Par Géraldine SALA
Le développement de l’éducation artistique et culturelle fait partie d’une des cinq grandes priorités de la circulaire de rentrée 2013.
Les professeurs documentalistes, en tant que médiateurs culturels, participent à l’éducation artistique et culturelle des élèves, en impulsant une dynamique de projets et en recourant aux partenariats. La préparation de la rencontre entre un écrivain et une classe, dans le cadre d’un projet de lecture s’inscrit dans cette démarche.
Martine Le Maux, professeur documentaliste au Lycée Polyvalent de La Possession a organisé, à plusieurs reprises, la venue d’un écrivain au CDI, en collaboration avec des enseignants disciplinaires. Elle nous explique comment préparer une telle rencontre. Elle nous précise comment s’opère le choix de l’écrivain et des œuvres à étudier, quelles productions et quels travaux de recherches sont attendus par les élèves. Surtout, elle souligne les retombées positives et l’impact d’une rencontre entre une classe et un auteur : l’énergie, l’investissement et l’imagination des élèves en sont décuplés, ce qui donne des échanges de qualité.
Quelles démarches avez-vous effectuées pour recevoir un écrivain au CDI ?
Je suis membre de l’ADBEN-Réunion (Association des Enseignants Documentalistes de l’Education Nationale- Ile de la Réunion) et à ce titre, je sais que cette association reçoit chaque année depuis 1991, deux ou trois écrivains qui vont –en avril de chaque année- à la rencontre des collégiens et lycéens inscrits dans cette action avec leurs enseignants (professeur documentaliste et professeur de lettres le plus souvent).
Cette année, comme l’an dernier, je me suis inscrite pour recevoir Julien Blanc-Gras, écrivain choisi par les membres du bureau de l’association sur proposition de l’une d’entre elles (souvent la personne relais en charge de cette action) ou sur proposition d’un collègue documentaliste. Nous lisons bien sûr avant de l’inviter quelques livres de cet auteur, nous en parlons autour de nous (aux auteurs invités les années précédentes par exemple), nous consultons aussi internet.
Cette année, les professeurs de lettres et d’histoire-géographie d’une classe de 2nde générale sont impliqués dans l’action.
Quelles ont été les principales étapes du projet « un écrivain au CDI »? Avez-vous rencontré des difficultés particulières?
Nous n’avons rencontré aucune difficulté pour le moment. En fait, il se trouve que les 2 enseignantes impliquées souhaitaient aborder le thème de l’autre, de l’ailleurs et les textes de Julien Blanc-Gras, notamment ceux que nous avons choisis (Touriste, et Paradis [avant liquidation]) abordent ce thème. Dans un premier temps, les élèves ne lisent pas l’œuvre de l’auteur (ce sera fait à partir de janvier 2014) mais travaillent sur le thème du voyage, de l’utopie et doivent produire un travail d’écriture en groupe sur ce thème du voyage imaginaire. Puis ils liront et étudieront Touriste et prépareront la rencontre avec l’auteur (travail à définir ultérieurement).
Avez-vous obtenu un budget spécifique pour la venue de cet auteur ? Quels ont été les crédits éventuellement mobilisés ? Comment avez-vous pu acquérir les ouvrages sélectionnés ?
Le financement de l’action est double : la venue de l’écrivain dans l’établissement est financée par la DAAC-Rectorat avec laquelle l’ADBEN-Réunion a passé une convention (donc l’établissement ne paie rien à ce niveau-là) ; pour ce qui est de l’achat des livres, il est laissé à l’initiative de la (du) documentaliste : soit il est pris sur le budget du CDI, soit on peut voir avec les professeurs de lettres de façon à ce qu’ils financent sur leurs crédits une série d’ouvrages qui seront par la suite utilisés en lecture suivie. Le nombre de livres achetés est fonction du projet, du nombre d’élèves impliqués, du budget… Quant aux frais inhérents à la venue elle-même de l’auteur dans l’île (frais d’avion, de transport local, d’hébergement et de restauration), ils sont à la charge de l’ADBEN-Réunion. Et bien sûr ce projet est présenté au CA avant la venue de l’auteur.
Quel intérêt présente la rencontre d’un auteur pour les élèves ? Quelles compétences documentaires ou disciplinaires peuvent-ils développer ?
Les élèves n’imaginent pas qu’un écrivain est un être de chair et de sang, qui a un parcours, une existence réelle, qui rencontre des difficultés pour écrire par exemple… en un mot quelqu’un qui n’est pas différent d’eux, de leurs proches. Et donc, quelque part, la lecture est désacralisée (enfin, en partie car malgré tout, n’est pas écrivain qui veut); et surtout, la perspective de rencontrer l’auteur décuple l’énergie, l’investissement et l’imagination des élèves ce qui donne une rencontre de très grande qualité.
Leurs travaux sont fonction de l’œuvre étudiée ; ainsi l’an dernier Du domaine des Murmures de Carole Martinez se prêtait particulièrement aux travaux d’invention : les élèves ont écrit une ballade, imaginé une biographie romancée de l’auteur, illustré le roman…
L’étude de l’œuvre se prête à de nombreuses recherches documentaires; ces recherches prennent souvent la forme d’expositions qui sont présentées au CDI à l’auteur et à l’ensemble de la communauté éducative.
La préparation d’un écrivain au CDI a-t-elle eu un impact sur les habitudes de lecture des élèves ? Lequel ?
L’impact est difficilement mesurable ; nous sommes face à une génération d’adolescents aux habitudes de lecture non traditionnelles. Nous les avons amenés à lire un livre et à se l’approprier et nous espérons que cette expérience participera à développer leurs pratiques de lecture. De plus, la rencontre est toujours un moment fort, source d’échanges particulièrement riches, qui donnent aux élèves l’occasion de s’exprimer et aussi d’avouer qu’eux-mêmes écrivent, comme ce fut le cas lors de la venue de Carole Martinez.
Pouvez-vous nous préciser, concrètement, comment s’est déroulée cette rencontre avec Carole Martinez? Comment les élèves et les professeurs impliqués ont-ils préparé cette rencontre? Quel a été votre rôle, en tant que professeur documentaliste? Comment se sont déroulés les échanges entre les élèves et l’auteur ?
L’année scolaire précédente ou au début de l’année scolaire en cours, j’ai présenté l’action aux professeurs de lettres de façon à voir quel serait l’enseignant intéressé. Une fois cela fait, je leur ai envoyé toute la documentation le concernant : biobibliographie, liens internet, photographie…
Un exemplaire de chacun des ouvrages susceptibles d’intéresser les élèves a été acheté sur les crédits du CDI (parfois après consultation de l’auteur). Puis, le professeur de lettres et moi-même, avons lu les livres de façon à arrêter notre choix. Au cours du 1er trimestre, au plus tard à la rentrée de janvier, les ouvrages ont été achetés en nombre, et lus par les élèves.
Dans le cas de la venue de Carole Martinez, un seul livre a été retenu, mais le CDI possédait un autre livre que les élèves volontaires pouvaient lire. Une série de questions avait été préparée par la professeure et nous-mêmes (l’aide-documentaliste et moi) de façon à orienter la lecture (parfois exigeante du livre retenu). Des activités ont aussi été proposées aux élèves ou elles ont été suggérées (parfois par les élèves eux-mêmes en cours de lecture), comme rédiger une biographie romancée de l’auteure, traduire un passage en créole…
La phase de réalisation des travaux par les élèves s’est faite essentiellement à partir de la rentrée de janvier, la plupart du temps au CDI, lors de séances encadrées par les enseignants. Le matériel nécessaire à la confection des panneaux d’exposition (Canson par exemple) a été financé sur les crédits du CDI, mais notre gestionnaire a aussi accepté d’en financer une partie. C’est aussi pendant cette période que se sont rédigées les questions que nous avons posées à l’auteure, et que s’est définie l’organisation des 2 heures de la rencontre.
La rencontre elle-même a été un moment très fort car elle couronnait un travail long, difficile et aussi parfois angoissant pour les élèves et pour nous, car nous allions être confrontés à l’auteur. Nous voulions nous montrer à la hauteur. La rencontre a eu lieu au CDI où était affiché l’ensemble des panneaux réalisés par les élèves, et où nous avons régalé l’auteur des mets qu’ils avaient apportés (pâtisserie locale). Carole Martinez s’est montrée généreuse, à l’écoute, ses échanges très intéressants : nous étions comblés. Les élèves se sont laissés aller à poser des questions spontanées, ils ont confessé écrire eux-mêmes : ils se sont donc livrés et il a été difficile de mettre un point final à la rencontre.
Avez-vous développé d’autres projets dans votre établissement, toujours en lien avec l’incitation à la lecture?
Depuis plusieurs années, nous avons mis en place (avec un ou deux collèges de la même commune) une Liaison 3ème / 2nde. Grâce à ce projet, les élèves de chacun des établissements doivent lire trois mêmes livres qui ont été choisis par les professeurs documentalistes et de lettres de chacun des établissements, au cours du 3ème trimestre de l’année scolaire précédente (deux livres d’auteurs hors Réunion et un livre d’un auteur réunionnais). La lecture débute courant 1er trimestre et l’action se termine au plus tard fin mai. Chaque titre est étudié comme le souhaite chacun des enseignants. Parallèlement, nous préparons les élèves à ce qu’est un débat, car ils se rencontreront en mai au CDI du lycée et au cours de cette journée ils devront débattre. Ils devront expliquer pour quelles raisons ils ont aimé ou pas chacun des trois livres et ensuite, ils voteront tous ensemble pour élire le livre préféré (un peu comme cela se fait au prix des Incorruptibles). Pendant cette journée de regroupement, le lycée (son fonctionnement, ses enseignements, …) sera présenté aux collégiens par les lycéens et d’autres intervenants.
Propos recueillis par Géraldine SALA
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