Un mois après la rentrée, les rythmes scolaires sont devenus une enjeu politique. Mais que se passe-t-il réellement sur le terrain ? Paul Bron, adjoint au maire de Grenoble, construit un bilan contrasté. Depuis la rentrée, les 12 600 écoliers de la ville étrennent de nouveaux rythmes. A Grenoble, toutes les écoles n’ont pas exactement les mêmes horaires. La matinée commence entre 8h30 et 9h selon les écoles. Elle comprend 2 heures de cours. Suit une pause méridienne durant 1h45 à 2h15, et encore 2 heures de cours. Les classes s’arrêtent à 16 heures. Le relais est alors pris par les activités périscolaires (payantes) ou l’étude, rebaptisée « accompagnement scolaire », ou encore « Récréactive », un nouveau concept où l’enfant circule librement entre des ateliers calmes (lire des contes, atelier philo etc.). Quel impact ont-ils sur l’école ? Quels problèmes rencontre la ville ? Pour Paul Bron, l’articulation de cultures professionnelles dans les écoles génère des frictions. Tout n’est pas encore bien calé. Mais « il faut réussir le changement »…
Pourquoi des horaires différents selon les écoles ? Et pourquoi la régularité des activités périscolaires tout au long de la semaine ?
En fait les écoles avaient déjà installé des rythmes différents spontanément. La raison tient en fait à la cantine : il faut plus ou moins de temps pour faire déjeuner les enfants selon les écoles. La régularité est volontaire. Avoir des jours plus courts et d’autres plus longs c’est aller contre l’équilibre des rythmes de l’enfant. Et ca équivaudrait à rendre le périscolaire obligatoire de fait, ce qui ne me parait pas souhaitable.
Quel bilan faites-vous de ce premier mois des nouveaux rythmes scolaires ?
Apres un mois de fonctionnement nous pouvons faire un premier point d’étape. Le constat essentiel porte sur l’augmentation significative des enfants pendant le temps périscolaire après l’école ( entre 5% et 50% selon les écoles et les communes). C’est incontestablement un aspect positif qui correspond à un réel besoin de garde des familles en dehors des 24h hebdomadaires d’école. L’information nouvelle et massive faite aux parents quant à la réforme, la sortie anticipée plus tôt dans l’après midi et l’offre d’activités nouvelles et de meilleure qualité ont aussi contribué à cet engouement.
Cependant l’augmentation de la fréquentation des temps périscolaires n’est pas sans nous renvoyer certaines questions que nous examinerons dans le cadre du Projet Educatif de Territoire. Les nouveaux temps scolaires sont-ils adaptés aux plus petits ? Comment atténuer la présence lourde des enfants en collectivité pendant la journée et éviter une surconsommation d’activités ?
Les communes ne peuvent pas poser des règles coercitives car elles doivent permettre le libre accès de tous. La responsabilité de bien équilibrer la journée de l’enfant relève avant tout des familles et chaque partenaire doit pouvoir jouer son rôle éducatif. Par contre, la ville, en collaboration avec les enseignants, peut inciter les parents des plus petits à rechercher, dans la mesure du possible, une autre organisation , un autre mode de garde. Pour les plus grands et ceux qui n’ont pas d’autres choix, il nous faut organiser après l’école, une diversité d’ateliers qui intègrent absolument des temps calmes et respecter la place distincte de chaque professionnel. Une évaluation de cette nouvelle organisation permettra de mieux équilibrer ces activités en fonction de chaque enfant, voir de réajuster certains horaires.
Le périscolaire est payant. Cela ne réduit pas d’autant l’offre ?
Avant on avait des activités PEL déjà payantes. On les a multiplié par dix de façon à répondre à la demande. Les tarifs restent très bas : de 1 à 12 euros par mois. Il s’agit d’activités menées avec des spécialistes.
Comment trouvez-vous les animateurs ?
Le deuxième constat concerne le besoin crucial d’animateurs. L’augmentation de la fréquentation et la baisse des taux d’encadrement, impliquent l’embauche d’un nombre importants d’intervenants. En effet, la plupart des villes appliquent maintenant les consignes d’encadrement proposées par le Ministère Jeunesse et Sport ( 1/18 en élémentaire et 1/14 en maternelles) alors qu’il n’existait auparavant aucune norme précise. Ceci est un progrès qu’il faut souligner car il améliore la qualité de la gestion du groupe d’enfants.
Pour l’instant, le marché de l’emploi ne dispose pas suffisamment de personnes qualifiées. Nous nous appuyons sur les enseignants volontaires et sur le personnel municipal compétent dont les Atsem en maternelle, et nous devons trouver de nouveaux animateurs. Dans une ville comme Grenoble par exemple, nous avons engagé un partenariat avec les universités afin de pouvoir inclure un parcours salarié ou indemnisé d’étudiant dans son cursus universitaire. Il y a là une véritable niche d’emploi qui concernera bientôt toutes les communes qui engageront la réforme en 2014. Les fédérations d’éducation populaires, l’Etat et les collectivités territoriales se mobilisent pour proposer une formation qualifiante adapté.
Quel impact sur l’école ?
Le troisième constat est d’ordre organisationnel. La mise en œuvre de nouveaux temps périscolaires change le fonctionnement classique de l’école et les rapports entre les professionnels : enseignants, Atsem, animateurs… Il est nécessaire de stabiliser les listes d’enfants, sécuriser les sorties de l’établissement, organiser les transferts d’activités, mutualiser une partie des locaux et du matériel, assumer les absences… La meilleure garantie repose sur l’implication réelle des directeurs et des enseignants et la mise en place d’animateur référent dans chaque école qui anime l’équipe périscolaire. Des cultures professionnelles se confrontent, il faudra du temps et un partenariat assumé pour que l’articulation des temps de l’enfant dans la journée, soit partagée par les acteurs éducatifs.
Quelles perspectives pour Grenoble ?
Le Projet Educatif de Territoire s’installe doucement. Encore sous la dépendance du Rectorat qui le valide, il devra s’assouplir afin de donner une place à tous les acteurs et permettre un suivi et une évaluation de la réforme. Le problème du pilotage et de la gouvernance de l’ensemble des temps de l’enfant à l’école se pose. Quelle est la mission et le statut du directeur, le conseil d’école a-t-il un rôle nouveau à jouer, quelle sera la place et le rôle des associations partenaires et de la ville ?
Enfin il est vrai que cette réforme coute cher aux collectivités locales. Nous avions estimé ce coût à 150€ par enfant et par an. Celui-ci est justifié dans les faits. Il est même supérieur dans des villes comme la notre, qui ont assumé en plus, le principe « d’autant d’atsem que de classes » et l’embauche et la fonctionnarisation de 37 animateurs référents. On est à 220 euros brut par élèves, soit un surcout d’un million d’euros. Il devient indispensable que chaque commune, dans la mesure de ses moyens, s’engage plus encore dans l’éducation avec le soutien de l’Etat. Nous souhaitons le prolongement du fonds d’amorce à toutes les villes en 2014 et une contractualisation avec la CAF, de tous les temps périscolaires, comme elle le fait avec les centres de loisirs.
Au delà des résistances légitimes, des confrontations professionnelles et des calculs politiques, nous nous devons de réussir le changement, qu’il soit engagé en 2013 ou en 2014, pour tous les enfants et surtout pour les enfants les plus en difficulté.
Propos recueillis par François Jarraud