- Najat Vallaud-Belkacem : « Je crois profondément dans le rôle de l’école »
- ABCD de l’égalité : Lutter à l’école contre les stéréotypes de genre
- Des Elles et des Ils : Défaire les préjugés chez les petits ? Pas si simple…
- Education : Les stéréotypes ont de l’avenir
L’éducation nationale doit enseigner les valeurs d’égalité. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’égalité hommes – femmes. Un domaine où l’Ecole n’est pas forcément en avance sur la société…
Les inégalités entre femmes et hommes s’inscrivent dans les mentalités dès le plus jeune âge, et l’école ne manquerait pas, à sa manière, d’y participer. La différence d’exigences selon le sexe de l’enfant, la transmission inconsciente des stéréotypes de genre, n’épargnent pas le discours scolaire… Au-delà des constats, Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des Femmes a résolu de lancer une action commune avec le Ministère de l’Éducation nationale pour contrer ces tendances souvent inaperçues des acteurs eux-mêmes. Dans un entretien exclusif, la Ministre nous explique les enjeux de cette action, en particulier à travers le dispositif des ABCD de l’égalité.
Dans le cadre de votre action en faveur de l’égalité entre femmes et hommes et de la lutte contre les stéréotypes, quelle est votre attente à l’égard du monde enseignant ?
Quand on a pour ambition d’œuvrer à l’égalité réelle (et pas seulement en droit) des femmes et des hommes, on comprend vite que la réponse ne peut pas être seulement la correction ou la compensation des inégalités. Si on veut que ça change pour les générations à venir, il faut compléter ce travail de correction par un travail de prévention des inégalités. Et la meilleure façon de prévenir la formation des inégalités, c’est de lutter dès le plus jeune âge contre les stéréotypes, contre un certain nombre de représentations qui figent les rôles des filles et des garçons, de manière inégalitaire. Ce travail doit se mener dans la société de manière générale, à travers les médias par exemple qui sont un vecteur de représentation sociale très important, mais aussi et surtout a l’école ou les enfants apprennent tant.
Les études démontrent qu’inconsciemment, les enseignants reproduisent un certain nombre d’attentes et de comportements différenciés à l’égard des filles et des garçons, qui contribuent à développer chez ces derniers des caractéristiques, des compétences, et des appétences, qui ne sont pas les mêmes. On voit bien par exemple qu’on ne tolère pas la même chose des filles et des garçons : on va accepter davantage l’indiscipline des garçons, et davantage assigner les filles à un comportement plus sage, un travail plus soigné. Cela n’est pas sans conséquences au final : les garçons ont de bien moindres résultats que les filles en lecture, par exemple : peut-on s’en satisfaire ? C’est une perte de chance, pour eux. Et les filles intériorisent le fait d’être en retrait ou l’idée que l’ambition n’est pas une qualité bienvenue pour elles. Ça n’est pas mieux.
La première des exigences que nous nous sommes donc fixée, c’est de former les enseignants à mieux appréhender la question de l’égalité filles-garçons dans leur façon d’interroger, d’accompagner ou d’interagir avec les élèves. C’est l’objet des modules égalité filles-garçons que nous avons veillé à introduire dans les nouvelles formations aux enseignants désormais prodigués par les écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Les ESPE commencent à fonctionner depuis la rentrée. Je souhaite que les modules sur l’égalité filles-garçons n’y soient pas une option, mais un enseignement systématique. C’était l’intention du gouvernement et celle du Parlement, qui a voté cette loi sur la refondation de l’école, avec la volonté que l’enseignement consacré à l’égalité fille-garçon soit un élément essentiel de la formation.
Mais l’école peut-elle apporter seule de tels changements ?
Bien sûr, tout ne repose pas sur l’école ! Mais je crois profondément dans le rôle de l’école. Quand on met bout à bout toutes les années passées sur les bancs de l’école, on voit bien qu’un comportement répété de la part de plusieurs professeurs, à l’égard d’une petite fille ou d’un petit garçon, finira forcément par être profondément intériorisé. Donner davantage la parole aux garçons qu’aux filles ou créer plus d’interaction avec eux, sur 18 années, cela contribue à forger une personnalité – et ça explique que les garçons manifestent plus d’assurance personnelle avec des résultats scolaires pourtant en moyenne moins bons. Cette personnalité que les unes et les autres se forgent va compter énormément quelques années plus tard lors des choix d’orientation mais aussi sur le marché du travail : on estime ainsi que lors d’un premier entretien d’embauche, à profil égal, les jeunes femmes n’oseront négocier leur salaire à la hausse que dans 7% des cas contre 57 % pour les jeunes hommes. Les phénomènes d’autocensure et de projection de soi-même expliquent beaucoup des inégalités professionnelles que l’on rencontre encore. Tout comme l’insuffisante mixité dans les filières de formation et les métiers qui, là encore, est le résultat de représentations du monde trop figées dans les têtes des unes et des autres.
Vous avez lancé l’ABCD de l’égalité à l’égard des élèves. Ce dispositif sera-t-il accompagné d’une action de formation pour les enseignants ?
Autre module en effet, cette fois-ci à l’attention des enfants eux-mêmes : les ABCD de l’égalité. Ils sont mis en œuvre cette année de façon expérimentale dans 600 écoles de dix académies avant d’être généralisés si les résultats de l’évaluation que nous menons sont satisfaisants. L’idée est celle d’un apprentissage de l’égalité entre filles et garçons, de la maternelle à la fin du primaire, que l’enseignant, à l’aide d’outils pédagogiques adaptés qui lui sont fournis, pourra introduire au moment qui lui semblera le plus propice. Ce peut être par exemple pendant le cours d’éducation physique et sportive, qui se prête bien aux questions d’appropriation de l’espace public ou de confiance en soi, ou pendant le cours de dessin ou encore d’histoire… les outils, qui sont à disposition sur le site du CNDP, ont été forgés par un comité scientifique qui s’est beaucoup appuyé sur les expériences que de nombreux enseignants avaient déjà développées sur le terrain. Nous avons mis en place un dispositif de formation complet des enseignants eux-mêmes qui sont désormais prêts à utiliser ces nouveaux outils avec leurs élèves. Les retours dont je dispose montrent que ces formations donnent satisfaction et qu’il y a un vrai engouement sur le terrain. Un site internet (cndp.fr/abcd-de-l-egalite) animé par une spécialiste que nous avons désignée ensemble avec Vincent Peillon, Nicole Abar, nous permet d’avoir un rendu d’expérience, des retours de pratiques, des échanges aussi, ou encore de répondre aux questions des parents, qui peuvent légitimement se demander ce qu’on apprend à l’école. Nous travaillons en toute transparence.
Quels objectifs vous donnez-vous, dans la conduite de cette action avec le monde éducatif ?
Même si ce n’est pas toujours aisé sur un sujet aussi diffus que celui-là, j’aime bien en effet me fixer des objectifs clairs et pouvoir évaluer nos progrès. Ces réformes entreprises dans le domaine scolaire ont un double objectif : œuvrer d’abord a une plus grande égalité professionnelle: nous pourrons notamment en mesurer les effets sur l’amélioration de la mixité professionnelle, qui par ailleurs devient un des axes centraux du nouveau service public d’orientation qui voit le jour. Prévenir ensuite les comportements violents ou sexistes par l’apprentissage du respect entre les sexes. Nous relançons en ce moment une enquête sur les violences faites aux femmes qui désormais fera régulièrement le point sur les évolutions en la matière. L’ambition est que ce travail sur le plus jeune âge produise en quelques années des résultats tangibles.
Avez-vous l’assentiment des associations de parents et des syndicats sur ces questions ?
Oui, globalement, ce projet est bien compris. Tous les acteurs éducatifs ont conscience que notre école doit donner toutes leurs chances aux individus et donc lutter contre tous les conditionnements qui les freinent et les enferment.
Les parents sont bien plus conscients de ces problèmes qu’on ne le croit, notamment quand ils ont une fratrie, et qu’ils constatent qu’il y a beaucoup plus d’autocensure chez leur fille que chez leur garçon. Nous avons rencontré les associations de parents qui partagent ces objectifs.
Il y a parfois des résistances. Mais il faut se garder d’accorder plus d’importance qu’elles n’en ont aux réactions plus bruyantes que représentatives. Il faut bien distinguer, en particulier, les réactions d’instrumentalisation, provenant des tenants de la « Manif pour tous », qui essaient de faire peur avec une soi-disant « théorie du genre », et les interrogations légitimes de parents curieux, auxquels nous répondons par la plus grande transparence sur ce qui est fait.
Ces réactions violentes semblent pourtant se faire l’écho d’une inquiétude profonde dans l’opinion, celle d’une confusion des genres, d’une indifférenciation entre les sexes.
Nous ne cherchons évidemment pas à nier la différence des sexes ou à détruire toute catégorisation. D’ailleurs, la catégorisation du monde par sexes est utile : elle aide à s’identifier, à se reconnaître, à trouver sa place dans la société. Mais il y a des catégorisations outrancières qui constituent une perte de chances pour les individus, en les cantonnant dans un cadre trop rigide. Et ce sont celles-là que nous interrogeons, pour offrir le maximum de chances aux individus.
Il y a des moments plus ou moins faciles pour expliquer cela, c’est vrai qu’en période de crise économique et sociale comme aujourd’hui, il peut y avoir la tentation de se replier sur des cadres connus, de s’enfermer dans des identifications traditionnelles, héritées, habituelles donc rassurantes. La lutte contre les stéréotypes, qui interroge l’univers des gens, peut alors, pour les plus inquiets, sembler malvenue et entraîne parfois une réaction de « protectionnisme » sociétal : « Pourquoi remettre en cause nos cadres maintenant, alors qu’on est déjà inquiété par tant d’autres choses ? » Je peux entendre cette réticence…
Cela doit nous pousser à être vigilants mais aussi « entraînants » dans le combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Il y a des moments où il faut savoir s’arrêter un instant pour faire consensus. Si on s’écoute, entre acteurs des Droit des femmes, on voudrait toujours aller plus vite sur le chemin de l’égalité entre femmes et hommes. Simplement, il ne faudrait pas qu’à un certain moment, sur ce chemin, on se retourne et qu’on se rende compte qu’on est juste entre nous, et que l’opinion ne nous a pas suivis. C’est un travail de pédagogie et de conviction.
Les inégalités entre femmes et hommes sont-elles constitutives de la société au point qu’on ne puisse pas y renoncer ? Les préjugés ont-ils le rôle de repères structurants jusqu’à en devenir invisibles ?
Il y a en effet, dans toute la société, une sorte d’illusion d’égalité, qui vient parfois d’une certaine méconnaissance de la réalité, mais aussi, et il ne faut pas le négliger, du fait que les gens peuvent trouver leur compte dans une organisation sociale qui, à certains égards, leur convient bien. C’est ce qui rend le combat pour l’égalité ou pour les droits des femmes très difficile : on doit dépenser beaucoup d’énergie à convaincre les gens qu’il y a un problème avant même de se mettre à le résoudre !
C’est ce qu’on retrouve à l’école : comme il est acquis pour tout le monde que l’école est mixte, on a l’impression d’une complète neutralité sur ces questions. Or nous avons suffisamment de recul maintenant pour comprendre que derrière la neutralité se cache souvent une discrimination inconsciente, et que l’égalité, loin d’être spontanée, doit se penser. Contrairement à la question de la lutte contre le racisme, dont les gens semblent avoir bien pris conscience, (ce qui n’empêche d’ailleurs pas les régressions…) l’égalité filles-garçons ne se pense pas encore assez.
Peut-on parler d’une augmentation du sexisme dans notre société ?
Le sexisme ne progresse pas mais il ne disparaît pas non plus et il devient parfois plus violent. Je ne sais pas s’il est plus apparent, si on le voit davantage et si on le dénonce davantage parce qu’il nous devient plus intolérable – ce qui serait le signe assez encourageant d’un plus grand rejet des inégalités dans notre société. Ou bien, si nous ne sommes pas dans une espèce de « crise de croissance » d’une société qui, en marche vers plus d’égalité, se trouverait à un moment de flottement, en perte de repères, ce qui créerait des tensions voire la tentation de régressions, ce qu’on appelle le backlash, et qui se manifesteraient par un accroissement des actes sexistes? Ce qui est sûr je crois, c’est qu’on va vers du mieux et que cela met la société sous tension ; certains se demandent où est leur nouvelle place, leur nouveau rôle. C’est dans ces circonstances qu’on a besoin d’acteurs vigilants : l’histoire l’a montré, le progrès vers l’égalité n’est jamais linéaire.
Vous êtes aussi en charge de la lutte contre l’homophobie et les LGTB-phobies : progresse-t-elle dans le milieu scolaire ?
Cela existe bien sûr, et c’est source de grande souffrance pour les élèves concernés. Ce dont je suis sûre, c’est que la meilleure façon d’aborder ces questions est d’ouvrir plus grand la porte des établissements scolaires à des associations agréées et compétentes pour parler de ces sujets et pour mener des interventions contre l’homophobie en milieu scolaire. J’ai eu l’occasion d’en voir un certain nombre fonctionner, et sur des sujets qui peuvent parfois mettre mal à l’aise les enseignants, sur les questions d’orientation sexuelle et plus largement d’éducation à la sexualité, les meilleurs interlocuteurs sont les associations.
Tous ces sujets ont fait et font l’objet de vives controverses : est-ce le signe d’une vraie réflexion de la part de l’opinion publique ?
C’est possible. On voit par exemple que le PACS n’a jamais été autant soutenu que lors des débats sur le mariage pour tous, alors que la discussion avait été vive quelques années plus tôt lorsqu’il avait été adopté. Les débats virulents d’aujourd’hui préparent peut-être plus de sérénité pour l’avenir, sur ces questions. De toute façon, nous sommes un pays qui aime le débat et c’est tant mieux: on ne peut pas avancer seulement entre gens convaincus de ce qu’il faut faire. Un responsable politique doit convaincre et pour cela faire comprendre son propos.
Vous-même, en un sens, vous êtes emblématique du dépassement des déterminismes sociaux : cela a-t-il déterminé vos convictions politiques ?
Je ne me suis jamais appuyée sur mon expérience personnelle pour faire de la politique. J’ai la chance de n’avoir jamais été victime de discrimination : si je m’appuyais sur mon propre vécu, je ne m’intéresserais pas à ces questions. J’estime que faire de la politique, c’est savoir s’identifier à tout le monde et porter les projets de société qui vous semblent justes, pas se référer à soi ou à sa propre expérience, forcément réductrice.
Quel message adresseriez-vous aux enseignants ?
Ils ont de l’or entre les mains : leur confier ce bien précieux de l’apprentissage de l’égalité entre les filles et les garçons, c’est leur confier la construction de la société de demain à l’aune de valeurs essentielles. C’est une marque de confiance, une manière de leur dire : vous êtes en capacité de contribuer à faire des citoyens non seulement libres et éclairés, comme vous le faites déjà, mais aussi égaux.
Peut-on espérer aussi un progrès de l’égalité dans l’institution ?
Il y a encore des choses à faire, de ce point de vue et c’est pourquoi le ministère de l’Éducation nationale s’est donné une feuille de route pour cela, dont il rendra compte au prochain comité interministériel aux droits des femmes. Mais nous avons déjà ces derniers mois réalisé de gros progrès: voyez par exemple le principe de parité que nous avons introduit dans les instances de gouvernance de l’Université, (loi enseignement supérieur) c’est absolument inédit, aucun autre pays ne l’a fait. La parité entre aussi dans l’organisation du système scolaire, dans le conseil supérieur des programmes, le Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative ou encore le Conseil national d’évaluation du système scolaire. Ce sont des choses qui vont durablement marquer de leur empreinte et faire évoluer la société.
Propos recueillis par Jeanne-Claire Fumet
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- Education : Les stéréotypes ont de l’avenir
Si l’égalité de droits entre femmes et hommes est reconnue comme un enjeu démocratique essentiel, les inégalités de fait perdurent, en particulier dans le monde professionnel. Les stéréotypes de genre semblent resurgir de plus belle, à travers de violentes polémiques qu’on croyait dépassées. Ultime refuge contre les bouleversements du monde contemporain ou survivance de réflexes identitaires archaïques ? Le Ministère des Droits de Femmes et le Ministère de l’Éducation nationale, associés dans le projet « ABCD de l’égalité », ont en tout cas décidé de mener une lutte précoce contre ces préjugés qui figent les rôles et entravent les individus. Mis en chantier depuis la rentrée et expérimenté à partir de la Toussaint dans 600 classes de 10 académies pilotes, le projet doit être généralisé à la prochaine rentrée.
Des images qui emprisonnent
Pas simple, de lutter contre les stéréotypes de genre, surtout à l’heure où ils sont brandis comme le dernier bastion des repères culturels et sociaux. Ces lieux communs consensuels où tout le monde se retrouve, cultures et origines sociales confondues, ont la commodité des vieilles connivences. Lutter contre ces traditions se révèle une tâche ingrate pour l’enseignant, accusé de briser les rêves ou soupçonné de militantisme idéologique… Au pays des stéréotypes, les filles ont de longs cheveux et robes roses, les garçons sont forts et audacieux avec des pouvoir surnaturels. Ces images restent plébiscitées dans l’iconographie et l’imagination populaire ; mais derrière elles, se construit une vision réductrice du monde, où les garçons conquièrent et où les filles se réservent. Modèle qui alimente généreusement la matrice des inégalités sociales, professionnelles et familiales, que l’on attribuera ensuite, avec fatalisme, à un ordre naturel des choses, adossé si besoin à des considérations biologiques.
Un site et un blog édités par le CNDP
Pour sortir de ce cercle, les contributeurs du site « ABCD de l ‘égalité », hébergé par le CNDP, proposent des voies d’échappement : un matériel pédagogique, comprenant des vidéos de chercheurs et de pédagogues, des séquences, des documents téléchargeables, permet de construire un enseignement de l’égalité qui s’intègre aux objectifs du Socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Les outils sont destinés particulièrement aux enseignants des classes primaires et maternelles, mais ils sont accessibles à tous, notamment aux parents désireux d’en connaître les contenus. Le blog du site, animé par Nicole ABAR, chargée de mission ABCD de l’égalité, se propose d’accueillir les retours d’expérience, les témoignages de pratiques, les commentaires, échanges et partages qui naîtront de leur mise œuvre. L’un des objectifs de la démarche consiste à faire prendre conscience de la multiplicité des vecteurs de transmission des images stéréotypés du féminin et du masculin, de ces modèles que l’on transporte au quotidien sans même s’en rendre compte et qui finissent par s’imposer mécaniquement.
Il est impossible d’élever un enfant « neutre »
Car quelles que soient les bonnes dispositions des adultes, le sexe de l’enfant constitue un élément déterminant de son identité au regard de ses proches. Comme le rappelle Véronique Rouyer, maître de conférences en psychologie du développement de l’enfant à l’Université de Toulouse, dans l’une des conférences consultables sur le site, le marquage du sexe de l’enfant est un élément essentiel pour les parents et l’entourage, même bien avant la naissance – raison pour laquelle la naissance d’un enfant intersexué, ou même les cas d’incertitude sur le sexe du bébé, inhibent les échanges et bloquent les représentations dans son entourage. A l’inverse, les hypothèses sur les origines biologiques des comportements (génétique, hormonal) ont le plus grand succès auprès du public ; de même, on traque avec passion les différences cérébrales supposées entre les sexes comme des clés objectives de la condition humaine. Il est beaucoup moins aisé d’attirer l’attention sur les différences de comportement éducatif, qui traduisent un ordre de valeur implicite commode mais peu justifiable. On a pu observer, par exemple, comment la prise de risques est interrompue très vite pour une petite fille alors qu’on laissera son frère aller beaucoup plus loin. Le choix des vêtements, les exigences de soin, de docilité ou de propreté, entraveront beaucoup plus l’activité physique des filles – mais on attribuera spontanément ces empêchements à un manque de goût naturel des filles pour l’action. Ce sont souvent les visions des adultes qui structurent involontairement les déterminismes comportementaux dits « naturels » des enfants selon leur sexe.
Identité sexuée et acquisition de genre
Sujet de controverse s’il en est, la question du genre ne manque pas de susciter de nombreux contresens. Il importe de comprendre, explique encore Véronique Rouyer, que l’identité sexuelle n’épuise pas la question de l’acquisition du genre. L’identité sexuée est une construction sociale, qui renvoie aux rôles conventionnels des sexes. Elle admet une dimension objective, mais aussi subjective dans le sentiment de la féminité ou de la masculinité ; la manière d’éprouver sa relation au genre est, en effet, différente pour chaque individu. Cette variabilité permet des croisements qui ne s’accordent pas aux stéréotypes : une femme peut aimer s’habiller de manière dite féminine et se plaire à des activités connotées au masculin, de même qu’un homme peut se reconnaître dans des modèles très masculins et se sentir porté vers des activités délicates. Ces nuances de la réalité vécue entrent en collision avec les stéréotypes établis : la confusion entre l’identité sexuelle et le rapport au genre conduit à ne pas tenir compte de la variabilité qui s’y joue. La peur de l’homosexualité, en particulier pour les garçons, confère une force très contraignante socialement et psychologiquement, aux comportements stéréotypés. Pourtant, la fixation rigide des symboles de genre fragilise l’enfant dans sa compréhension de sa propre identité. Un jeune enfant, par exemple, va croire facilement que changer de jeu ou de vêtement peut faire changer son sexe biologique. Le rôle de l’adulte est alors de l’accompagner dans la consolidation de son identité, sans l’enfermer dans son appartenance à une catégorisation binaire absolue.
Le débat n’est pas nouveau et on pourrait penser le combat d’arrière-garde, si la revendication d’une scission binaire de la société, fondée sur la différence des sexes, ne revenait pas bruyamment aux premiers rangs de l’actualité : appel au boycott d’une enseigne qui ne sépare pas les jouets de Noël par sexe, mise en garde contre un « complot » visant à la confusion des genres, etc. L’effort d’une éducation précoce à l’égalité doit permettre aussi aux adultes de mieux comprendre la construction et les enjeux des stéréotypes que l’on contribue malgré soi à propager, et qui échappent inévitablement à la vigilance éducative.
Jeanne-Claire Fumet
Le portail ABCD sur le site du CNDP
http://www.cndp.fr/ABCD-de-l-egalite/accueil.html
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- Education : Les stéréotypes ont de l’avenir
À Villeneuve d’Ascq, le Forum départemental des Sciences s’intéresse aux tout-petits : comment éveiller leur étonnement et leur intérêt pour ce qui les entoure ? Cette année, la question de l’égalité entre filles et garçons était à l’honneur, à travers l’exposition « des elles, des ils » conçue pour les 3-6 ans. Stéréotypes et préjugés de genre, une thématique encore difficile à soutenir face à un public parental mitigé. Au terme de sa saison lilloise (clôture le 10 novembre) et avant de partir pour d’autres lieux d’accueil, le bilan de l’exposition apparaît plutôt encourageant pour l’équipe du Forum et son directeur, Franck Marsal.
Pareils, pas pareils, question de point de vue
Une quinzaine d’enfants et autant de parents se pressent dans les locaux du Petit Forum : en période de vacances scolaires, les enfants viennent en famille. Fratries et accompagnants de tout âge se mêlent, sous le regard diligent des deux animatrices, rompues à l’exercice. Un premier atelier, une roue des différences, invite les enfants à se regrouper par thèmes de similitude : ressemblances physiques (cheveux), vêtements, animaux domestiques ou sexe. Chaque fois, l’option « je ne choisis pas » est également proposée. « On est tous pareils, chantonne l’une des animatrices, on a deux bras, deux jambes – et pourtant, on est différents ». Similitude et singularité, on n’est pas associé aux mêmes enfants selon le critère choisi.
Les émotions : « quand on fait de drôles de tête »
Un second atelier porte sur les émotions (« c’est quand on fait des drôles de tête », explique un enfant) : identifier l’expression des visages (joie, tristesse, colère, peur) et mimer cette émotion dans des miroirs en kaléidoscope, le processus de reconnaissance fonctionne pleinement et déride même les plus réticents. Vient ensuite la boîte à objets : on pioche un objet (os, clé à molette, passoire, palette de peintre) et on en cherche l’image dans les livres mis à disposition, choisis en relation avec le thème de l’exposition. Un adulte peut alors lire l’album avec l’enfant. Autres activités : un livre géant dont les pages constituent des moitiés de personnages à apparier dans des activités diverses, un jeu de cubes des métiers où les professions sont représentées par des hommes ou par des femmes ; une palette des préférences, enfin, qui permet de sélectionner ses activités préférées parmi un large choix et de comparer avec les autres enfants.
S’abstenir d’appréciations normatives
L’idée du dispositif est née d’une précédente exposition sur la question du vivre-ensemble : destinée à des enfants plus âgés, elle a conduit à se demander ce qui permet de dire qu’on est un homme ou une femme. Les réactions se sont révélées assez riches pour motiver un travail plus approfondi. En collaboration avec l’Éducation nationale et l’Université de Lille, dont sont issus les membres du Comité scientifique, ‘équipe du Forum a conçu cette approche originale. « Ce n’est pas simple, de travailler sur les stéréotypes liés au sexe, reconnaît Franck Marsal, directeur du Forum des Sciences. Pour en parler, il faut les évoquer, les rendre perceptibles ; on court alors le risque de les renforcer. Et il faut trouver la forme et la manière adaptées aux enfants, à leur âge et à leur degré de développement ». Le parcours a été minutieusement préparé, par des journées de formation sous forme de colloques universitaires. Les animatrices se gardent de toute appréciation normative, elles ne guident pas, n’insinuent pas, questionnent au plus simple les énoncés des enfants. Mais les réactions des parents dissimulent mal leur embarras : (« Ah, mais tu vois bien que c’est une dame : elle a les cheveux longs et des boucles d’oreille… » ou encore « heureusement que les papas ne mettent pas de rouge à lèvres ! » ).
Travailler avec le public familial, un enjeu culturel
Franck Marsal estime que l’intégration des familles est un enjeu essentiel de partage culturel. S’il est plus aisé de travailler avec des groupes scolaires, les ateliers avec les parents sont une ouverture féconde : « Nous ne sommes pas là pour juger ce qu’ils apportent, mais pour faire ensemble, découvrir avec eux. Nous essayons de limiter leur guidance à l’égard des enfants, mais nous ne cherchons pas non plus à les contraindre dans des valeurs ou des savoirs établis ». Pour cet agrégé de mathématique, ingénieur en économie, qui a renoncé à l’enseignement faute d’une suffisante liberté pédagogique, la dimension du partage des savoirs et de l’accompagnement est fondamentale. « Nous sommes tout aussi demandeurs de projets et d’initiatives d’enseignants à relayer dans notre site. Nous voudrions développer nos activités en parallèles avec les demandes des enseignants ». Franck Marsal admet aussi que le thème choisi cette année n’a pas été facile : la fréquentation est moindre que sur les précédentes expositions pour le même public (environ 10 500 visiteurs au lieu de 15 000) et les réactions sont partagées. Une enquête auprès des visiteurs devrait permettre bientôt une analyse plus précise de l’impact sur le public.
Les images peuvent-elles être neutres ?
Mais au-delà des réactions liées aux préjugés, le sujet est en soi difficile : comment aborder les stéréotypes en tant que tels auprès de si jeunes enfants ? Comment les mener à une distance critique alors même qu’ils se construisent d’après un monde d’images et de normes forcément conventionnelles et stéréotypées ? « Croyez-vous que ce serait plus facile plus tard ? Que les adultes seraient plus distants à l’égard des préjugés ? Pourquoi serait-ce trop tôt alors que le problème ne va aller qu’en s’aggravant ? », remarque Franck Marsal. Déjà, entre des enfants de 3 et 6 ans, des différences considérables se jouent en termes de maîtrise des représentations. « Et il y a une part de convention qui est nécessaire aux échanges et à la communication », rappelle Franck Marsal. Comment alors trouver le juste biais entre crédulité utile et souci de justesse ? Les images utilisées dans les supports matériels de l’exposition, par exemple, convoquent parfois des connivences ou des symbolismes discutables (la silhouette de l’option « je ne choisis pas » de la roue des ressemblances est clairement d’un adulte masculin ; la console vidéo de la palette des préférences n’est pas identifiable par les petits). Mais peut-on faire des images à la fois ressemblantes et neutres ? Leur pouvoir de suggestion ne réside-t-il pas justement dans les connotations et les associations qu’elles provoquent ? Comment sortir des images par l’image, des mots par la parole ?
Peut-être, simplement, en se fiant à la puissance évocatrice de la fiction et de la poésie : choisis avec beaucoup de soin, les albums qui accompagnent le parcours de l’exposition offrent une réponse implicite à cette gageure. Une manière de montrer sans démontrer, d’évoquer sans provoquer, qui illustre fidèlement l’esprit dans lequel a été conçu le dispositif.
Exposition « des elles, des ils » – Enfants de 3 à 6 ans accompagnés. Forum des Sciences de Villeneuve d’Ascq – jusqu’au 10 novembre 2013, puis au Cap Science à Bordeaux du 5 avril au 31 août 2014.
Jeanne-Claire Fumet
Le site de l’exposition
http://www.forumdepartementaldessciences.fr/exposition-petit/des-[…]
http://www.forumdepartementaldessciences.fr/wp-uploads/visuels/bib[…]
Prochainement au Petit Forum : Croque-couleurs, du 4 décembre 2013 au 9 novembre 2014.
Découverte de la perception sensorielle subjective des couleurs, des effets et des illusions d’optique, des jeux de lumières… Pour les 3-6 ans accompagnés.
http://www.forumdepartementaldessciences.fr/croque-couleurs/
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La publication du Bilan social de l’éducation nationale apporte de nombreuses données sur les caractéristiques de la population enseignante. Bien sur à propos de sa démographie avec la perte de 200 000 personnels en moins de 10 ans entre 2003 et 2011. Le bilan pointe aussi les inégalités dans le système éducatif. On notera particulièrement les inégalités de sexe et d’affectation.
Sera-t-on surpris d’observer une inégalité dans l’accès aux corps d’enseignement ? Si les femmes dominent largement les corps de professeur des écoles ou de certifiés, on atteint la parité avec les agrégés et il y a deux hommes pour une femme pour les professeurs de chaire supérieure. Evidemment cela impacte les revenus. A l’indice 300, 77% des salariés de l’éducation nationale sont des femmes, à l’indice 900 seulement 39%.
Mais peut-être que le graphique le plus intéressant concerne les disciplines. Si l’on compte 80% de femmes chez les professeurs de langues ou de lettres on n’en a plus que 43% en maths et 39% en philosophie. On descendrait à 26% en technologie, 7% en STI, 4% en génie. L’intérêt de ces données c’est de montrer que les enseignants eux-mêmes ont intégré les stéréotypes de genre. Or on leur demande de les dénoncer…
Dernière inégalité : l’affectation en ZEP. On peut constater que plus on a un statut précaire ou plus on est en bas de la pyramide des corps enseignants plus on a de chance de se retrouver en ZEP. L’Ecole est bien au diapason de la société.
F. Jarraud
Le bilan social
http://cache.media.education.gouv.fr/file/2011-2012/34/7/DEPP_bila[…]
Sur le site du Café
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