Bien équipée en matériel numérique, l’école française est aussi rétive à leur usage. En voilà un paradoxe ! Les enseignants français sont à la fois parmi les plus grands et les plus petits utilisateurs du numérique en classe. Alors que s’ouvre le salon Educatice, où en est le développement du numérique éducatif en France ? Qu’est ce qui freine son développement ? Quelles perspectives pour son avenir ?
Le paradoxe français
A lire les statistiques les écoles françaises sont correctement équipées. Selon les statistiques ministérielles, il y a 5 élèves par ordinateur dans les collèges français, 3 dans les lycées généraux et 2 en lycée pro. La moitié aux deux tiers des établissements ont un débit Internet assez rapide et un cinquième un débit.supérieur à 10 Mo. Dans le primaire on compte 9 élèves par ordinateurs en élémentaire. Cette situation classe la France parmi les pays les mieux équipés en Europe.
Le classement est tout autre pour les usages. Si l’on s’intéresse aux usages des enseignants en classe, la France fait à la fois partie des pays où il y a le plus et le moins d’usages intensifs. Autrement dit, l’utilisation du numérique en classe par l’enseignants s’est banalisée dans un nombre minoritaire mais assez important d’établissements qui utilisent le matériel fourni. Il y a aussi beaucoup d’établissements où le refus d’utiliser el matériel est la règle. Mais c’est par son très faible taux d’usage par les élèves en classe que se singularise la France. Selon la même étude européenne de 2013, la France est 22ème sur 27. Seuls l’Italie, l’Espagne, la Turquie et Malte font moins bien. C’est le paradoxe français : beaucoup de matériel pour peu d’usages. Comment expliquer cela ?
Un exemple éclairant : le département des Landes
Pour y comprendre quelque chose étudions le cas exemplaire d’un département phare de l’équipement des établissements scolaires : les Landes. De toutes les expériences d’intégration profonde des TICE dans l’enseignement, celle du département des Landes est la plus ancienne et la plus exemplaire. Depuis 2001 le conseil général prête aux collégiens et aux professeurs des ordinateurs portables avec un accompagnement technique important sur le terrain. Douze ans plus tard le bilan dressé par un rapport de l’Inspection générale est nuancé. Oui cette politique volontariste a changé quelques pratiques pédagogiques dans quelques disciplines. Non elle n’a pas suffi à faire évoluer massivement les pratiques pédagogiques et a faire progresser le niveau des élèves.
« L’opération « Un collégien, un ordinateur portable » n’a pas fait progresser les élèves. » Il n’est pas possible d’établir un lien, ici comme ailleurs, entre équipement des collèges en outils et contenus numériques, d’une part, et performance des élèves », affirme le rapport. Les usages en classe sont très variables mais globalement en dessous des espoirs. Dans de nombreux établissements l’ordinateur est encore perçu comme un danger et ses usages et l’accès à Internet sont extrêmement surveillés. C’est seulement dans quelques disciplines que l’arrivée des ordinateurs a eu un impact massif sur les pratiques des enseignants. C’est le cas dans les langues vivantes, particulièrement en espagnol, avec la baladodiffusion et en arts plastiques, éducation musicale et en maths. Dans les autres disciplines le bilan est mitigé. En histoire-géographie, » le cours repose souvent sur l’usage du TBI par le professeur, associé à la recherche d’informations par les élèves sur leur manuel numérique ou sur une encyclopédie installée dans les ordinateurs ». En sciences les usages sont très inégaux. Finalement le grand enseignement de l’expérience landaise c’est qu’on ne peut pas changer l’Ecole par un simple apport de matériel numérique même quand les problèmes de maintenance sont gérés.
Comment expliquer ce paradoxe ?
L’initiative des Landes a été très peu soutenue par l’académie qui a volontiers laissé le conseil général se débrouiller. Elle n’a en rien légitimé son action. Peu d’inspecteurs ont pris le parti d’utiliser cette opportunité. Et ce frein institutionnel a été clairement perçu par les enseignants qui se gardent bien de proposer une séquence avec utilisation des TICE lors des inspections. Entre Mont-de-Marsan et Bordeaux c’est une guerre non déclarée qui se déroule. L’expérience du conseil général a donc été taxée d’illégitimité dès le départ ce qui n’est pas un mince frein.
Ainsi le problème de gouvernance apparait comme un noeud majeur dans les difficultés françaises. Tant que deux autorités se partageront le pouvoir sur l’enseignement rien d’important ne bougera. Un autre élément important est l’absence de lien entre le numérique et les résultats des élèves. Ca ne veut pas dire qu’avec le numérique les élèves ne développent pas de nouvelles compétences. Mais le numérique n’apporte pas forcément d’amélioration dans des modes d’évaluation qui sont anciens.
L’offensive Peillon
De tous les derniers ministres de l’éducation nationale, Vincent Peillon est certainement celui qui est le plus convaincu de la nécessité de développer le numérique éducatif. Le ministre récuse l’idée d’un énième « plan numérique » et parle de stratégie. Il a veillé à ce que le numérique trouve place dans la loi d’orientation. Il mise d’abord sur des ressources qui commencent à être produites. La plupart concernent le primaire. Ainsi « les fondamentaux » produits par le CNDP sont de petits films vidéos portant sur des notions au programme comme le complément d’objet. On promet 200 films différents. « English for Schools » est un site pour l’apprentissage de l’anglais développé par le CNED. D’Col proposera des aides individuelles dans 1085 classes de 6ème dans des établissements défavorisés à la rentrée. Les élèves ont 2 heures par jour pour ce travail. M@gistère propose un service de formation à distance des enseignants du primaire créé dans le cadre de la réforme des rythmes qui propose 9 heures annuelles. Enfin l’éducthèque vient d’ouvrir : elle réunit des ressources données par les grandes entreprises publiques : INA, CNRS, IGN, Louvre etc. Une grande direction du numérique éducatif devrait piloter ces développements. Elle se voit même à la tête d’une filière du numérique éducatif.
François Jarraud