Peut-on réformer l’Ecole ? Non pensent beaucoup de gens. Non se désespèrent tous ceux qui pensent que la refondation piétine. Non pensent sans doute nombre de responsables éducatifs. Historien de l’Ecole, Antoine Prost va y voir plus près et ramène un jugement plus nuancé.
Son ouvrage analyse les grandes réformes scolaires depuis la fin du 19ème siècle. Il y a les réformes qui se font sans loi ni décret et celles qui nécessitent un appareil législatif. Avec A Prost on revit les apports de Jean Zay ou du plan Langevin Wallon. On redécouvre un Pompidou bien conservateur, l’expérience des classes nouvelles, le socle commun de Fillion…
Au terme d’un travail d’historien, Antoine Prost analyse les différents dispositifs. Il nous invite tous à réfléchir à la façon dont l’école se renouvelle. Une véritable découverte du passé de l’Ecole. Un livre qui se lit de bout en bout avec passion.
A Prost, Du changement dans l’école, Seuil,9782021 1057-42
Antoine Prost revient sur le rôle des politiques et des acteurs de terrain.
L’OCDE vient de publier une étude qui montre que le niveau de compétences des Français est un des plus faibles des pays développés même si les jeunes générations sont beaucoup plus compétentes que les anciennes. Comment expliquer cela ?
C’est déplorable. Mais révélateur du fait que les connaissances des Français sont très scolaires. Ils ne les mobilisent pas tous en dehors du contexte scolaire. Ceci renvoie à notre école qui transmet des connaissances mais peu de compétences. Ensuite il faut revenir sur la glorification de l’école républicaine. Ce n’est pas vrai que tout le monde avait le certificat d’études. En 1940, la moitié d’une classe d’âge ne l’obtenait pas. Jean Zay dans ses instructions de 1938 mentionne que la majorité des élèves ne sait pas lire couramment à 10 ans. A l’époque un tel niveau n’était pas dramatique pour mener sa vie d’adulte. Par contre il faut aussi reconnaître que cette école réussissait très bien avec les bons élèves.
C’est aussi l’occasion d’évoquer le rôle des évaluations internationales. Peuvent-elles apporter du changement dans l’école ?
Oui car elle met notre école face à ses résultats. Or on se dispute sur les programmes, sur ce qu’il faut enseigner. Mais on s’intéresse trop peu aux résultats, à ce que l’élève apprend. Il ne suffit pas de connaître 1515 Marignan. Il faut aussi être capable de donner le sens de cet événement. Finalement ce qui compte ce n’est pas le programme mais le travail effectué par l’élève.
Quand on lit votre livre on se rend compte qu’on sait ce qu’il faut faire pour améliorer l’Ecole depuis longtemps. Par exemple vous évoquez « le travail profitable » des classes nouvelles du plan Langevin Wallon juste après la seconde Guerre mondiale. Et pourtant rien ne bouge ! Pourquoi ?
On le sait même depuis plus longtemps. L’idée de l’élève au centre est déjà exprimée par Léon Bourgeois en 1890. Mais les pratiques résistent parce qu’il y a une résistance des enseignants mais aussi du corps social dans son ensemble. Du coté des enseignants, on a assisté à une secondarisation des collèges qui a été nuisible. Maintenant je crains une secondarisation de l’école primaire. Ce serait catastrophique.
Mais alors qui peut faire bouger l’Ecole ? Vous évoquez l’action des hommes politiques. Le changement c’est eux ?
Le changement c’est tout le monde ensemble. Mais ça suppose qu’il y ait un consensus sur l’école. Or l’alternance politique est en train de désarticuler l’école. On ne peut pas changer de programme à chaque fois que le président change. On ne peut pas former les maîtres quand la Gauche est au pouvoir et arrêter de les former quand la droite revient. On ne peut pas réduire la semaine de classe quand la Droite est au pouvoir et la rallonger dès que la Gauche récupère le pouvoir. C’est se moquer des enseignants. Qu’on allège le programme d’histoire, c’est très bien. Qu’on revienne au tout chronologique, c’est se moquer du travail qu’ont fait les profs pour enseigner les programmes thématiques. Il faut trois ans pour s’approprier un programme. On ne peut pas refaire tous ses cours chaque année. L’école ne peut pas être ballottée par les campagnes électorales. On se plaint de la fatigue des élèves à propos des rythmes scolaires. Comme s’ils passaient tout leur temps à l’école. Mais ils n’y sont que 24 heures par semaine. Ils regardent la télévision plus de deux heures par jour. Pourquoi ne demande-t-on pas la réduction de la télévision ? Pourquoi est-ce à l’école de s’effacer. C’est le monde à l’envers !
Quelle place accordez vous aux hommes politiques dans le succès des réformes ?
Ils ne sont pas seuls ! Il y a tout un mécanisme autour d’eux avec le cabinet, les commissions, l’administration. Cette mécanique a évolué. Par exemple les ZEP ont été décidées sans qu’aucun rapport ne soit fait, alors qu’aujourd’hui il précède souvent la décision. Pour les IUFM, le rapport a suivi la décision. Le changement peut aussi se faire sans textes officiels comme en 68.
Le ministère, comme administration, est-il adapté au changement en éducation ?
A condition que la qualité de ses administrateurs soit maintenue, oui. Le risque en ce domaine c’est les nominations politiques parfois contestables. Mais en gros la qualité de l’administration se maintient. Elle sait faire une rentrée presque sans faute, imprimer près de 45 000 sujets d’examen sans fuite, faire passer le bac à des centaines de milliers de candidats chaque année. Elle peut soutenir une réforme dont elle est convaincue. Par contre elle est incapable de gérer un changement pédagogique car elle ne sait pas discuter avec le terrain, ni susciter des initiatives. Pour cela il faut une administration de mission, une structure comme les Mafpen d’A. Savary qui avaient fait un travail si intéressant.
A la fin de votre ouvrage, vous dressez un tableau sombre. Vous dites que l’on est dans une configuration « qui restreint l’espace possible d’une réforme de l’éducation ». Et puis vous concluez en disant que celle-ci est inévitable. Lequel des deux Antoine Prost a raison ?
Les deux. Le vrai facteur de changement ce sont les élèves et la société. La pédagogie a évolué. Les enseignants s’adaptent évidemment, sinon ils ne pourraient plus faire leur métier. Mais cette évolution n’est pas assumée. Elle est honteuse, inavouée, contredite par la hiérarchie. Il serait temps que notre société cesse de rêver à une école républicaine mythique pour regarder en face celle d’aujourd’hui et se mettre d’accord sur ce qu’elle veut en faire.
Propos recueillis par F. Jarraud
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