Une modification mineure est introduite : «Le conseil de discipline ainsi recomposé, comprend trois catégories de membres : l’équipe de direction, les représentants des personnels et les représentants des usagers (parents et élèves) ». Le but est explicite et c’est cela que l’on va médiatiser : «réaffirmer l’autorité des enseignants » pour « lutter contre les actes qui portent atteinte à leur autorité ». Le parent de base applaudit des deux mains, même si le parent délégué y perd un peu de sa place.
Il est ainsi un ministre heureux. Heureux d’être censé faire son travail. Heureux de plaire à son électorat. Ah si les choses étaient aussi simples en éducation… cela se saurait !
D’abord il est amusant de remarquer que le parent qui n’arrive plus à se faire obéir de son chérubin dès l’âge de 3-4 ans, ne serait-ce que pour aller au lit le soir, se lamente du laisser-aller des enseignants, laissés seuls à eux-mêmes et confrontés à 40 adolescents en rupture de société !
Ensuite qu’en est-il du terrain ? J’ai l’occasion de travailler très souvent dans des écoles ou des collèges de banlieues difficiles. Devant des comportements d’élèves que je jugeais incorrects, je me suis risqué à quelques remarques un peu fermes. Leurs réponses sont chaque fois significatives ! Par exemple, chaque fois que j’ai interpellé des jeunes sur le fait qu’ils fumaient dans la cour alors que c’était interdit, leur réponse était immédiate. « Et les profs, ils fument bien dans la salle des profs, on leur dit quelque chose ?» Un élève plutôt insolent avec un enseignant et à qui je le faisais observer : « Tu as vu, M’sieur, comment il m’a rendu ma copie. Tu veux que je le respecte… toi ». A une autre occasion où je m’insurgeais auprès de jeunes sur le fait que tous passaient par-dessus le portillon du métro sans payer : « Et Chirac, tu crois qu’il paye ses billets d’avion !». Comment croire ensuite à la force d’une simple circulaire ?… Les élèves ne sont pas dupes, ils sont très sensibles à l’injustice. Ils attendent autre chose des adultes à ce niveau.
Enfin pourra-t-on un jour dépasser le réductionnisme… en éducation ? Pour expliquer la faillite de l’autorité, on accuse souvent les réformes utopistes des « pédagogogues », post soixante-huitards. On leur reproche de ne rien enseigner dans des formes qui soient susceptible d’aggraver les inégalités entre les élèves, de refuser toute idée de sélection assimilée immédiatement à de l’élitisme et surtout de saper la légitimité de toute forme d’autorité. Comme si cela était une nouveauté…
Qui mit le premier l’enfant en avant et développa une pédagogie de la découverte basée sur ses besoins ? N’est-ce pas le même homme qui enseigna la haine des livres alors qu’il en écrivait beaucoup ou encore qui jeta un discrédit radical sur les salles de classe, les langues anciennes, la compétition entre enfants, et même qui osa accuser la culture de corrompre les mœurs. Cet affreux soixante-huitard attardé était… un homme du XVIIIème siècle : Jean Jacques Rousseau. Dans son traité d’éducation, l’Emile, toutes les réformes modernes supposées laxistes sont présentes.
Et si la question de cette permissivité abusive était plutôt liée à la droite libérale et mondialiste qui veut introduire à l’école la logique du marché et n’enseigner que ce qui est immédiatement utile ou rentable. Mais qui mit l’accent sur des programmes de connaissance directement centrés sur l’industrie ou les buts de Nation sinon Jules Ferry en personne, et avant lui Diderot ou Condillac. Et cela bien avant que la mondialisation ne soit à l’ordre du jour. Qui valorise la facilité à travers la télévision , la consommation effrénée de futilité ou même la mode des vacances débiles ! Toujours une certaine société de consommation à la recherche d’une rentabilité immédiate…
En éducation, on en reste ainsi aux oppositions stériles et aux anciennes recettes. Et si la question de l’autorité n’était pas dans les illusions de l’apparence ou de la forme et la solution dans une circulaire de circonstance ?…
Et si les libéraux s’interrogeaient sur les connaissances « utiles ». Pourquoi la connaissance de soi ou le vivre ensemble sont-ils toujours absents des programmes ? Et s’ils se questionnaient sur ce que veut dire « autorité » pour un jeune. Pourquoi la clarification des valeurs n’est-elle qu’un ersatz du cours de philosophie en terminale ?
La « compétence » (de l’autorité) et « la personnalité » du prof sont toujours mises en avant par les élèves. C’est cela qu’ils attendent avant tout d’un enseignant. Mais alors pourquoi n’investit-on pas plus dans la formation ? Pourquoi continue-t-on à les inhiber par les modes de recrutements, de formation et de gestion infantile au quotidien ? Qu’attendent nos autorités pour en prendre conscience ? Et si dans le cadre d’une formation continue, l’on faisait travailler les profs sur leur personne ?…
Puisse cela faire l’objet de prochaines circulaires… du moins si l’on croit à leur vertu pour transformer un système éducatif. Mais cela est une autre question.
André Giordan
Université de Genève
Auteur de « Une autre école pour nos enfants », Delagrave, 2002.