Comment adapter le métier d’enseignant à ses missions ? Les établissements scolaires innovants sont-ils un exemple de nouvelle professionnalité ? Le climat de l’établissement constitue-t-il un facteur favorable à l’enseignement ? En quoi le « faire équipe » change-t-il la professionnalité enseignante ? Autant de questions complexes sur lesquelles chacun des intervenants du colloque organisé par la Fédération des établissements scolaires publics innovants (FESPI) et la Dgesco, le 6 novembre à Vitry, a apporté expérience, réflexion, éclairage, mise en perspective, sans prétendre détenir des solutions. Enseignants, formateurs, chercheurs et syndicalistes, de tables-rondes en ateliers, ont réfléchi ensemble aux changements du métier et à ses conditions d’exercice, alors que se profilent concertation et négociations avec le ministre.
Interroger les missions : des éléments de consensus
La table-ronde syndicale « Réflexions et conditions d’une nouvelle professionnalité » a été l’occasion d’un échange plutôt franc entre les représentants syndicaux présents (Sgen-Cfdt, Se-Unsa, Snpden, Snes). Luc Cédelle a introduit le débat sur la responsabilité des organisations syndicales dans l’échec récurrent des tentatives de « réformes » du métier menées par les politiques, d’une part, et sur leurs réticences supposées face aux expérimentations innovantes, d’autre part.
Frédérique Rolet, du Snes, s’en tient au « cœur » du métier même si elle reconnaît volontiers l’importance des évolutions (en termes de formation, de pratiques et de contenus des enseignements). Elle constate également le caractère inégalitaire du système. Elle insiste aussi sur les difficiles conditions d’exercice du métier ou « travail empêché » lié aux nombreuses injonctions venues d’en haut. Si elle se montre consciente des nécessaires évolutions des programmes et des pratiques, en raison du développement de la culture numérique notamment, la représentante du Snes plaide toujours pour ce qui fonde à ses yeux l’engagement enseignant : le goût de sa discipline et l’intérêt pour le contact avec les élèves. Pour elle, le débat sur les missions doit précéder celui sur les statuts. L’accord sur l’interdisciplinarité et l’évolution des programmes en ce sens ne doit pas cacher la complexité d’une remise en cause des grilles horaires entrant dans la définition du service. Des moyens exceptionnels et des dispositifs différents peuvent accompagner l’expérimentation. Mais dans les situations « ordinaires », le Snes fait toujours l’éloge de la « spécificité » de chaque métier de l’éducation nationale et reste rétif au mélange des genres.
Claire Krepper, du Se-Unsa insiste sur la revendication montante d’autonomie et de responsabilité. A ses yeux, l’enseignant est un « acteur collectif » dont il convient de prendre en compte le travail au-delà et en dehors de la classe car il peut remplir des missions de coordination, d’ingenierie éducative. Aussi son implication dans une « intelligence collective » doit être privilégiée devant l’évaluation individuelle au mérite. Rodolphe Echard, le représentant du Spden, confirme le renforcement de l’autonomie dans le champ pédagogique et la nécessité d’une liberté plus grande sur le terrain, en particulier dans l’expérimentation réussie. Plutôt que de se prononcer sur sa conception du « management » du chef d’établissement, il prône une réflexion sur la place des cadres (IPR compris) et une refonte de l’ensemble de la formation des acteurs du système éducatif. Refusant de se prononcer sur le temps de présence des enseignants dans l’établissement, il reconnaît la pertinence de l’entrée par les missions car cela débouche sur l’évolution du rapport au temps dans nos sociétés : temps de travail, temps de loisirs, place des NTIC et conséquences sur le métier…
Mais des désaccords…
Frédéric Sève, pour le Sgen-Cfdt, interroge le sens d’une éventuelle quantification différente du travail enseignant en termes d’heures, au regard de l’engagement éthique qu’implique le métier. A ses yeux, le service définit un « maximum » horaire comme une sorte de « garantie » pour l’enseignant mais il n’a rien à voir avec sa valeur professionnelle. Il se demande cependant comment trouver « de nouvelles garanties adaptées à l’évolution du métier ». En tant que représentant d’un syndicat favorable à « la régulation par le dialogue social » plus qu’à l’élaboration d’une règle, il préconise la possibilité pour les équipes de se donner des garanties localement : par exemple, enseigner 18 heures à 3 classes ce n’est pas le même travail qu’enseigner 18 heures à 6 classes. Avant les négociations, il ne veut pas présenter un « statut carcan » mais il plaide pour une forme « évolutive » qui émergera des discussions et se dit encore confiant sur les marges de réforme car l’école s’est énormément transformée dans les quarante dernières années, en dépit d’un « statut » inchangé.
Dans la foulée, les représentantes du Snes et du Se-Unsa admettent l’une et l’autre la nécessité d’une reconnaissance du travail collectif, sous une forme « forfaitaire » prenant en compte la charge réelle de travail des enseignants investis dans des activités d’encadrement, de soutien ou d’animation, même si la première affiche de nouveau son attachement à la définition d’un maxima de service, tandis que la seconde admet la possibilité de variations dans les temps d’enseignement sous condition d’encadrement.
Le réel du métier et son rêve
Dans sa conférence de conclusion, Patrick Picard, de l’Institut français de l’éducation (IFé), questionne la relation entre « professionnalité et professionnalisation » et la nature des « obstacles » qui permettent d’aller de l’un à l’autre. Il insiste sur le décalage entre les fondements de l’école (transmettre des savoirs, « outiller » les élèves, développer leur estime de soi et leur capacité à agir) et l’existence d’une culture différenciée des métiers. A ses yeux, la réforme de l’Etat et l’actuelle professionnalisation interrogent le concept de « professionnalité » : la prescription dit aux enseignants ce qu’ils doivent faire mais ne dit pas « comment » le faire ; d’où des conflits sur les critères de qualité du travail. Pour lui, il y a une tension chez les enseignants entre le « mandat » de transmission qu’ils reçoivent et la supposée obligation de « produire un savoir adapté ». L’IFé a filmé des enseignants dans leur classe « tels qu’ils font et non pas tels qu’on voudrait qu’ils fassent ». Ce travail permet de voir concrètement en quoi ce métier a une histoire. On y perçoit « le réel du métier et son rêve ». Avec des enseignants confrontés à des arbitrages incessants, des tensions multiples, Patrick Picard interroge aussi la démarche d’innovation : comment faire expérience et ne pas répéter ? Pour construire une culture commune deux conditions lui paraissent indispensables : 1 articuler les 3 niveaux (apprendre/faire apprendre, Former/enseigner, Piloter) 2 entrer dans les dilemmes professionnels avec bienveillance.
Innovation et refondation
Pour George Pau-Langevin, « la refondation donne toute sa place à l’innovation » et doit « faire confiance aux acteurs de terrain ». Le déroulement de la table ronde syndicale laisse cependant supposer la complexité des négociations prochaines. Les syndicats, en dépit du « franc parler » de leurs délégués à cette réunion, ne semblent pas avoir poussé très loin leur réflexion sur plusieurs points notables comme l’articulation entre le travail individuel et le travail collectif dans la définition du métier, le rôle de l’innovation et de l’expérimentation dans le changement d’ensemble, les modes de recrutement en direction des élèves les plus fragiles (profilage, volontariat, autre gestion des ressources humaines), la transmission des savoirs et l’évolution des contenus disciplinaires ou interdisciplinaires à l’ère du numérique…A moins qu’ils aient préféré réserver la primeur de leurs propositions au ministre de l’éducation nationale en personne.
Samra Bonvoisin
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