Comment penser la décentralisation ? Quelles structures imaginer pour tirer parti des nouveaux équilibres qui se dessinent entre Etat et collectivités territoriales ? Alors que le président de la République annonce un rééquilibrage entre régions , départements , métropoles et Etat et que la réforme des rythmes scolaires met en évidence l’évolution de la décentralisation et la crise que cela suscite dans le système éducatif, l’Association française des Acteurs de l’Education consacre le numéro 140 de » sa revue Administration & Education, à « la décentralisation ». En 160 pages, elle arrive à donner la parole à une vingtaine d’acteurs et de chercheurs de premier plan. Des éclairages de premier ordre sur une question devenue centrale pour l’Ecole.
Croiser les regards
Puisque c’est tout le centre de gravité de l’Ecole qui se déplace vers les collectivités territoriales, les académies et les établissements scolaires, les deux coordonnateurs de la revue, Alain Bouvier et Bernard Toulemonde, interrogent des personnalités variées mais toutes installées dans la gestion réelle du système éducatif. Impossible de les citer tous. Mais on trouve dans ce numéro le regard de Jean-Charles Ringard François Bonneau sur les politiques éducatives régionales. Celui de Jean-Pierre Finance ou Jean-Jacques Queyranne sur le rôle des régions dans le renforcement de l’autonomie des universités. Jean-Paul Denanot et l’inspecteur général Jean-Marc Huart évoquent la décentralisation de l’enseignement professionnel. Chantal Lebastard, proviseure honoraire, parle de la décentralisation vue du lycée et Eric Alexandre la décentralisation en collège.
Une longue marche
Pour tous ces auteurs la question de la décentralisation ne se pose plus. Elle est déjà vécue au quotidien et les auteurs en montrent les puissants ressorts pour un système éducatif qui ne manque pas de difficultés. La question c’est plutôt la gouvernance de la décentralisation. Comment amener les différents acteurs à coopérer dans un pays qui a une aussi longue tradition de centralisation étatique ?
« La décentralisation est une longue marche », écrit Bernard Toulemonde. Mais c’est un peu une marche qui se fait dans le brouillard. L’Etat et les collectivités entrechoquent leurs autorités. Leurs compétences se croisent et se recroisent au point de faire filet. Pour Alain Bouvier, « les outils de gouvernance font défaut » alors que le dialogue n’est pas réellement dans les cultures. Pour Philippe Tournier, l’Etat ne joue pas le jeu de la décentralisation. Il jette ce qui l’encombre mais veut toujours garder les rênes comme s’ils lui revenaient naturellement… Au final, Alain Bouvier essaie 5 scénarios d’évolution du système qui lui permettent d’avancer des propositions pour gérer au mieux une autre refondation de l’Ecole, moins affichée mais au moins aussi profonde.
La décentralisation, Administration & Education n°140, 2013.
Alain Bouvier : Comment organiser la construction en commun du système éducatif ?
Co-coordonnateur avec B. Toulemonde de ce numéro, Alain Bouvier, ancien recteur, partage sa version de la décentralisation. Si » L’Etat ne peut plus tout décider tout seul », il reste à imaginer les outils de la nouvelle décentralisation.
La décentralisation peut-elle répondre aux difficultés du système éducatif ?
Il faut d’abord rappeler ce qu’on attendait d’elle. Quand on a décentralisé, il y a 30 ans, on l’a fait pour que les élèves aident de meilleures conditions matérielles. Le bilan que l’on peut faire c’est que partout tout le monde se réjouit de la qualité des écoles, collèges et lycées construits par les collectivités territoriales. On ne peut pas comparer els derniers collèges, par exemple, avec les collèges Pailleron construits par l’Etat. Les lycées sont bien entretenus. Leurs bâtiments sont de qualité. Faut-il aller plus loin et permettre aux acteurs locaux de s’emparer de façon plus marquée des problèmes des élèves ? C’est reconnaître qu’il est temps d’avoir une approche territoriale des questions d’éducation. Ce dont on a besoin aujourd’hui c’est des réponses sur le terrain. Or ce n’est pas par un texte normatif parisien que l’on pourra apporter la meilleure solution aux problèmes locaux.
Mais on voit, avec l’exemple des rythmes, que le recours au collectivités territoriales peut aussi poser problème. Quelle lecture faites-vous de cette question ?
Le problème vient du fait que l’Etat n’a pas l’habitude de discuter avec les élus locaux. L’Etat a un fonctionnement injonctif alors qu’il devrait regarder les ressources locales. Il doit apprendre le dialogue.
Faire appel aux collectivités locales n’est ce pas augmenter les inégalités ?
Il n’y a pas de rapport entre les performances des systèmes éducatifs et leur degré de décentralisation. On peut améliorer el système éducatif sans faire appel à la décentralisation. Sauf que depuis 60 ans on n’a pas été capable de le faire. On peut espérer que sur le terrain il y ait des acteurs qui aient très envie de faire réussir l’école.
La décentralisation améliore la gouvernance de l’Ecole ?
Sur le terrain la règle c’est « qui paye décide ». Or l’Etat ne règle plus que 54% de la dépense d’éducation. Si on veut être efficace il faut permettre à tous ceux qui contribuent à la dépense d’éducation de décider ensemble. L’Etat ne peut plus tout décider tout seul. Il doit travailler avec ses partenaires. Avec les nouvelles règles que veut mettre en place F Hollande on peut penser que le déplacement de responsabilités vers les collectivités locales aura des conséquences sur l’Ecole.
Qu’est ce qui doit rester à l’Etat ?
L’essentiel. C’est à dire fixer le cap , dire quel élève on veut former. Quel type de citoyen ? Définir le niveau de compétence que l’on veut atteindre. Le « comment » peut par contre être inventé sur le terrain.
L’AFAE regroupe principalement des cadres du système éducatif, c’est à dire des serviteurs de l’Etat. Il n’y a pas une contradiction avec cette défense de la décentralisation ?
Il s’agit de construire ensemble, Etat et collectivités réunies. Et je trouve cela assez stimulant. Quand on est responsable, c’est cela que l’on vit quotidiennement sur le terrain. On travaille avec un conseil général ou régional, avec d’autres services de l’Etat. Mais ce travail de co construction demanderait davantage d’organisation. Je suis favorable à un établissement public régional d’enseignement où les différents acteurs décideraient sur les ouvertures de filières ou la création d’établissements.
Propos recueillis par François Jarraud