Douze ans après les lancement des « lycées des métiers », l’Etat affiche une nouvelle politique volontariste en matière d’enseignement professionnel. Mais est-il vraiment l’acteur premier qu’il prétend être pour son pilotage ? Le rôle des régions s’affirme alors que l’Etat n’a toujours pas su faire évoluer la place des entreprises dans ses établissements d’enseignement. Et si l’action réelle se dérobait sous ses pieds, par le bas ?
Quelle est donc cette structure qui « a vocation à être un outil essentiel de la professionnalisation et de l’insertion des jeunes et à devenir un vecteur de l’éducation et de la formation tout au long de la vie » ? Cet établissement « dont l’identité est construite autour d’un ensemble cohérent de métiers d’un même secteur professionnel » ? Ce dispositif « destiné à jouer un rôle majeur dans le développement durable des territoires » pour lequel « il convient d’établir des relations étroites avec les acteurs territoriaux : les entreprises et leurs représentants régionaux » ? Bien sur vous aurez reconnu la circulaire créant les… lycées des métiers en décembre 2001. Un texte signé par Jean-Luc Mélenchon, alors ministre délégué à l’enseignement professionnel. Entre les lycées des métiers, tels qu’ils étaient définis à l’origine, et les « campus des métiers » qu’inaugurent aujourd’hui V Peillon et A Montebourg, la filiation est saisissante. A coup sur les auteurs des campus avaient en tête le projet de Mélenchon. Peut-on prédire aux nouveaux campus le sort des lycées des métiers, c’est à dire leur relative banalisation au fur et à mesure que les exigences mises en eux se sont abaissées ?
On peut prédire que les campus rencontreront les mêmes difficultés. La première c’est la difficile collaboration avec les entreprises. S’il est essentiel qu’il existe une voie professionnelle prise en charge par la puissance publique et échappant à l’autorité patronale, personne ne peut imaginer qu’elle puisse être vraiment professionnelle sans s’appuyer sur les entreprises. Or sur le terrain des relations Etat – entreprises, rien n’a réellement bougé depuis le début du siècle. Certes, début octobre, un décret a légèrement augmenté leur représentation au sein des conseils d’administration des lycées professionnels. Mais elles restent absentes de la formation des enseignants et elles n’ont pas vraiment leur mot à dire dans la vie des établissements. Les maitres de stage restent à leur place, à la porte des établissements. Alors même que les lycées professionnels doivent s’immerger dans une filière de production, l’idée que le président du CA du lycée puisse être un dirigeant d’entreprise reste un tabou aussi bien pour Montebourg que Mélenchon. Les entreprises n’auront pas plus de place dans les campus que dans les lycées des métiers. Il n’est pas impossible qu’elles soient carrément absentes de l’organisme de gestion des campus. Là où les relations sont excellentes entre lycée et entreprises, et ce n’est pas rare, c’est hors réglementation, de façon spontanée.
La deuxième limite c’est la relation avec les collectivités territoriales. Les lycées des métiers n’ont pu voir le jour que grâce au soutien régional. Douze ans plus tard, les campus n’apparaissent qu’avec des fonds régionaux. Ce sont les régions qui financent les locaux, y compris les lieux de vie, le matériel, parfois très sophistiqué, et qui alimentent largement le budget de fonctionnement des lycées. La loi d’orientation leur a reconnu un rôle important dans la création des cartes des formations. L’Etat prétend piloter des campus dans lesquels il investit beaucoup moins que les régions.
Autant dire que le projet de campus des métiers repose sur des contradictions évidentes. Alors qu’ une partie de la gauche milite pour des lycées réellement polyvalents et de vraies passerelles entre le professionnel et le général, les campus affirment l’idée de la spécialisation professionnelle. Alors que Montebourg représente un courant colbertiste, il s’inscrit dans une économie où l’Etat a passé la main au secteur privé. Alors que l’Etat veut piloter le campus, celui ci n’existe que par l’investissement régional. Alors que l’Etat croit en ses labels, les lycées professionnels qui fonctionnent bien sont ceux qui ont su s’ancrer dans le local et s’appuyer sur les entreprises du secteur et leur région. Inaugurés en 2013 comme les lycées des métiers de 2001, les campus des métiers soulignent que les idées n’ont pas évolué dans les ministères aussi vite que le monde réel qui les entoure…
François Jarraud