Le Café a passé les tests PIAAC. Réalisé sous l’égide de l’OCDE, le « Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes » (PIAAC) est une étude internationale menée dans 33 pays : il s’agit précisément d’évaluer « les facultés cognitives et les compétences dans le monde du travail qui sont estimées nécessaires afin que les individus évoluent avec succès dans la société et sont essentielles à la prospérité de l’économie ». Le but est d’aider « les pays à mieux comprendre comment les systèmes d’éducation et de formation permettent à ces compétences de se développer. » Qu’avons nous appris en passant ces tests ?
Ce que PIAAC demande
Les compétences évaluées portent sur plusieurs domaines : comprendre et utiliser l’écrit (la littératie), raisonner avec des chiffres (la numératie), résoudre des problèmes dans un environnement numérique (la maîtrise des TIC). L’outil comprend des questions qui permettent de déterminer quelles sont les activités pratiquées par les adultes dans leur vie de tous les jours (lecture, recherche d’information, utilisation d’ordinateurs ou d’objets technologiques) et de collecter des informations sur leur parcours éducatif et leur expérience professionnelle. Le test peut être passé sous forme imprimée (pour ceux qui d’emblée ne maîtriseraient pas les outils de base que sont la souris ou le clavier) ou dans une version en ligne (« Education & Skills Online », outil particulièrement interactif et innovant).
Les questions elles-mêmes évaluent la capacité à sélectionner et traiter l’information dans des textes variés, interrogeant sur leur contenu ou sur la situation d’énonciation : petite annonce, article de journal, catalogue de bibliothèque, brochure technique d’un opérateur téléphonique, page web, courriel, convention collective … Par exemple : « Reportez-vous à la page Internet intitulée « Le stress ». Surlignez sur la page les éléments permettant de répondre à la question ci-dessous. Le document indique que les entreprises doivent prendre au sérieux la problématique du stress au travail, car elle peut entraîner une réduction des performances économiques. Quels sont les deux éléments fournis à l’appui de cette affirmation ? »
Le « répondant » est aussi amené à témoigner de sa capacité à comprendre graphiques ou tableurs. Par exemple : « Reportez-vous au tableau des distances entre plusieurs villes du Mexique. Cliquez sur le tableau pour répondre à la question ci-dessous. D’après le tableau, quelle ville est la plus proche de Guadalajara ? »
Le test invite à réaliser des tâches numériques « courantes », relevant de la vie personnelle ou professionnelle : participer à un sondage en ligne, comprendre le fonctionnement d’un forum, contacter le responsable d’un site, transmettre par mail une information précise, commander un livre sélectionné selon plusieurs critères, gérer un planning, adresser un courriel à plusieurs destinataires, organiser sa boîte de messagerie… Par exemple : « Vous voulez offrir un livre sur la photographie numérique à un ami et voici le résultat de vos recherches. Il vous faut le livre à temps pour l’anniversaire de votre ami dans deux semaines. Il est aussi important que ce soit un livre pour débutants. Vous ne voulez pas dépenser plus de 40 € pour cet achat. Trouvez le livre qui constitue le meilleur choix et cliquez sur le bouton « Achetez maintenant » sur cette page Internet. » Ou encore : « Vous avez commandé une lampe de bureau chez KE-Lum.com. Vous avez reçu la lampe de bureau, mais la couleur n’est pas celle que vous aviez commandée. En utilisant le site Internet de l’entreprise, faites les démarches nécessaires pour échanger la lampe que vous avez reçue contre celle que vous aviez commandée. »
Enfin le test est assez long. Il faut de l’endurance pour aller au bout d’un test qui va durer environ 1h30.
Piaac en questions
Le test PIAAC en lui-même ne peut qu’interroger l’enseignant sur ses pratiques : que faisons-nous vraiment pour développer à l’Ecole la maîtrise de toutes ces compétences ? peut-on continuer, comme on le fait souvent, à distinguer la compréhension écrite (sélectionner une information, dégager des arguments, identifier l’émetteur …) et la maîtrise des nouvelles technologies (adresser un courriel, faire une commande en ligne, participer à un forum ou un réseau social …) ? Peut-on enseigner l’une sans transmettre l’autre, autrement dit en schématisant, distinguer « cours de français » et « apprentissage du B2i » ? comment travailler la compréhension d’un texte, littéraire ou journalistique, pour développer aussi des compétences numériques ? comment utiliser le numérique pour consolider les capacités de lecture ? la difficulté de compréhension est-elle d’ailleurs quantitativement ou qualitativement différente sur papier ou sur écran ? …
On rappellera à ce sujet les utiles analyses de Thierry Baccino, professeur en psychologie cognitive, telles que rapportées par Catherine Bizot : « La lecture sur écran demande au cerveau plus de travail et de rapidité : il doit faire en permanence des choix comme cliquer ou pas sur un lien, opérer des sélections pertinentes dans une liste ou dans un menu, valider pour poursuivre une lecture, pour l’orienter dans une direction plutôt qu’une autre, d’une page vers une autre, etc. « Les zones qui régissent les prises de décision sont donc plus sollicitées que pour une lecture sur papier ». Pour devenir un lecteur expert, il faut savoir trouver son chemin parmi les multiples signes qui balisent le parcours visuel et intellectuel de l’internaute, connaître les codes et les règles qui régissent l’ordre d’apparition des textes sur la toile, être capable de repérer et de sélectionner les informations pertinentes en les mettant en contexte, de reconnaître les sources et de rapprocher des contenus hétérogènes pour les interpréter, etc. Bref, lire en ligne est une tâche bien plus complexe que ne le laisse imaginer l’apparente évidence et immédiateté des éléments textuels qui apparaissent sur l’écran. » Une tâche complexe, qu’à l’évidence l’Ecole doit apprendre à maitriser.
Si l’enquête PIAAC soulève d’utiles questions, l’enjeu apparait comme bien plus large encore que celui qu’elle délimite. Le numérique influence notre appréhension globale du monde : nos manières de lire, d’écrire, de penser, de connaître, de vivre en société. Les élèves du 21ème siècle doivent apprendre à gérer le flux d’informations, à utiliser le numérique pour produire, créer, collaborer, à réfléchir sur le fonctionnement des nouveaux médias. Le nouvel illettrisme qui guette constitue une grave fracture culturelle que l’Ecole se doit de combattre, en repensant ses outils, ses méthodes, ses contenus, ses finalités.
Jean-Michel Le Baut