’association qui regroupe les maîtres G. Interrogée par le Café pédagogique, si elle juge le rapport « intéressant et fouillé », elle craint que la publication du rapport aboutisse à remettre en question les discussions en cours avec le ministère. « Le travail en circonscription, on n’en veut pas », nous a-t-elle dit. « Le travail auprès des élèves est la colonne vertébrale de toute aide », ajoute-elle. « On craint un glissement vers un rôle d’expert et de conseiller qui nous éloignerait du terrain ». C’est pourtant ce que proposent les fiches du groupe de travail ministériel qui prévoit d’installer les maîtres E dans les écoles et de réunir en circonscription, auprès de l’IEN, les maitres G et les psychologues, comme le préconise le rapport.
Quelle place pour un pilotage étatique ?
Le rapport critique aussi « l’éparpillement » des dispositifs d’aide entre ceux de l’éducation nationale et les aides locales. « L’éparpillement de dispositifs souvent dépendants de l’initiative individuelle conduit à une répartition inégale et variable de l’aide apportée sur les quatre années. Par exemple, la classe de cinquième est souvent délaissée. Tant au niveau du parcours individuel de l’élève que de l’organisation de l’établissement (donc de son projet), les soutiens, aides ou aménagements doivent être pensés dans une optique pluriannuelle avec le souci d’un suivi, tout en prenant en compte la spécificité de chaque étape. La réponse doit être construite non comme une juxtaposition d’actions, mais plutôt comme l’accompagnement d’une progression ». Aussi il demande un pilotage renforcé de l’aide, construit autour des cadres de l’éducation nationale.
Le rapport atteint là une autre limite. Qu’il s’agisse des PEDT du primaire que des aides des conseils généraux, les collectivités territoriales sont devenues des acteurs incontournables de l’aide aux élèves. C’est sans doute ce qui stimule cette demande de pilotage renforcé. Mais il ne saurait se faire sans prendre en compte les exigences des élus locaux. C’est un autre élément de complexité pour ce rapport.
François Jarraud
Le rapport
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2013/27/1/2013-095_[…]
Sur le site du Café
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