Les femmes peuvent-elles faire capoter une fête ? Alors que les autorités lancent le 9 octobre la Fête de la science, une nouvelle étude Mutationnelles, réalisée par Global Contact avec le soutien du groupe Orange, rappelle que la parité devant les sciences reste un objectif lointain. Quelle est aujourd’hui la place des femmes dans les sciences et technologie ? Les disparités filles/garçons dans ces filières sont-elles toujours présentes ? Quelle évolution au cours de la vie professionnelle ?
Claudine Schmuck réalise depuis 5 ans ces études sur le rôle des femmes dans les sciences et technologie. La dernière livraison, qui paraît le 9 octobre, établie les tendances sur ces dernières années. Elle apporte également des éléments d’explication des évolutions.
Trois moments clés
La fuite des compétences, c’est-à-dire la diminution en proportion du nombre de femmes dans les sciences et technologie, se produit à trois moments différents : à l’orientation (dans le secondaire et le supérieur), à l’entrée dans la vie active, et au cours de la vie professionnelle. En effet, si 45% des Terminale S sont constituées de filles, il n’y déjà plus que 34% de femmes dans les études scientifiques et seulement 25% des ingénieurs de moins de 30 ans sont des femmes ! Chacun de ses moments est analysé de façon distincte par l’étude, avec de nombreux chiffres à l’appui.
Une orientation apparemment équilibrée
Les réformes récentes de l’orientation dans le secondaire ont joué un rôle positif pour la répartition fille/garçon dans les filières scientifiques. Ainsi, la réforme de la seconde qui oblige à choisir deux enseignements d’exploration a amené les filles à prendre davantage d’options scientifiques (12% de plus en 4 ans). Après cette découverte d’un an, elles sont plus nombreuses à choisir une Première Scientifique. Cependant le recul n’est évidemment pas encore suffisant pour pouvoir dire si cette évolution se poursuivra à l’université.
Du côté du lycée professionnel, la disparition du BEP encourage les filles à s’orienter vers un bac pro : elles y sont deux fois plus nombreuses en proportion qu’il y a 4 ans. Dans le même temps, la proportion de filles en CAP diminue. Dans les filières technologiques, une augmentation sensible est à noter mais elles restent très peu nombreuses puisqu’elles représentent moins de 10% de l’effectif des formations scientifiques et techniques. Enfin dans le supérieur, on observe une diminution de la proportion de filles par rapport au secondaire mais cette diminution se réduit sur les trois dernières années.
Mais des choix de filière toujours sexués
Les chiffres semblent plutôt encourageants dans le secondaire et le supérieur. Cependant, une étude plus fine des chiffres modère ce constat. En effet, il apparaît que les choix de filières restent très nettement sexués. Dans le général, les femmes sont très peu nombreuses dans les sciences dites dures : les filles s’orientent vers les SVT, l’agronomie ou la chimie plutôt que vers les mathématiques, l’informatique ou la mécanique. De la même façon, dans le professionnel, les filles vont dans les secteurs de l’habillement, du travail social ou de l’esthétique : elles représentent plus de 90% des effectifs de ces filières.
Et alors ? On pourrait se dire que si ces filières sont plus attrayantes pour les filles cela ne représente pas un problème en soit. Oui, sauf que ce sont les domaines qui recrutent le moins ! Autrement dit, ces choix d’orientation sont à l’origine d’une inégalité hommes/femmes dans l’accès au marché du travail.
Quand les enseignants renforcent les stéréotypes…
Parmi les facteurs mis en évidence par l’étude, le rôle des enseignants et des parents semble essentiel. Les recherches sociologiques montrent qu’ils contribuent à renforcer les stéréotypes. De nombreuses données appuient ce constat. Par exemple, l’analyse des réactions de l’entourage des jeunes face à leurs choix d’orientation indique que si les facteurs d’intérêt pour une orientation dans les sciences et technologie sont les mêmes pour les filles et les garçons (goût, opportunité d’emploi, perspective salariale), l’entourage (famille, enseignants, amis) est nettement plus sceptique quand cette vocation s’exprime chez une fille plutôt que chez un garçon.
Les pouvoirs publics ont pris des engagements forts en faveur de l’égalité des sexes, notamment avec la convention interministérielle du 7 février 2012 qui insiste sur la nécessité de l’acquisition et de la diffusion d’une culture de l’égalité et sur le déploiement d’action renforçant le respect mutuel fille/garçon, et sur le renforcement de la mixité dans les filières de formation. Cependant, il apparaît que ces actions sont freinées par le poids croissant des clichés et des stéréotypes dans les loisirs. Dès 6 ans, les différenciations des genres sont très nettes dans les médias à fonctions récréatives (magazines, BD, jeux vidéos…). Les garçons y sont caractérisés par l’action et la connaissance alors que les filles sont d’abord évoquées selon leurs émotion et leur apparence. Et ce clivage filles/garçons est encore plus fort à l’adolescence avec des usages très différents des écrans (shopping et activités scolaires pour les filles, jeux vidéos et informations pour les garçons).
Des actions éducatives indispensables
Les représentations stéréotypées persistent et réduisent donc la liberté de choix des filles. Tous les acteurs de l’éducation ont un rôle à jouer dans la réduction du clivage fille/garçon, d’abord en étant vigilant à l’attention portée à chacun, mais aussi en renforçant les actions éducatives favorisant la mixité et le respect mutuel.
Des associations, mais aussi des collectivités, mettent en place des dispositifs en ce sens : journées spéciales, théâtre-forum, diffusion de film… La fête de la science qui a lieu en ce moment-même est aussi l’occasion de sensibiliser chacun à ces questions.
Laure Etevez