Par Isabelle Lardon
Au troisième jour, le colloque se termine par une table ronde avec le comité scientifique de la FNAME. Patrick Picard, chargé d’études à l’Institut français de l’éducation, directeur du centre Alain Savary, joue le rôle du modérateur.
Il pose le cadre du débat : Quelle est la place du maitre E entre la classe, les dispositifs d’aides multiples, les soins à l’extérieur, au regard d’une évolution de l’école et de ses métiers ? Les enseignants-chercheurs présents ce samedi devant moins d’un dixième des participants au congrès, vont tenter de répondre à cette question.
François Boule, professeur de mathématiques, INSHEA, parle de la grande diversité des contextes locaux, des rôles des uns et des autres et se réjouit de la clarification apportée par l’écriture de la « charte du maitre E », qui permet à chacun, là où il se trouve de se positionner face aux collègues, aux parents, aux IEN.
Christine Brisset, université de Picardie, laboratoire CLEA, pense effectivement que la charte va permettre de faire voir et faire savoir. Il faut revendiquer une finesse et une globalité de l’aide du maitre E qui a une formation, une distance pour regarder le développement pluriel de l’enfant, moteur, affectif et cognitif.
Laurent Lescouarch, université de Rouen, laboratoire CIVIIC,
Il y a un déplacement de la professionnalité du maitre E de l’aide directe aux élèves à des missions de conseil, rôle indirect. La question de la place doit être pensée à partir de cadres, dans une logique collaborative. Définir un coeur de métier et ce qui est à la périphérie, où se situent les polyvalence et les rencontres. La spécificité de la relation d’aide est de comprendre le rapport au savoir et à l’apprentissage des élèves.
Marianne HARDY, université Paris 13, a une formule choc. Le travail des enseignants consisterait à « sécher les enfants sous la douche »! Mission impossible (faire apprendre tous les élèves) ! Aujourd’hui , c’est la division du travail. Dans le passage à l’école de demain, comment redéfinir la place pour le maitre E ? Quel type de contribution il peut apporter avec sa posture, sa mission de prévention de la difficulté, pour aller vers une école inclusive. Ne pas mettre l’accent forcément sur la co-intervention mais entamer un travail collectif à partir de séances filmées en classe pour comprendre ensemble ce qui s’y passe et élaborer des réponses communes au sein de l’équipe d’école. Chacun peut ensuite s’en emparer et le réinvestir dans son espace propre.
Patrick Picard éclaire les participants de son point de vue avec des références à l’analyse du travail. L’injonction du changement ne le fait pas advenir. Pour le maitre E comme pour tous les enseignants, il faut se demander ce que « ça » leur demande pour faire ce qu’on leur demande, quand en plus, on leur demande de changer ! Il faut faire comprendre l’épaisseur du métier, regarder ce que l’on fait. Le référentiel, la charte c’est le travail « idéal », prescrit. Le métier est fait de tensions qu’il faut questionner.
Travailler, c’est de plus en plus « travailler avec ». Comment faire ?
Serge Thomazet, université de Clermont-Ferrand, laboratoire ACTé, se demande si on n’assiste pas à une rupture, un changement de point de vue sur l’école, qui affecterait le travail des maitres E. Il faut penser l’école inclusive, la penser tout à fait autrement. Avant, on parlait d’intégration, on adaptait l’enfant pour l’aider à rentrer dans le système. C’est la même logique pour le maitre E. Avec la loi de février 2005, les enfants sont tous a priori à l’école.
On est tous bousculés par cette logique, comment prendre une place dans le système ?
S’interroger sur le public-cible du maitre E serait confortable… L’enseignant ordinaire ferait de la pédagogie transmissive, le maitre E de la pédagogie différenciée et le handicap serait pour le spécialisé.
Faut-il s’accrocher à ces catégories anciennes ? Si on ne s’occupe pas des profils des publics, on fait le même métier. Il s’agit de déplacer le regard, reproblématiser, élargir.
On est dans une impuissance de penser le métier dans le cadre ancien. Il faut chercher du pouvoir d’agir, repenser les collectifs, repenser l’organisation du système.
Corinne Mérini, sociologie des organisations, université de Versailles, laboratoire ACTé
Le maitre E entre chainage et tuilage… Chacun organise, territorialise son espace cognitif de travail. Dans le chainage, on va rechercher des cohérences, entrer dans une forme plus sytémique, c’est une chaine de volonté qui va faire bouger le système, à tous les échelons, les enseignants ordinaires, les IEN, les conseillers pédagogiques..
Dans ce qu’elle appelle le tuilage, le travail est organisé en « modules », des actions convergeant vers un même but. La coopération est moins dans les actions que dans les intentions. Le travail devient du « travail DANS l’équipe », et non plus du « travail EN équipe », chacun devant prendre en compte le travail de l’autre. Cela donne du sens aux différents espaces pour les enfants.
Patrick Picard pense qu’on ne peut former à l’école inclusive sans formation de tous au travail d’équipe et sans formation inter-métiers : des espaces où les tensions sont discutées, les collaborations construites, où tous les niveaux participent au développement collectif. Il conclut avec Yves Clot, qu’il est important de « s’attaquer » au travail, « en faisant l’effort de chercher ensemble à faire ce qu’on n’arrive pas encore à faire... »
La charte du maitre E
http://www.fname.fr/presentation-de-la-fname/chartre-du-maitre-e/
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