« 2014 doit être l’année du bien-être à l’Ecole. C’est un enjeu considérable. C’est la question de l’évaluation de l’élève ». Le 21 janvier, Vincent Peillon a annoncé son intention de réformer l’évaluation. Pourquoi s’attaquer à une activité qui est au coeur du métier au risque de susciter, comme C Allègre, des résistances ? Peut-on évaluer autrement ? Comment fait-on ailleurs ? Voici quelques pistes pour rouvrir le dossier de la docimologie. Et d’abord que sait-on de l’évaluation pratiquée par les enseignants français ?
« Des directives claires seront données par la Direction générale de l’enseignement scolaire pour faire évoluer la façon de noter les élèves. Car il y a là des résistances ». Vincent Peillon veut « une transformation réelle des pratiques en classe ». Et il sait bien que l’évaluation est une activité centrale pour faire évoluer le métier.
Pas de correction , pas de professeur
La correction de copies est l’activité qui identifie le mieux le métier d’enseignant. C’est probablement la part la moins appréciée du métier si on entend les enseignants. Mais aussi celle où ils se retrouvent. En salle des profs on parle plus volontiers du dernier paquet de copies et des notes du petit Z que de pédagogie ou d’avenir de l’Ecole. C’est aussi l’activité la plus chronophage après les cours et leur préparation. Les enseignants lui consacrent en moyenne 3h36 par semaine dans le premier degré et 5h48 dans le second. Les champions de la correction ce sont les agrégés avec 7h26 par semaine. C’est que la durée des corrections a à voir avec la hiérarchie symbolique des métiers enseignants. Le certifié corrige 6h40 par semaine, le professeur des écoles 4h09. Evidemment le professeur de français y passe plus de temps que celui de mathématiques. Mais l’essentiel c’est qu’aucun corps d’enseignant n’y échappe. Ainsi la maitresse de maternelle passe 1h43 à corriger les travaux de ses élèves. Le professeur d’EPS 1h49. Pas de correction , pas de professeur…
Quelles sont les pratiques d’évaluation des enseignants ?
Mais quelles méthodes d’évaluation sont utilisées par les enseignants ? Permettent-elles de faire progresser les élèves ? L’Inspection générale a publié en juillet 2013 un rapport sur « la notation et l’évaluation des élèves » coordonné par Alain Houchot et Frédéric Thollon. Il dresse un état des lieux intéressant des pratiques d’évaluation de l’école au lycée. Et il affiche ses recommandations. Le rapport montre un système éducatif coupé en deux. Si à l’école primaire l’évaluation chiffrée a pratiquement disparu, dans le secondaire les notes sont toujours là et ces ont les autres modes d’évaluation qui dérogent.
La note en disparition à l’école
« Le recours à la notation chiffrée est minoritaire » à l’école. En général les livrets évaluent entre acquis et non acquis. Le Livret de compétences (LPC) « reste un outil extérieur à la pédagogie » , même si pour l’inspection « il connait « une évolution positive ». Le rapport souligne la grande variété des modes d’évaluation. Ils sont rarement cohérents au sein de la même école.
La note est reine dans le secondaire
Au collège par contre, la note reste la règle et l’évaluation non chiffrée une innovation plus ou moins tolérée. Cette innovation est souvent le prétexte à une réflexion sur le collège et le métier. » Mais le plus important réside sans doute dans la mise en place systématique d’une véritable dynamique au sein d’une équipe qui échange, partage et travaille ensemble. Cela se traduit par des apports pédagogiques et didactiques importants ». Elle a l’avantage de redonner courage aux élèves et de les motiver, affirme le rapport. Par contre, « la cohabitation entre ceux qui sont impliqués dans le projet et ceux qui ne le sont pas est souvent difficile », note -il. » L’un des principaux obstacles à la mise en place d’une évaluation par compétences tient à ce qu’elle prend beaucoup plus de temps que l’évaluation traditionnelle et qu’elle exige un plus fort investissement. Cette double nécessité de mobiliser du temps de concertation et d’accroître sa charge de travail constitue autant de freins au montage et surtout à l’extension de ce type de projet. On ne s’étonnera donc pas de la demande récurrente des équipes d’un temps de concertation régulier avec toutes les difficultés organisationnelles que cela implique, mais aussi de reconnaissance institutionnelle, y compris d’un point de vue pécuniaire ».
Mais l’évaluation reste à penser
Au final, les inspecteurs estiment que « dans la plupart des écoles et des collèges, la réflexion sur l’évaluation n’a guère abouti… Le constat d’une absence d’objectivité est quasi constant : on ne sait pas ce qu’on évalue ». Des tentatives ont eu lieu pour faire avancer les choses.
En 2000, une circulaire de C Allègre sur l’évaluation a fait débat. C’est qu’elle s’aventurait sur un terrain clandestin : la fonction répressive de l’évaluation. Le ministre entendait qu’on distingue bien évaluation des travaux et sanction disciplinaire. Sa circulaire, qui est toujours en usage, a été immédiatement présentée comme « interdisant le zéro ». En se focalisant sur le zéro, le débat a illustré que l’évaluation renvoie aussi au pouvoir du professeur et pas uniquement à sa mission.
En 2008, 2009, 2011 est revenu le thème de la notation au bac. Là aussi l’évaluation a été utilisée pour faire passer un autre message. Soulever la question de la justesse de l’évaluation au bac c’est un moyen pour changer le fonctionnement du bac et sa place dans l’accès au supérieur. Là aussi la question a largement fait débat suscitant des interventions syndicales par exemple.
Dans son rapport de 2013, l’inspection recommande « un véritable cadrage national de l’évaluation » avec un pilotage local associant chef d’établissement, IEN et IPR. Mais pour cela il faudrait « faire évoluer les missions des professeurs » en faisant se rapprocher les statuts des professeurs des écoles et des enseignants de collège afin de faciliter le travail en équipe. Ainsi pour l’inspection l’évaluation est un levier pour changer le statut et assurer un contrôle plus étroit des enseignants. Le fait que les pratiques d’évaluation aient rapidement changé au primaire entre 2008 et 2012 montre que le moment est peut-être venu. C’est toute cette dynamique que réveille la volonté ministérielle.
François Jarraud