« Contrairement à ce que l’on peut avancer dans certains cercles, les enseignants ne sont pas des freins aux réformes, à condition cependant que ces réformes soient de leur fait et non pas imposées par des instructions ministérielles ». Bernard Hugonnier, ancien directeur adjoint de l’éducation à l’OCDE et Constance de Ayala publient un ouvrage sur l’expérience du lycée Galilée de Gennevilliers. Un établissement prioritaire qui construit sa propre réforme pour lutter contre l’échec scolaire et qui réussit. Un projet venu du terrain, efficace et que le ministère se garde bien finalement de faire connaitre…
Aujourd’hui le lycée Galilée de Gennevilliers est un des plus beaux établissements franciliens. Seul lycée d’une commune populaire, il est situé dans un quartier en pleine mutation urbaine. Dans quelques années peut-être aura-t-il perdu, avec le renouvellement de population sur cette partie de la commune, sa particularité expérimentale.
A l’origine du projet Galilée la rencontre entre une proviseure, Monique Aqualina, et une équipe d’enseignants où une figure va émerger, celle d’un professeur de sciences physiques, Olivier Jallu. Dans cette commune populaire, les enseignants ont envie de changer le lycée et de lutter contre l’échec scolaire. A partir de 2008, avec le soutien de la proviseure, une cinquantaine d’enseignants de seconde décident d’imaginer ce que pourrait être une seconde permettant la réussite de tous les élèves. Alors que le ministère met en place la réforme du lycée, ils obtiennent du rectorat de l’ignorer et de faire leur propre réforme. Adieu les enseignements d’exploration, par exemple. Les professeurs de Galilée fabriquent leur propre lycée autour d’idées simples soulevant les tabous du système éducatif.
Premier tabou : celui du nombre d’élèves. On ne travaille pas de la même façon à 32 et à 15. Et ce choix participe du tri social des élèves. Les professeurs de Galilée choisissent de privilégier le travail de groupe en petits effectifs. Chaque journée commence par deux heures de cours en classe entière. Suivront 4 heures de cours en petits groupes où les élèves travaillent autrement avec leur professeur.
Second tabou : celui du temps scolaire. Les enseignants redessinent les rythmes de façon à ce que les élèves aient des temps de détente et des temps d’apprentissage suffisamment longs pour ne larguer personne. La journée normale enchaine 2 heures de cours magistrale, une demi heure de récréation, deux heures de travail en groupe, une pause méridienne de 2 heures, deux heures encore en groupe puis une heure d’aide aux devoirs.
Troisième tabou : les programmes. Cela impose de redéfinir les progressions annuelles. « Par exemple, en histoire-géographie, avec la réforme de 2009, le programme de seconde est décliné en neuf thèmes », écrivent les auteurs. « Chacun des thèmes comporte un ou plusieurs chapitres obligatoires et deux ou trois chapitres au choix. Avec l’expérimentation, le professeur étudie en classe entière les chapitres obligatoires et la méthodologie. Les demi-groupes sont organisés en fonction du niveau des élèves et étudient, pendant le premier trimestre, un autre chapitre obligatoire du programme. Ainsi, chaque groupe avance à son rythme. À partir du deuxième trimestre, l’enseignante propose à ses élèves deux « menus » différents composés des chapitres au choix. Les élèves choisissent en fonction de leurs centres d’intérêts. « Ils sont ainsi beaucoup plus intéressés par les questions abordées, et donc beaucoup plus présents en cours. Ils participent davantage, même les élèves les plus faibles. » Lors des heures de demi groupes, la professeur travaille avec ses élèves à partir d’études de cas et laisse, la moitié du temps, les élèves travailler en binôme ». En reprenant ainsi la main sur les programmes, les enseignants passent en fait du programme au curriculum. Ils décident aussi d’aménager l’évaluation. Chaque élève de seconde est noté par rapport à son orientation. On ne va pas exiger de lui le même niveau en maths sil demande S ou s’il souhaite une STMG. L’auto évaluation est encouragée. Comme il n’y a jamais plus de trois disciplines par jour, le travail à la maison est réduit mais mieux suivi avec l’heure d’aide de fin de journée. Tout cela autorise les enseignants à relever leur niveau d’exigence.
Quatrième tabou : celui de la culture et des arts. Les enseignants de Galilée pensent que les arts sont indispensables aux élèves les plus démunis culturellement. Chaque semaine le vendredi après midi est réservé à des sorties ou des projets à dimension artistique ou culturelle.
Et les résultats suivent. D’abord dans le rapport entre élèves et professeurs. L’absentéisme est éradiqué. Le taux de redoublement correspond à la moitié de celui des lycées de zep. Le taux de réussite au bac est très au dessus du taux attendu. La valeur ajoutée du lycée atteint 17 points en S en 2012, 16 en ES. Cela hisse l’établissement au niveau des plus performants.
La réforme Galilée repose sur l’idée de coopération. « L’expérience de Galilée montre que le succès d’une réforme tient pour l’essentiel à l’appropriation que s’en font les enseignants, à leur implication et à leur motivation. Et il est évident que cette appropriation, cette implication et cette motivation sont d’autant plus fortes que les enseignants sont les auteurs mêmes des réformes », écrivent les auteurs. La réforme portée par les enseignants du lycée repose sur l’idée que la coopération, des enseignants entre eux pour faire vivre la réforme au quotidien et se coordonner, des élèves durant les travaux de groupe, est la forme la plus efficace pour apprendre.
Mises en place en 2009, les nouvelles secondes du lycée Galilée ont survécu aux restrictions budgétaires et au changement de proviseur. Le lycée a pleinement réussi sa révolution pédagogique. L’institution a digéré à sa façon cette réussite en décidant de l’ignorer. Aucune suite n’est donnée à ce projet. Merci à B Hugonnier et C. de Ayala de la faire connaitre. Merci de montrer que les enseignants ne sont pas des freins. Merci aussi de démontrer que le système éducatif est capable de fabriquer lui-même les remèdes à sa crise mortelle. Alors que le système éducatif français perd chaque année 150 000 jeunes qui le quittent sans formation suffisante, les enseignants du lycée Galilée montrent que le décrochage en seconde n’est pas une fatalité, que la réussite de tous est possible. Et que ca va mieux quand les enseignants pensent eux-mêmes l’Ecole.
François Jarraud
Bernard Hugonnier, Constance de Ayala, Vaincre l’échec scolaire : l’expérience du lycée Galilée, Economica, ISBN 978-2-7178-6662-9