La consultation sur les programmes du primaire pose à nouveau la question de leur rédaction. Qui est légitime pour définir ces programmes ? Au-delà, c’est la conception même des programmes à la française qui est interrogée.
Comment réparer le désastre de 2008 ?
Qui sont les vrais auteurs des programmes de 2008 ? Cinq ans après leur publication, des noms circulent mais leur rédaction reste officiellement anonyme alors même que ces textes se présentaient comme primordiaux. C’est leur première particularité. Ces programmes, appliqués avec beaucoup de brutalité par les corps intermédiaires, ne résultaient pas d’une autorité identifiable. Leur seule légitimité était personnelle. C’étaient les programmes de Xavier Darcos. Il ne faut donc pas s’étonner que ces programmes aient vu pour la première fois apparaitre un mouvement d’enseignants fonctionnaires « désobéisseurs ». La désobéissance ne trouvait pas son origine que dans les a priori pédagogiques des textes. Elle était possible parce que politiquement la légitimité des programmes était faible. Pire, cette aventure a laissé celle de la hiérarchie minée.
Les programmes 2008 ont aussi passablement brouillé les repères professionnels. Ils ont réussi le tour de force de proclamer la liberté pédagogique des enseignants dans son principe tout en renforçant sur le terrain à un point jamais vu la surveillance des enseignants. De nombreux professeurs se sont retrouvés dans une situation où ils devaient mettre en oeuvre des actions qu’ils jugeaient néfastes pour leurs élèves. Les programmes ont ainsi creusé l’écart pas seulement avec la hiérarchie mais aussi avec le métier. Tout cela laisse des plaies durables. La consultation de 2013 arrivera-t-elle à les refermer ?
Passer des programmes aux curricula
La question se pose de façon plus sérieuse en 2013 dans la mesure où les nouveaux programmes visent un changement de nature. Ils seront rédigés sous l’autorité d’un organe politique, le Conseil supérieur des programmes (CSP). Celui-ci regroupera 10 experts et 8 élus politiques. Il aura donc une autorité morale très forte, d’autant qu’est proclamée son indépendance vis à vis du ministre.
Surtout, le CSP a dans la loi un rôle qui va bien au-delà des programmes classiques. Le Conseil supérieur des programmes « émet des avis et formule des propositions » sur « la conception générale des enseignements dispensés aux élèves », « le contenu du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des programmes scolaires »; « la nature et le contenu des épreuves des examens » et « la nature et le contenu des épreuves des concours de recrutement d’enseignants ». C’est dire que le CSP vise aussi l’application des programmes en cohérence avec une politique éducative globale, celle de la refondation.
Le CSP pourrait être l’instrument du passage de la conception française du programme officiel à celle , plus internationale, du curriculum. » Les programmes à la française sont fragmentés, annuels, ils ne se justifient pas par rapport à un projet éducatif. Ils sont très limités, sans référence au x modes d’évaluation, aux outils pédagogiques à employer. Le curriculum c’est une prescription qui a un caractère systémique et qui inclut la formation des enseignants, la gestion de la classe etc. Avec le curriculum, la mise en œuvre du programme sort de l’implicite et devient le fruit d’un travail collectif dans l’établissement », nous disait Roger-François Gauthier , directeur d’un excellent numéro de la Revue de Sèvres sur le sujet.
Les enseignants et l’arrogance
C’est ce travail collectif que vise la consultation. Sans lui, les programmes risquent de rentrer très lentement, voire jamais, en application. Recevant le Café pédagogique, Vincent Peillon nous disait fin août sa volonté de renouer les liens avec les enseignants. « J’éprouve une profonde reconnaissance et gratitude envers eux, je les respecte mais au-delà, je sais que ce sont eux qui sont en première ligne des réformes. C’est pourquoi je les consulterai, notamment, sur les programmes et sur l’éducation prioritaire. Je ne veux pas de réforme qui vienne d’en haut. Si l’on veut, par exemple rompre avec la méthode qui consiste à rédiger des programmes à quatre autour d’une table et à les imposer autoritairement, cela suppose de suivre une méthode. La refondation doit être pilotée mais collective ».
En effet, il y aurait beaucoup d’arrogance à se priver des avis et de l’expérience des enseignants de terrain. Il y aurait aussi une perte sérieuse de légitimité si le CSP apparaissait comme à a botte du ministre. La bonne rédaction des programmes devra donc trouver le point d’équilibre entre ces trois pôles : le respect de l’avis de ceux qui ont à mettre en oeuvre le curriculum de façon à ce qu’ils ne s’en détachent pas, l’indépendance et la force politique d’une institution représentant la société et l’expertise, le poids concret d’une machine ministérielle. Ce savant dosage est inédit. Et c’est la rue de Grenelle qui est seule capable de veiller à la formule.
François Jarraud