La surveillance des élèves est une activité très ancienne dans les écoles, collèges et lycées. L’arrivée du numérique fait évoluer cette question de surveillance dans deux directions bien différentes : Que doit on surveiller en plus avec le numérique ? Surveille-t-on mieux avec le numérique ? Au delà de ces interrogations que nous allons détailler plus loin, se pose aussi plus largement l’organisation de l’établissement dans un tel contexte et même les choix éthiques sous jacents.
Au fond de chacun de nous sommeille un petit « big brother » qui aimerait bien savoir des choses sur les autres sans forcément qu’ils le sachent. L’arrivée du numérique dans le monde scolaire remet en actualité ce désir enfoui au fond du cerveau de nombre d’éducateurs. En effet dès que l’on utilise les moyens numériques ont laisse des traces qui pourraient bien être exploitées. Du contrôle d’accès dans l’établissement ou dans les salles au suivi des présences en temps réel en passant par l’utilisation des ressources numériques de l’ENT ou encore tout simplement la consultation des notes en ligne ou encore celle du cahier de texte numérique, on observe que les possibilités de surveiller se sont multipliées. Est-ce pour autant qu’il y a surveillance ? Pas forcément, mais c’est possible… alors…
La surveillance dans un établissement scolaire est, le plus souvent, associée à la gestion des comportements. C’est particulièrement le cas dans les cours de récréation. On sait depuis longtemps que la recherche d’espaces sans « surveillance » est un jeu courant de la part des élèves.Dans les salles de classe, la surveillance change de forme, car le contrôle de l’activité est d’une autre nature. Par ailleurs, la surveillance dans la salle d’examen ou de devoir porte elle sur l’interdiction d’aide (sous toute forme) ou de copie sur le voisin. Si l’on examine ces éléments, on s’aperçoit que le numérique modifie quelque peu les choses.
Dans la cour de récréation, difficile de remplacer le surveillant. Mais il est toujours possible d’utiliser des caméras reliées à un système qui permet le traitement des images. On peut imaginer une surveillance « à distance » à l’aide de caméras dotées en plus d’un système d’alerte qui se baserait sur le repérage des gestes brusques ou agressifs. Dans la salle de classe ou d’examen, la notification d’interdiction de machines numériques est clairement signifiée quand l’enseignant ou le surveillant en ont décidé (à l’instar du règlement). Cela indique donc l’hypothèse d’un usage non acceptable du fait du potentiel numérique. Même si cette interdiction est souvent difficile à faire respecter, on voit bien qu’il y a là un espace de non surveillance potentiel. La circulaire sur les détecteurs d’usage de téléphone portable dans les salles d’examen du baccalauréat illustre cette hypothèse.
Le point le plus important est que désormais surveiller a de nouveaux objets et de nouveaux moyens. Avec et par le numérique, il est désormais possible de mettre en place de nouvelles formes de surveillance qui se fondent toutes sur une base : la trace. Le fait numérique qu’il soit scolaire ou non, c’est d’abord un fait qui peut et/ou va être enregistré. Dès que je veux entrer dans l’espace numérique de l’établissement, je suis potentiellement surveillé. Le responsable informatique répond souvent qu’il n’a pas le temps de surveiller… tout ce qui passe. Mais si on le lui demande ou si on utilise ses outils, on sait que l’on va pouvoir envisager cette surveillance. Qui peut donc garantir, dans un établissement scolaire, tout comme dans une entreprise ou une administration que l’outil numérique n’est pas employé à d’autres fins que celles pour lesquelles il est explicitement revendiqué leur mise en place. Autrement dit, si l’on garde la trace d’une activité il est toujours possible d’en faire une exploitation autre que celle pour laquelle il est prévu qu’elle soit mise en place. Regardons par exemple les logiciels centralisés (Sconet) qui, si on y regarde de près, permettent d’en savoir beaucoup sur l’activité des enseignants (LPC par exemple).
Le décideur, quel qu’en soit le niveau, s’il sait qu’il a les données peut-être tenté de s’en servir. Le conseil de classe connaît déjà cela, mais de manière allégée. La trace ce sont les notes des élèves, attribuées par les enseignants. Mais les traitements possibles (statistiques) sont des vecteurs puissants d’interprétations multiples non prévues par la simple numérisation des notes. Ces traces sont au moins « contrôlées ». Mais imaginons un établissement « hyper » connecté, ayant des systèmes de badgage ou autre moyen de suivi de l’activité de l’élève (par exemple la machine sur laquelle il se connecte), il est dès lors possible de faire émerger les comportements non visibles, mais enregistrés. Comportements de toutes natures qui peuvent renseigner l’équipe enseignante sur les profils d’apprentissage des élèves, par exemple.
Finalement le monde scolaire pourrait avoir des liens avec le monde marchand, comme le vendeur qui veut connaître le comportement de ses clients pour leur vendre son produit, l’enseignant pourrait rêver de connaître mieux l’élève pour améliorer son « efficience » pédagogique. En associant surveillance, et même neurosciences, on peut imaginer (mais seulement imaginer) un nouveau big brother qui s’appuierait sur ces données pour orienter son action, à l’insu même de ceux auxquels elle s’adresse. Risque de manipulation, certes, risque d’intrusion, certes, risque simplement de perte d’humanité. Il faut souhaiter que le sens que l’on peut donner à toutes ces traces aille dans la direction d’une amélioration de la relation humaine et non pas de la surveillance : confiance ou méfiance, il va falloir choisir, même avec le numérique !
Bruno Devauchelle