Il y a quelques temps, dans le magazine Elle , François Bégaudeau ironisait sur les lamentations des adultes à propos de jeunes … Ils ne savent plus écrire … Ils sont mous, incultes, insolents … ils ne savent plus écrire le français …
On a aucune culture… Message par Benjamin …
J’aimerais vous parlez des stéréotypes sur la jeunesse… Je trouve que notre génération (la plupart des gens de ce forum ont à peu près mon âge, donc je pense que je peux dire « notre », en disant que ça s’arrête vers les gens qui ont 18 ans) est un peu trop stéréotypée et critiquée par les 25-30 ans ou les 50-60 ans. On entend des « jeunes d’aujourd’hui »… Qu’on a aucune culture…
-Que la musique qu’on écoute n’a aucun sens par rapport à celle d’avant… Personnellement j’apprécie pas trop les genres de musique sans paroles, ce qui est quand même trop « à la mode », ou les trucs trop mixés, et même si il est vrai que j’apprécie plus particulièrement la pop-rock actuelle, je peux très bien écouter du Queen, les Beatles, les Rolling Stones etc…)…
-Qu’on écrit n’importe comment … le langage sms est de plus en plus décrié … les profs de français disent que ça n’a eu aucun impact sur notre orthographe…
-Que nous sommes fainéants, flemmard, euh j’ai envie de dire que chaque génération dit ça de l’autre, nos grand-parents disaient à nos parents … et on nous le dit maintenant, c’est un peu un cycle quoi.
-Que le niveau baisse à l’école … je pense pas que les programmes soient de plus en plus faciles, si c’est le cas c’est l’éducation nationale, ensuite je vois pas pourquoi le niveau baisserait. (je trouve d’ailleurs que certaines personnes qui disent ça, n’écrivent peut-être pas en langage sms mais font énormément de fautes)… Bref, et vous vous en pensez quoi?
Avec quelle culture faut-il cultiver les jeunes ?
Quatre cents avant notre ère, si l’on en croit Platon : les pères laissaient faire les enfants, les fils ne tenaient pas compte de leurs paroles, les maîtres tremblaient devant leurs élèves et préféraient les flatter, finalement les jeunes méprisaient les lois parce qu’ils ne reconnaissaient plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne… Peu ou prou, on croirait lire du Finkielkraut écrit deux millénaires après Jésus-Christ. : Il y avait l’autorité du prêtre, il y avait l’autorité du maître, il y avait l’autorité de l’auteur, tous ces sur-moi sont engloutis dans le grand pêle-mêle numérique . Certains prônent donc le retour à des fondamentaux éducationnels qui naguère ont fait leurs preuves. Ces rétro-pédagogues donnent un sens à la vie des jeunes, mais c’est un sens giratoire qui atteint un summum dans l’éducation religieuse quand elle développe une logique implacable ; par exemple : Qu’est-ce que pécher sinon prétendre … disposer de nous-mêmes… C’est le refus de notre condition de dépendance .
Y a-t-il une culture scolaire ?
L’éducation nationale n’a pas de définition officielle de la culture. Sans une telle précision comment évaluer le bagage culturel que devrait posséder un élève ? Le serveur Spinoo consacré aux parutions officielles , décline le terme plus de cent vingt mille fois : culture générale, culture technique , culture commune , cultures d’origine . Il arrive même que la culture générale désigne une simple matière d’examen avec ses attributs standard (référentiels, notation, épreuves et devoirs ).
La reconnaissance d’un illettrisme propre aux collégiens scolarisés depuis leur prime enfance a poussé Jack Lang dès 2002, à faire identifier une culture scolaire commune optimale. Les polémiques de l’époque s’organisaient autour de deux axes. D’une part, les partisans présentaient cette culture comme un seuil de connaissances irréductible pour chaque citoyen ; comme une sorte de rempart face à la sous-culture des cités (banlieues, ghettos). D’autre part, les adversaires de la culture scolaire commune l’accusaient d’être un SMIC de l’instruction susceptible de stigmatiser les élèves des couches défavorisées à qui on le destinait in extremis avant une sortie définitive du système éducatif. Parallèlement, des critiques de toutes sortes renvoyaient dos à dos les deux camps en notant que toute culture scolaire restait déconnectée de la réalité du monde (notamment professionnel) et que sa genèse même la condamnait à n’être qu’une vulgaire convention ayant seulement son utilité intestine pour sélectionner les élèves les plus orthodoxes.
Faire taire les élèves pour les cultiver…
Paul Ricœur a publié dans Esprit en 1955 la phrase suivante : Qu’est-ce que je fais quand j’enseigne? Je parle (..). La parole est mon travail, la parole est mon royaume. Et Finkielkraut ajoute : Aujourd’hui que dit-on au prof ? Tais-toi. Fais parler les élèves ou fais-les pianoter devant un écran. Accueille les intervenants extérieurs bien plus marrants que toi (…) Bref, mets fin au règne de la parole professorale.
Quel statut l’École confère-t-elle à la parole des élèves ? Le plus souvent elle la signale comme un péril : les élèves parlent à tort et à travers (bavardages), échangent des moqueries, profèrent des invectives à l’encontre des professeurs … Dans la culture scolaire standard, la conduite normale des élèves consiste à écouter l’enseignant en silence. Aux origines de l’enseignement obligatoire, la pédagogie « Jules Ferry » estime qu’aucun élève ne doit parler sauf s’il est sollicité par l’instituteur. Parfois la parole des élèves devient une opportunité didactique par exemple sous forme de récitation par cœur, ou de répétition en chœur. De plus, dans la vie collective de la classe, la contention de celui qui parlerait trop prend un sens républicain puisqu’il s’agit de répartir équitablement la parole entre tous les élèves. Donc, on fait taire ce qui ont des choses à dire au motif que d’autres pourraient également avoir à s’exprimer… L’interdiction de parler en classe est donc citoyenne .
Gilbert Longhi