Comment progresser vers les contrats tripartites entre l’État, les établissements d’enseignement (EPLE) et les collectivités locales ? Éducation et Territoire proposait une journée de réflexion sur ce thème aux cadres des directions de l’éducation des Départements et des Régions, des services déconcentrés de l’Éducation nationale et aux équipes de direction des EPLE, le 26 novembre à Paris. Ces contrats relèvent-ils de la logique pragmatique, quand les charges financières qui incombent aux collectivités continuent de s’alourdir ? Ou sont-ils le signe d’un désengagement de l’État, au risque d’un accroissement de la tutelle locale qui inquiète enseignants et chefs d’établissements, quant aux contenus d’enseignement, ou à la gestion interne des EPLE ? La mesure vise à fluidifier la gestion des établissements, entravée par le croisement parfois antagoniste des tutelles et devrait obtenir, estime-t-on, l’assentiment de tous. Mais du discours à la mise en œuvre, l’écart ne semble pas si aisé à franchir.
Dans la continuité des politiques de décentralisation
Pour Bernard Toulemonde, ancien dgesco et ancien recteur, le décret sur la signature d’accords tripartites est dans la continuité de la politique de décentralisation de l’éducation. Il vient entériner la participation croissante des collectivités locales à la gestion des affaires éducatives. Après les charges financières, puis les missions de service public, les collectivités fournissent des équipements pédagogiques (matériels documentaires, sportifs, numériques…) qui leur confère, de fait, un rôle dans les choix éducatifs. D’autre part, les régions ont la responsabilité de l’aménagement du territoire, de la prévision et de la carte des formation professionnelles, de la coordination de l’orientation. Les EPLE se trouvent ainsi au centre d’un « enchevêtrement complexe de compétences partagées » quand une « étroite collaboration des services académiques et de la collectivité est indispensable. » Le double partenariat bipartite, entre EPLE et État d’une part, et entre EPLE et collectivité de rattachement d’autre part, ne favorise pas le dialogue et la concertation nécessaire, alors qu’un seul contrat manifesterait « une volonté commune de conjuguer les efforts pour la réussite des élèves ».
« Tout le monde gagnerait à cet accord »
Au terme d’une journée de conférences et de débat, Nicole Belloubet, membre du Conseil constitutionnel, ancienne rectrice de l’Académie de Toulouse et ancienne vice-présidente de la région Midi-Pyrénées, propose une synthèse des échanges. Si les politiques pédagogiques du ministère prévalent, les politiques des collectivités territoriales pénètrent dans le champ éducatif, remarque-t-elle. Le croisement de ces deux volontés au sein de l’établissement doit prendre la forme d’un partenariat actif, ce que permet l’accord tripartite. Il répond à une faculté circonstancielle, à une nécessité structurelle et à des modalités différentielles, résume-t-elle. Faculté circonstancielle parce qu’il doit permettre de dépasser les accords bipartites, trop souvent vécus comme des injonctions descendantes, de l’État vers les EPLE, ou trop rarement mis à jour par les collectivités locales, au risque de mettre les chefs d’établissement en difficulté. Ces accords bipartites juxtaposent des problématiques sans les résoudre. Peut-on espérer des nouveaux contrats qu’ils surmontent les réticences réciproques et permettent de progresser vers une co-construction des compétences publiques ? « De toute façon, on ne reviendra pas en arrière, affirme Nicole Belloubet, même s’il faut prendre en compte le temps et la faisabilité pour chaque service, sans contraindre ».
Penser l’éducation en termes de territoire
Nécessité structurelle, d’autre part, pour une mise en cohérence indispensable : les régions disposent de compétences stratégiques dans le domaine des formations professionnelles, il faut y améliorer la coordination des actions. L’intégration du projet d’établissement des EPLE dans le contrat permet d’associer les enseignants et de renforcer la cohésion interne entre les acteurs. La nécessité est également celle d’une réflexion territorialisée, pour établir le lien avec les publics en fonction des caractéristiques du bassin. A l’inquiétude exprimée par le monde enseignant, d’une mise en cause des diplômes d’État, ou encore du décalage entre des contrats de moyens passés pour 3 ans et les budgets locaux, très contraints, établis pour l’année, elle objecte l’exemple des contrats de site passés dans l’enseignement supérieur, en Midi-Pyrénées, qui constituent des schémas régionaux adaptés dans un cadre national.
« Expérimentons ! »
Modalités différentielles, en fin, pour ces contrats tripartites qui laissent le champ libre aux expérimentations. Il faut créer les conditions favorables au développement de ces accords, conclut-elle, par un dialogue politique, des expériences progressives et une mise en synergie réciproque. L’État va devoir s’interroger sur la manière dont les collectivités territoriales peuvent apporter leur soutien au fonctionnement des établissements publics d’enseignement. La négociation ne pourra plus se faire à deux, mais à trois, avec un équilibre équitable dans le partage des rôles. Les représentants des collectivités, qui sont des élus, ont besoin de visibilité et de communication ; ils veulent être visiblement associés aux discussions, jusque sur les contenus scolaires. « L’Éducation nationale, est-ce que ce doit être tout le monde, en même temps, de la même manière ? » interroge Nicole Belloubet.
Dans cette avancée vers une nouvelle forme de gouvernance, peut-être plus « démocratique » ou davantage ouverte vers la co-éducation, voulue par le ministre Peillon, il faudra sans doute encore beaucoup de temps et de dialogue pour parvenir à harmoniser les exigences et les revendications de tous les acteurs. Citant Aristophane, Nicole Belloubet rappelle que « Éduquer n’est pas remplir un vase mais allumer un feu ». Souhaitons, dans ce contexte tendu, que l’image reste purement ornementale.
Jeanne-Claire Fumet
Le site d’Éducation et territoire
Les textes de référence à consulter :
Décret n° 2013-895 du 4 octobre 2013 sur le CA des EPLE
Article L-421-4 sur l’organisation du Conseil d’Administration des EPLE