Faut-il donner de nouvelles compétences éducatives aux régions ? Aux métropoles ? Dans son discours du 14 janvier, François Hollande a annoncé une nouvelle répartition des compétences. « Nous devons en terminer avec les enchevêtrements, les doublons et les confusions », a dit le président de la République. « Les régions se verront confier, dans une prochaine loi de décentralisation, de nouvelles responsabilités… Une clarification stricte des compétences entre collectivités sera introduite ». Henriette Zoughebi, vice présidente du Conseil régional d’Ile-de-France en charge des lycées, réagit à ces propositions. Pour elle , il est indispensable de garder des niveaux territoriaux qui permettent l’exercice de la démocratie.
La loi sur la formation professionnelle, qui sera présentée au Conseil des ministres le 22 janvier, donne de nouvelles compétences aux régions, particulièrement pour la lutte contre le décrochage et l’orientation. Qu’en pensez vous ? Cela sera-t-il positif ?
Pour une bonne lutte contre le décrochage il faut que tout le monde s’y mette. Ca concerne de nombreux jeunes pour des raisons diverses. L’Education nationale a sa première place car l’échec scolaire se construit a l’école et il mène au décrochage. Il y a une responsabilité pédagogique et éducative importante de l’Education nationale. Les mesures prises pour l’éducation prioritaire vont dans le bon sens car elles s’attaquent à l’échec scolaire y compris dans les causes sociales de discrimination. Mais je trouve qu’il faudrait adjoindre les lycées à la réforme du prioritaire. Car quand on parle d’échec scolaire on ne peut pas s’arrêter à l’enseignement obligatoire. A 16 ans beaucoup de jeunes sont au lycée. J’attend donc du ministre une prise de position claire sur les lycées qui scolarisent les enfants de milieu populaire.
La seconde raison du décrochage c’est que certains jeunes ne sont pas orientés dans les filières de leur choix. Or la nouvelle loi va donner aux régions de nouvelles responsabilités pour l’orientation. On sait que les jeunes veulent pouvoir mieux imaginer ce que serait un avenir professionnel et le contenu réel des métiers. Il ya donc un travail commun à faire pour donner envie aux jeunes de trouver leur voie. Pour moi il ne s’agit pas d’enlever une responsabilité à l’Education nationale pour la confier aux régions mais de faire des efforts en commun. Il faut garder les copsys dans les établissements, un point qui n’est pas vraiment réglé. Les régions auront aussi la responsabilité de la formation et de l’orientation des personnes en recherche d’emploi. Mais pour les assurer il nous faudra des moyens nouveaux dégagés par l’Etat. Or on ne vas pas dans ce sens…
Il y a une troisième raison du décrochage. Ce sont toutes les difficultés sociales. De plus en plus de jeunes ont des familles en difficulté. C’est particulièrement vrai pour les mamans qui élèvent seules leurs enfants. Il y a des urgence sociales sérieuses. On a aussi la question des jeunes mineurs isolés pour lesquels on a peu de solutions car les fonds sociaux lycéens fondent. Nous avons crée un fonds d’urgence régional mais il ne pourra pas tout prendre en charge. Alors on voit bien que la bonne voie c’est la responsabilité partagée avec l’Etat pour mettre le maximum de chances de réussite du coté du jeune.
Enfin il y a les exclusions. Le Conseil général du 93, par exemple, a pris des mesures d’accueil remarquables. Mais ce n’est pas le cas partout. La question des mesures éducatives à prendre pour aider le jeune est importante. On sait qu' »on manque de psychologues par exemple dans les établissements pour éviter à ces jeunes de déraper. On manque d’assistantes sociales. A Paris par exemple elles sont regroupées dans des poles et ne vont plus qu’exceptionnellement en établissement. Je pense qu’il faut des équipes éducatives complètes autour des jeunes. Dans le cadre du programme « Réussite pour tous », la région finance la possibilité pour un lycée de faire appel à un psychologue pour ouvrir un lieu d’écoute. On a passé une convention en Ile-de-France avec les rectorats où le décrochage figure. On a aussi besoin d’une meilleure coordination entre services régionaux de l’éducation et de la formation.
Les compétences croisées entre Etat et régions ne sont-elles pas un frein à l’efficacité ? Ne faudrait-il pas simplifier l’administration ?
On en parle en ce moment avec les métropoles. Je pense que ce serait c’est une simplification administrative mais pas mieux pour les citoyens. On a le même sujet au niveau du décrochage. Les collectivités ne peuvent pas se mêler de pédagogie. On en a ni la compétence réglementaire ni la compétence humaine. On a besoin de programmes scolaires nationaux par exemple. Or le décrochage ne peut pas être traité sans qu’on traite la question pédagogique. C’est pour dire que sur certaines questions, l’efficacité c’est le travail en commun entre collectivité territoriale et Etat. La complexité ne vient pas des acteurs mais tient au fait que le sujet est complexe. Simplifier la réponse sans tenir compte de la complexité du sujet ce n’est pas être efficace. Le refus de la complexité au niveau institutionnel est problématique. Pour lutter contre le décrochage, on met autour du jeune l’ensemble des services de l’Etat, de la région, des départements, des missions locales. C’est cela qui est efficace. Que le jeune n’ait pas à taper à la porte de 15 bureaux est nécessaire. Mais gommer des partenaires pour régler le problème ce n’est pas la solution.
Le président de la République a annoncé des changements des règles d’organisation du territoire en poussant en avant la métropole. Il cite Lyon où la métropole a pris les compétences éducatives du département et de la région. Qu’en pensez vous ?
Je crois à la démocratie. Je pense que rencontrer les jeunes et construire avec eux est enrichissant mais aussi efficace. La région a la charge de 471 lycées. Il y a plus de 1000 collèges en Ile-de-France. Si on nous donne la charge de l’ensemble on ne pourra plus donner que des réponses technocratiques. C’est la technostructure qui aura la main sur l’éducation. Au niveau des élus on ne pourra pas avoir un véritable regard avec autant de communautés éducatives. Si la simplification c’est ça, alors ça veut dire qu’on enlève la relation élus et communautés éducatives. Ce ne sera plus possible de faire le tour des communautés par exemple pour le plan d’investissements comme je l’ai fait. Si on pense qu’il y a besoin d’une relation entre les citoyens et les élus il faut être attentif à ce que la charge soit compatible avec cette relation. La métropole existe bien sur. Mais je crois a la coopération. C’est elle qu’il faut encourager pour construire de la dynamique en commun, et non supprimer au nom des économies. Le manque de démocratie ce n’est pas moderne. L’aspiration profonde est a participer. C’est ce que veulent les jeunes. Ils veulent des interlocuteurs en face d’eux. Si c’est impossible on va vers des choses graves. Il faut servir la métropole mais par la coopération, qui est une notion moderne. Gardons des tailles et des responsabilités de territoire dans lesquels la démocratie puisse continuer à exister. Quand je fais le tour des lycées je vois que les jeunes veulent voir les décideurs. Ce qui m’inquiète c’est le pouvoir de la technocratie.
Dans un renforcement des pouvoirs de la métropole des territoires y perdraient ?
Ca dépend comment ça se met en place. Ce qui est a l’ordre du jour c’est que l’énergie de la métropole soit mieux partagée. On ne peut pas continuer à avoir en Ile-de-France les logements sociaux à l’est et les emplois à l’ouest. Pour résoudre cette question la coopération peut suffire. En matière éducative, quand on a fait le programme régional d’investissement on a posé la question de la diffusion en banlieue des prépas et des classes post bacs. On peut résoudre cette question en coopération avec l’Etat et les différents territoires. Si on regarde dans le passé, on voit que le Val de Marne s’est battu pour Orly Val. Et bien ce n’est pas pour rien dans le projet de métro du Grand Paris. C’est par la coopération qu’on peut construire vraiment la métropole. Il y a deux visions qui s’opposent technocratique et démocratique.
Enfin si la coupure augmentait entre la métropole et les territoires ruraux de la région on les marginaliserait davantage. Déjà aujourd’hui les jeunes de ces zones ont du mal à poursuivre des études postbac. Si la coupure s’aggrave ce sera plus difficile pour eux. Or on n’a pas intérêt a créer de nouvelles poches d’inégalités dans la région. D’une façon générale, on ne résoudra pas les problèmes sans que les citoyens s’y impliquent. C’est ce que me disent les jeunes.
Propos recueillis par François Jarraud