Par François Jarraud
« A bien des égards, la note de vie scolaire est apparue comme un petit objet à nos enquêtés qui ne voyaient pas ce qu’ils pouvaient en dire. Ce petit objet s’est révélé finalement un angle intéressant pour la compréhension des enjeux éducatifs dans les collèges ». Pour ceux qui douteraient de cette remarque de Rachel Gasparini, maître de conférence à Lyon 1, il suffit de regarder son statut actuel. Eliminée par la récente loi d’orientation, elle n’a plus d’existence légale que par une mention dans un décret sur le brevet. Mais, alors que tous les syndicats demandent sa suppression totale, le deuil n’arrive pas à se faire. L’administration suspend la mise à mort car elle aussi dérange les équilibres fragiles du collège en reposant la question du socle.
La démonstration de Rachel Gasparini, dans « La discipline au collège. Une analyse sociologique de la note de vie scolaire (PUF) », est méthodique. Elle montre comment l’introduction de la note a entrainé un rééquilibrage interne dans les établissements entre personnels de vie scolaire, enseignants et direction. Pour chaque acteur, la note a adressé un nouveau défi qui devait être négocié avec les autres. Comment attribuer un pouvoir de notation à la « vie scolaire » ? Comment noter justement ce qui relève du comportement ? Comment introduire une évaluation de la vie dans l’établissement ? Chaque établissement a réagi à sa manière. Et paradoxalement, R Gasparini révèle que les moins surpris et le splus positifs face à l’arrivée de la note furent les collégiens assez demandeurs d’une évaluation personnalisée.
Alors qu’aujourd’hui sa suppression semble acquise, l’ouvrage montre bien l’échec de cette note. Elle a échoué à faire travailler ensemble les enseignants et les CPE sur la vie scolaire et finalement les représentations professionnelles des uns et des autres. Elle a échoué aussi à modifier les comportements des élèves. C4est même là où elle semblait devoir être la plus efficace qu’on l’a le moins utilisée. Et c’est sans doute cet échec qui explique l’accord unanime pour sa disparition. C’est un échec criant qui notifie à chaque communauté éducative ses dysfonctionnements.
Mais, une fois que le cadavre sera enterré, chacun se retrouvera face aux difficultés qui ont été à l’origine de la note. C’est aussi pour cela que l’enterrement ne presse pas…
François Jarraud
Rachel Gasparini, La discipline au collège. Une analyse sociologique de la note de vie scolaire, PUF, ISBN 978 2 13 060640 6
La note de vie scolaire a été instituée en 2006. Aujourd’hui vous parlez d’une « application molle ». Il semble pourtant qu’elle soit entrée effectivement dans les collèges. Pourquoi cette appellation ?
L’instauration de la note de vie scolaire, à la rentrée 2006 (circulaire, suite à la loi d’orientation 2005) a suscité de vives inquiétudes de la part des syndicats professionnels (notamment du côté des enseignants et des personnels de direction) et des fédérations de parents d’élèves (FCPE et PEEP). Pour la première fois, on demandait à des enseignants et des CPE, sous la responsabilité du chef d’établissement, d’attribuer une note pour valoriser les compétences sociales des collégiens et lutter contre les problèmes de discipline. Actuellement, l’avenir de la note de vie scolaire est fortement compromis : le rapport de la concertation « Refondons l’école de la République » (2013) préconisait en filigrane sa suppression : « Les compétences sociales et civiques doivent pleinement trouver leur place dans le socle commun, davantage que dans une note de vie scolaire qui a perdu tout son sens ». La nouvelle loi d’orientation n’a pas reconduit la note de vie scolaire et le Conseil supérieur de l’évaluation a adopté le 19 septembre 2013 une déclaration demandant sa suppression. En 2007, au moment où j’ai commencé ma recherche sociologique sur la note de vie scolaire, la tension était tellement retombée dans les établissements que les professionnels avaient du mal à comprendre qu’on puisse s’intéresser à un tel « petit objet » : on avait l’impression qu’il aurait été coûteux pour les professionnels de s’investir dans une opposition frontale comme dans une mise en application scrupuleuse de ce dispositif. Il était plus économique pour eux de mettre la note de scolaire, mais sans véritablement y croire, sans pénaliser les élèves (dans plus de 80% des cas la note était de 15 ou plus) et sans passer trop de temps en concertations pour élaborer la grille de notation à partir des directives nationales ou pour attribuer la note à chaque élève. C’est pour cela que j’ai parlé d’ « application molle ». Et il est vrai que ceux qui ont pris au sérieux la note de vie scolaire (car il y a eu des professionnels dans ce cas) ont constaté qu’elle était très chronophage. Le cadrage national était assez large, avec des recommandations données par des groupes académiques, mais il fallait se réapproprier tous ces éléments au niveau de chaque établissement pour quatre domaines (assiduité de l’élève, respect des autres dispositions du règlement, participation à la vie de l’établissement, obtention de l’attestation de sécurité routière et de formation aux premiers secours) ce qui engageait de grandes discussions autour de questions telles que : comment attribuer une seule note à un élève dont le comportement change selon les professionnels, comment mesurer exactement l’implication de l’élève dans l’établissement, est-il juste de baisser la moyenne d’un élève qui a de bons résultats mais un comportement inacceptable, peut-on supposer l’existence d’un comportement social positif qui ne s’est pas exprimé, etc. ?
Vous soulignez que cette note est un extraordinaire révélateur des tensions du système. Comment est-elle perçue par les enseignants et les élèves ?
Les enseignants ont été les plus critiques à l’égard de la note de vie scolaire. Globalement, ils n’ont pas cru dans l’efficacité de ce dispositif, non pas parce qu’ils seraient rétifs au changement (contrairement à ce qu’on pense parfois, c’est une profession qui requiert beaucoup d’adaptations, d’évolutions, l’Education nationale française ne cesse de se réformer), non pas parce qu’ils ne veulent pas travailler en équipe (sur le terrain, j’ai rencontré beaucoup d’équipes qui s’étaient formées spontanément autour de projets) mais parce que la note de vie scolaire n’était pas efficace par rapport à ce qui constitue le cœur du métier enseignant. Les professeurs du secondaire se sentent insuffisamment écoutés dans leurs difficultés, qui tournent autour de la discipline et des problèmes d’apprentissage des élèves, ils ont l’impression de ne pas être suffisamment épaulés par leur hiérarchie et par la direction des établissements. Ils n’avaient pas demandé cette note de vie scolaire, peut-être aurait-il fallu d’abord les interroger à ce sujet ? Mais on peut souligner que les enseignants qui étaient les plus renseignés à propos de la note de vie scolaire et finalement qui ont le plus joué le jeu étaient syndiqués. Donc il serait en partie faux de dire que la note de vie scolaire a été enterrée par les syndicats enseignants. Les élèves ont été la grande surprise de cette recherche : on aurait pu penser qu’ils seraient très choqués par la prise en compte de cette note au niveau de leurs résultats, et en particulier dans l’obtention du DNB. Et pourtant les collégiens interrogés étaient beaucoup moins critiques et hostiles que les professionnels : plus des trois quarts d’entre eux avaient une opinion positive et avaient un point de vue à énoncer contrairement à l’indifférence dont les soupçonnaient les professionnels. Certes, les élèves ont été aidés dans leur jugement par le fait que la note ne venait en général pas mettre en péril leur moyenne générale, mais cela ne suffit pas : les collégiens ont montré un besoin d’individualisation auquel ils avaient l’impression que pouvait répondre la note de vie scolaire. Par contre, ils ne croyaient pas dans son rôle d’organisation des relations sociales entre pairs (la sociabilité semblant devoir échapper à un contrôle institutionnel) et dans sa capacité à réguler les relations conflictuelles entre collégiens.
La note c’est le domaine des enseignants. Or la note de vie scolaire est attribuée avec « la vie scolaire ». Cela pose-t-il problème ?
Les enseignants ont été effectivement choqués que d’autres professionnels qu’eux puissent avoir le droit d’attribuer une note, dans un domaine qui ne relève pas des matières. Cependant, les travaux sur les pratiques d’évaluation montrent que ce n’est pas si simple : aucune note ne peut prétendre à l’objectivité totale et il est impossible de dissocier clairement ce qui relève des compétences cognitives et des compétences comportementales. Les enseignants se sont plaints de ne pas savoir attribuer une note de vie scolaire car ils n’étaient pas formés pour évaluer des comportements mais il faut reconnaître que les questions d’évaluation sont très peu abordées d’une manière générale en cours de formation, même dans leurs matières. Beaucoup d’enseignants reconnaissent enlever des points aux élèves qui ne font pas leurs devoirs, ont des problèmes de comportement, n’apportent pas leur matériel, arrivent en retard, n’écrivent pas correctement etc. D’une certaine manière, la note de vie scolaire avait le mérite de vouloir dissocier plus clairement ce qui relève d’habitudes de travail, d’attitudes scolaires et ce qui relève des apprentissages proprement dits.
Comment les chefs d’établissement se sont-ils débrouillés avec cette injonction ?
Les chefs d’établissements ont été les moins hostiles à la note de vie scolaire, du fait de leurs fonctions de représentants de l’Etat au sein des EPLE, mais pas seulement. Beaucoup ont été sincèrement convaincus de l’intérêt de la note de vie scolaire, ils ont vu l’opportunité de faire travailler les professionnels ensemble et de les sensibiliser à des questions telles que les élèves les plus en difficultés ou l’évaluation. Mais la recherche montre que la note de vie scolaire n’a pas suscité en elle-même une dynamique de travail collaboratif, au contraire quand des tensions pré-existaient dans les établissements, les enseignants et les CPE se saisissaient de la note de vie scolaire pour faire pression sur le principal (en refusant de noter, en exagérant les moyennes, en attribuant comme note de vie scolaire la moyenne des matières). Par contre, la mise en place du dispositif a été plus simple quand les professionnels étaient en confiance avec le chef d’établissement et avaient déjà l’habitude de travailler entre eux antérieurement. Les chefs d’établissement ont argumenté différemment selon les contextes pour convaincre leurs équipes, par exemple : valoriser, dans une perspective d’équité, les compétences sociales des élèves les plus en difficultés scolairement (en supposant que ces élèves ont davantage de compétences sociales, ce qui n’est pas prouvé) ; éviter les injustices, dans une perspective d’égalité. On aurait pu penser que cette note serait particulièrement investie dans les établissements qui ont le plus de problèmes de discipline. Or cela n’a pas été le cas, tout simplement parce que les professionnels nous disaient ne pas avoir le temps, car ils étaient justement occupés à gérer les problèmes de discipline : ce qui montre bien que pour eux ce dispositif n’était pas crédible et efficace.
La note est-elle efficace sur le plan de la discipline ?
D’après les entretiens effectués auprès des professionnels et des élèves, elle n’apparaît que marginalement efficace sur le plan de la discipline. Elle a pu permettre à certains élèves qui avaient de bons résultats, d’adopter un comportement qui soit jugé plus positivement par le collège, pour éviter de baisser leur moyenne ou à d’autres élèves, de faire plus attention à certaines dimensions qui étaient énoncées à l’occasion de la présentation de la note de vie scolaire (apporter son matériel, être à l’heure, faire ses devoirs, etc. Mais globalement, elle n’est pas apparue comme un dispositif en lien avec la lutte contre les problèmes de discipline et de violence, ni du côté des professionnels, ni du côté des collégiens. D’une certaine manière c’est dommage, car la note de vie scolaire essayait d’être une réponse collective à ces problèmes qui sont vécus de manière très individuelle et donc avec un risque de culpabilisation chez les enseignants ou bien qui sont interprétés à tort comme étant du domaine exclusif des CPE. Mais l’application efficace d’un dispositif comme la note de vie scolaire suppose des conditions qui ne sont pas réunies, avec des relations entre professionnels et une répartition des tâches rendant possible un système d’autorité fondé sur une autorité légale-rationnelle au sens de Max Weber. De ce point de vue, la note de vie scolaire est typique de la « forme scolaire » (Guy Vincent) avec une tentative de rationaliser les jugements à propos des compétences sociales des élèves, en harmonisant les critères à évaluer et en suivant une pratique de scripturalisation-codification (Bernard Lahire). Mais ce traitement identique est impossible dans notre système scolaire actuel traversé par une individualisation forte des fonctions professionnelles et de la prise en charge des élèves. Les enseignants actuellement soulignent l’ajustement nécessaire à la discipline vécue spécifiquement dans leur classe, la difficulté à la penser en articulation avec les CPE et la vie scolaire du fait d’un sentiment d’inefficacité d’une régulation par des règles officielles communes au sein de l’établissement.
Permet-elle à la fois d’évaluer la discipline d’un élève et de susciter son engagement ?
Il y a là une difficulté de la note de vie scolaire : dans son intention initiale, la note de vie scolaire ne se voulait pas uniquement une sanction des problèmes de discipline ou d’assiduité. Elle se voulait aussi une valorisation des comportements sociaux positifs. Mais le problème quand on attribue une note, c’est que la valorisation d’un élève par l’attribution de points conduit à la pénalisation de l’élève qui n’aura pas de points. Par exemple, la question s’est posée pour les élèves qui se présentaient comme délégués : si on leur donnait des points, du coup on pénalisait ceux qui ne pouvaient pas être délégués par manque de place. De la même façon, n’est-il pas injuste de ne pas compter de points à un élève qui s’investit positivement dans une association extérieure à l’école ? Ou bien de donner une bonne note à l’élève qui a aidé un camarade blessé à porter son cartable alors qu’un autre collégien, plus discret, ne s’est jamais fait connaître ? Il s’est avéré que l’évaluation des compétences sociales positives s’est avérée finalement complexe, plus que les sanctions liées aux manquements scolaires. En tout cas dans les propos des professionnels, il y a eu consensus pour ne pas accorder trop d’importance au domaine de l’engagement qui était trop délicat et dans les propos des collégiens, la note de vie scolaire n’apparaît pas comme un dispositif crédible ni souhaitable pouvant susciter l’engagement.
Comment engager les élèves dans la vie des établissements ? Pourquoi cette question semble plus difficile en France qu’ailleurs ?
La note de vie scolaire trouve peu de défenseurs actuellement en France. Derrière les difficultés réelles de mise en œuvre se trouvent de vraies questions qui n’ont pas disparu avec la mort annoncée de ce dispositif : la discipline bien sûr mais plus fondamentalement le sens de l’éducation scolaire qui s’est rabattu ces dernières années autour des questions de performance. Anne Barrère montre bien que la pression à la réussite scolaire est devenue telle qu’un jeune peut intérioriser un verdict scolaire négatif au point d’en être invalidé pour la suite de la vie. L’école ne s’occupe de ce problème que lorsqu’il éclate en violence dans l’établissement, au moment où le jeune est scolarisé. On ne cesse de charger le collège de nouvelles éducations que la société peine à organiser dans des lieux non scolaires : éducation à la sécurité routière, aux stéréotypes de genre, à la santé, à l’alimentation, à l’environnement…Mais l’institution scolaire semble en difficulté (du fait de son fonctionnement propre et de celui de notre société), au niveau d’un projet éducatif plus global, qui soit à la fois de l’ordre de l’instruction et de l’éducation en général.
Propos recueillis par François Jarraud
Sur le site du Café
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