Sociologue, Georges Felouzis a beaucoup travaillé sur les inégalités à l’école et particulièrement sur « l’apartheid scolaire », c’est à dire l’éclatement du système éducatif sur une base de ségrégation ethnique. Une réalité qu’il avait mise en évidence dans le Bordelais mais qui est visible dans nombre de lycées professionnels. Pour lui les inégalités mises en évidence dans Pisa confirme un diagnostic déjà posé : l’école française s’éloigne de son modèle républicain.
Le système éducatif français s’avère parmi les plus injustes socialement selon PISA 2012. Ainsi en maths, les élèves issus de l’immigration ont deux fois plus de chances d’être en difficulté que les autochtones. 43% sont en dessous du niveau 2. Pour ceux de la première génération l’écart est de 83 points en France et de 32 points pour la seconde génération. Comment expliquer une inégalité aussi criante entre jeunes immigrés et autochtones ? Et qui continue sur la 2de génération ?
Il faut d’abord souligner que les enquêtes PISA produisent une photographie des compétences de jeunes de 15 ans dans chaque pays et que l’un de leurs atouts est de permettre une comparaison des inégalités scolaires dans chaque pays participant. Un des critères de cette comparaison est l’équité, c’est-à-dire la capacité à réduire les inégalités d’acquis entre élèves favorisés et défavorisés au plan socioéconomique, mais aussi au plan de leur parcours migratoire ou encore de leur sexe. Et selon ce critère d’équité, la France est assez mal placée car les inégalités y sont très marquées, montrant que l’école en France n’atteint pas ses objectifs de garantir l’égalité des chances entre élèves, quelle que soit son origine. C’est là un problème récurrent de l’école en France.
La question est alors de savoir pourquoi les inégalités sont aussi marquées. Il n’est pas aisé de répondre simplement à cette question car les mécanismes de production des inégalités scolaires sont complexes. Quoi qu’il en soit, il est clair que si 43% des élèves migrants et issus de l’immigration sont en dessous du niveau 2 (le niveau minimal de compétence selon les critères PISA), cela dénote une incapacité du système éducatif à garantir un niveau d’acquis minimal pour tous les élèves. En ce qui concerne les causes explicatives de ces inégalités, il n’est pas inutile d’aller voir du côté des conditions de scolarisation et de la ségrégation scolaires, notamment au niveau collège. Les élèves issus de l’immigration sont bien plus souvent scolarisés dans des établissements dont le public cumule les handicaps au plan socioéconomique, linguistique et autres. Cela implique des conditions de scolarisation peu favorables aux apprentissages et un climat scolaire dégradé. Au plan pédagogique, cela signifie que le corps enseignants a du mal à enseigner dans ces contextes scolaires, d’autant qu’on nomme plus souvent dans ces collèges des débutants ou des enseignants peu expérimentés. Cela revient à donner moins à ceux qui ont déjà le moins, et cela enfonce encore plus les élèves les plus défavorisés au départ.
Plus inquiétant : A niveau social égal, leur score est inférieur de 37 points à celui des autochtones. Peut-on parler d’un fonctionnement ethnique du système éducatif ?
Le fait que le handicap scolaire des élèves migrants reste aussi fort lorsqu’on prend en compte leur origine sociale montre le poids du déterminisme social lié à l’origine migratoire. Ce déterminisme est d’autant plus marqué que la ségrégation scolaire se construit en grande partie sur des critères ethniques. Même si la mesure objective de cette ségrégation reste difficile à mettre en œuvre en France, beaucoup de travaux ont montré la mise à l’écart des élèves issus de l’immigration, au plan scolaire comme au plan urbain. La ségrégation scolaire se construit en grande partie sur des critères ethniques car le choix de l’établissement et l’évitement de certains collèges se fait à partir des caractéristiques externes et visibles du public des établissements. Et dans ce cas, le critère ethnique devient très fort. La mesure objective de cette ségrégation reste difficile à mettre en oeuvre en France car aucune « statistique ethnique » n’est disponible. Mais, beaucoup de travaux ont montré la mise à l’écart des élèves issus de l’immigration, au plan scolaire comme au plan urbain. C’est ce que j’avais montré avec Françoise Liot et Joëlle Perroton dans « L’apartheid scolaire » en utilisant la nationalité et le prénom des élèves. La ségrégation en fonction de l’origine ethnique des élèves est bien plus marquée qu’en fonction de leur origine sociale ou économique. Et cette mise à l’écart est un facteur déterminant de leur piètre acquis scolaires relativement aux natifs.
Enfin il y a l’injustice sociale. en France quand on appartient à un milieu défavorisé on a nettement moins de chances de réussite. L’écart entre favorisés et défavorisés atteint 57 points en 2012 contre 43 en 2003 et 39 pour la moyenne Ocde. Quels mécanismes expliquent cette croissance des inégalités ?
Il y a en effet un paradoxe français qui consiste à mettre en avant les discours les plus dithyrambiques sur les principes d’égalité à l’école, sur le « collège pour tous » et l’ascension sociale par l’école, tout en proposant un système éducatif parmi les plus inégalitaires de l’OCDE. Le pire étant que ce paradoxe s’accentue ces dernières années : plus l’école est inégalitaire, plus les discours sur l’égalité de tous sont mis en avant… De plus cet accroissement des inégalités sociales à l’école mesuré par les enquêtes PISA est confirmé par les enquêtes françaises de la DEPP. Il ne s’agit donc pas d’un artefact lié à la conception des tests PISA que passent les élèves. On peut expliquer cette croissance des inégalités par une accentuation de la différenciation de l’offre scolaire : aujourd’hui les établissements scolaires, notamment au niveau de secondaire obligatoire, tendent à se substituer aux filières d’avant la réforme Haby de 1975 : les établissements se diversifient de plus en plus au plan de la nature de leur public (au plan socioéconomique comme ethnique et culturel) et l’offre d’éducation réelle n’est pas la même non plus. C’est ce que Samuel Charmillot et moi-même montrons dans notre ouvrage sur les enquêtes PISA : les inégalités scolaires s’accroissent avec la ségrégation scolaire.
Certains pays, comme l’Allemagne, ont réduit leurs écarts sociaux et ethniques. Quelles politiques mener pour y réussir ?
L’opinion publique allemande comme les politiques ont été plus réceptifs que les français aux résultats PISA. Dès 2000, les résultats PISA ont constitué un véritable électrochoc car les Allemands découvraient que les inégalités liées à l’origine sociale, migratoire et ethnique étaient extrêmement fortes. Les inégalités en Allemagne sont essentiellement dues à l’organisation de l’enseignement secondaire en filières très différenciées dès la fin de l’école primaire. À 11 ans, les élèves sont orientés dans l’une de ces filières et leur destin scolaire est a peu près scellé à ce moment là. Les Allemands n’ont pas réformé de façon radicale ce système mais ils ont repensé les plans d’étude de façon à moins pénaliser les élèves orientés en Hauptschule et faire en sorte qu’ils acquièrent le mieux possible les apprentissages de base. Cela a été déterminent.
La France ne participe pas à l’enquête PISA par établissement. Quelles informations cette participation pourrait-elle nous donner ?
La raison officielle de ce refus de la France de communiquer les résultats en fonction des établissements est liée à un problème d’échantillon. PISA enquête auprès d’élèves de 15 ans révolus. Or c’est aussi à cet âge qu’intervient le palier d’orientation en fin de troisième. Cela pose un problème car tous les élèves qui ont redoublé au moins une fois sont encore dans un collège et tous ceux qui sont à l’heure ou en avance (c’est-à-dire les meilleurs élèves) sont au lycée. Cela peut donc sur estimer la variance des scores expliquée par l’établissement. Pour ce qui est du questionnaire destiné aux chefs d’établissement, là encore la France refuse de le renseigner. Ce refus est difficile à expliquer car la France est le seul pays dans ce cas. De façon très simple, si ces informations étaient disponibles, elles permettraient de voir comment les différences entre établissements s’accentuent d’année en année, au plan de leur public, de leurs résultats comme de leur fonctionnement concret. Cela montrerait en définitive comment notre école est de plus en plus divisée en fonction du public auquel elle s’adresse. Tout le contraire des conceptions d’une école « républicaine ».
Propos recueillis par François Jarraud
Pour casser les ghettos
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2004/analyses_49_GeorgesFelo[…]
Voir aussi F Dhume
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/02/13022012_Ethnique.aspx