À Villeneuve d’Ascq, le Forum départemental des Sciences s’intéresse aux touts-petits : comment éveiller leur étonnement et leur intérêt pour ce qui les entoure ? Cette année, la question de l’égalité entre filles et garçons était à l’honneur, à travers l’exposition « des elles, des ils » conçue pour les 3-6 ans. Stéréotypes et préjugés de genre, une thématique encore difficile à soutenir face à un public parental mitigé. Au terme de sa saison lilloise (clôture le 10 novembre) et avant de partir pour d’autres lieux d’accueil, le bilan de l’exposition apparaît plutôt encourageant pour l’équipe du Forum et son directeur, Franck Marsal.
Pareils, pas pareils, question de point de vue
Une quinzaine d’enfants et autant de parents se pressent dans les locaux du Petit Forum : en période de vacances scolaires, les enfants viennent en famille. Fratries et accompagnants de tout âge se mêlent, sous le regard diligent des deux animatrices, rompues à l’exercice. Un premier atelier, une roue des différences, invite les enfants à se regrouper par thèmes de similitude : ressemblances physiques (cheveux), vêtements, animaux domestiques ou sexe. Chaque fois, l’option « je ne choisis pas » est également proposée. « On est tous pareils, chantonne l’une des animatrices, on a deux bras, deux jambes – et pourtant, on est différents ». Similitude et singularité, on n’est pas associé aux mêmes enfants selon le critère choisi.
Les émotions : « quand on fait de drôles de tête »
Un second atelier porte sur les émotions ( « c’est quand on fait des drôles de tête », explique un enfant) : identifier l’expression des visages (joie, tristesse, colère, peur) et mimer cette émotion dans des miroirs en kaléidoscope, le processus de reconnaissance fonctionne pleinement et déride même les plus réticents. Vient ensuite la boîte à objets : on pioche un objet (os, clé à molette, passoire, palette de peintre) et on en cherche l’image dans les livres mis à disposition, choisis en relation avec le thème de l’exposition. Un adulte peut alors lire l’album avec l’enfant. Autres activités : un livre géant dont les pages constituent des moitiés de personnages à apparier dans des activités diverses, un jeu de cubes des métiers où les professions sont représentées par des hommes ou par des femmes ; une palette des préférences, enfin, qui permet de sélectionner ses activités préférées parmi un large choix et de comparer avec les autres enfants.
S’abstenir d’appréciations normatives
L’idée du dispositif est née d’une précédente exposition sur la question du vivre-ensemble : destinée à des enfants plus âgés, elle a conduit à se demander ce qui permet de dire qu’on est un homme ou une femme. Les réactions se sont révélées assez riches pour motiver un travail plus approfondi. En collaboration avec l’Éducation nationale et l’Université de Lille, dont sont issus les membres du Comité scientifique, ‘équipe du Forum a conçu cette approche originale. « Ce n’est pas simple, de travailler sur les stéréotypes liés au sexe, reconnaît Franck Marsal, directeur du Forum des Sciences. Pour en parler, il faut les évoquer, les rendre perceptibles ; on court alors le risque de les renforcer. Et il faut trouver la forme et la manière adaptées aux enfants, à leur âge et à leur degré de développement ». Le parcours a été minutieusement préparé, par des journées de formation sous forme de colloques universitaires. Les animatrices se gardent de toute appréciation normative, elles ne guident pas, n’insinuent pas, questionnent au plus simple les énoncés des enfants. Mais les réactions des parents dissimulent mal leur embarras : (« Ah, mais tu vois bien que c’est une dame : elle a les cheveux longs et des boucles d’oreille… » ou encore « heureusement que les papas ne mettent pas de rouge à lèvres ! » ).
Travailler avec le public familial, un enjeu culturel
Franck Marsal estime que l’intégration des familles est un enjeu essentiel de partage culturel. S’il est plus aisé de travailler avec des groupes scolaires, les ateliers avec les parents sont une ouverture féconde : « Nous ne sommes pas là pour juger ce qu’ils apportent, mais pour faire ensemble, découvrir avec eux. Nous essayons de limiter leur guidance à l’égard des enfants, mais nous ne cherchons pas non plus à les contraindre dans des valeurs ou des savoirs établis ». Pour cet agrégé de mathématique, ingénieur en économie, qui a renoncé à l’enseignement faute d’une suffisante liberté pédagogique, la dimension du partage des savoirs et de l’accompagnement est fondamentale. « Nous sommes tout aussi demandeurs de projets et d’initiatives d’enseignants à relayer dans notre site. Nous voudrions développer nos activités en parallèles avec les demandes des enseignants ». Franck Marsal admet aussi que le thème choisi cette année n’a pas été facile : la fréquentation est moindre que sur les précédentes expositions pour le même public (environ 10 500 visiteurs au lieu de 15 000) et les réactions sont partagées. Une enquête auprès des visiteurs devrait permettre bientôt une analyse plus précise de l’impact sur le public.
Les images peuvent-elles être neutres ?
Mais au-delà des réactions liées aux préjugés, le sujet est en soi difficile : comment aborder les stéréotypes en tant que tels auprès de si jeunes enfants ? Comment les mener à une distance critique alors même qu’ils se construisent d’après un monde d’images et de normes forcément conventionnelles et stéréotypées ? « Croyez-vous que ce serait plus facile plus tard ? Que les adultes seraient plus distants à l’égard des préjugés ? Pourquoi serait-ce trop tôt alors que le problème ne va aller qu’en s’aggravant ? » remarque Franck Marsal. Déjà, entre des enfants de 3 et 6 ans, des différences considérables se jouent en termes de maîtrise des représentations. « Et il y a une part de convention qui est nécessaire aux échanges et à la communication », rappelle Franck Marsal. Comment alors trouver le juste biais entre crédulité utile et souci de justesse ? Les images utilisées dans les supports matériels de l’exposition, par exemple, convoquent parfois des connivences ou des symbolismes discutables (la silhouette de l’option « je ne choisis pas » de la roue des ressemblances est clairement d’un adulte masculin ; la console vidéo de la palette des préférences n’est pas identifiable par les petits). Mais peut-on faire des images à la fois ressemblantes et neutres ? Leur pouvoir de suggestion ne réside-t-il pas justement dans les connotations et les associations qu’elles provoquent ? Comment sortir des images par l’image, des mots par la parole ?
Peut-être, simplement, en se fiant à la puissance évocatrice de la fiction et de la poésie : choisis avec beaucoup de soin, les albums qui accompagnent le parcours de l’exposition offrent une réponse implicite à cette gageure. Une manière de montrer sans démontrer, d’évoquer sans provoquer, qui illustre fidèlement l’esprit dans lequel a été conçu le dispositif.
Exposition « des elles, des ils » – Enfants de 3 à 6 ans accompagnés. Forum des Sciences de Villeneuve d’Ascq – jusqu’au 10 novembre 2013, puis au Cap Science à Bordeaux du 5 avril au 31 août 2014.
Jeanne-Claire Fumet
Prochainement au Petit Forum : Croque-couleurs, du 4 décembre 2013 au 9 novembre 2014.
Découverte de la perception sensorielle subjective des couleurs, des effets et des illusions d’optique, des jeux de lumières… Pour les 3-6 ans accompagnés.