Au cours de l’année scolaire 2012 – 2013 cette chronique hebdomadaire portait sur des faits quotidiens de la classe de l’établissement scolaire. Cette porte d’entrée dans la question du numérique avait pour but de mettre en évidence des petits riens qui font le quotidien mais qui sont aussi des signes d’un mode scolaire qui tente d’avancer dans le monde actuel. Pour l’année 2013 – 2014, l’entrée est un peu différente. Ce sont les mots qui se sont imposés. Courts, longs, seuls, accompagnés, en équipe même parfois les mots, souvent transformés en étendard, slogan, ont, outre une importance naturelle, une force d’impulsion, de répulsion, voire d’expulsion. Et le développement des technologies de l’information et de la communication n’a eu de cesse que de nous apporter ces mots nouveaux ou plutôt de mettre en avant des mots, pas toujours nouveaux, mais particulièrement influents.
L’un de ces récents mots, celui de phablette, n’est-il pas un porteur de sens formidable, mais aussi un colporteur de fantasmes, d’imaginaire ? Aussi avons nous pris le partie de ne pas jouer au linguiste lettré, ni au savant philosophe, mais simplement de tenter de suivre ou plutôt d’éclaire le voyage des mots dans notre société. Ce sont les mots liés aux technologies, mais aussi ceux liés à l’éducation, l’enseignement, et même, dans certains cas bien au delà; Car dans le voyage des mots dans nos sociétés, il y a aussi la trace de la vie sociale. Or les objets numériques s’insèrent dans ce paysage social au delà même du raisonnable et sont portés, relayés par des mots que nous allons tenter d’évoquer.
Présentation : Les mots, expressions, acronymes que nous employons au quotidien dans divers domaines sont des porteurs de symboliques et de sens parfois cachés, parfois au contraire imposés. Depuis bientôt 35 ans que l’informatique a fait son entrés dans l’enseignement général à l’époque du vénérable Plan Informatique Pour Tous, ils n’ont cessé de s’imposer, d’apparaître, voire de disparaître en tout cas de passer dans les paysage de nos réflexions, parfois de nos consciences, mais aussi dans le paysage médiatique.
Les linguistes, les psychologues, les psychanalystes connaissent la force des mots, de leur circulation, de leur usage. Nous autres, pédagogues, encore un autre mot dont il nous faudra reparler, en usons et en abusons. Ainsi votre serviteur, dans cette chronique qui reprend cette semaine, propose un hommage à la première expression symbolique d’un projet politique sur le numérique : Informatique Pour Tous. Car d’une informatique de spécialistes, d’une informatique de professionnel, le politique à voulu faire quelque chose « Pour Tous ». Quand on lit le dernier bulletin de statistiques sur l’école on ne peut qu’interroger le sens de cette expression « pour tous », et ce d’autant plus que depuis bientôt dix ans, ce sont bien davantage les familles qui se sont préoccupées de l’informatique pour tous, que, malgré des efforts incessants et répétés, l’école.
De taux d’équipement en plans de toutes sortes, le monde scolaire n’a eu de cesse de rêver à ce fameux « pour tous », car il est rattaché à un rêve, une chimère diront certains : l’égalité républicaine. Si l’équipement est bien sûr indispensable pour tous, il n’est pas suffisant, comme l’a montré Pascal Plantard dans ses travaux sur la fracture numérique. Tous les ministres n’ont eu de cesse d’avoir un volet informatique, numérique dans leurs projets. Certes il y a eu des soubresauts selon les époques, mais cette constances dans les plans (rebaptisés récemment stratégie) est presque touchante peut-être même émouvante si l’on considère au final l’écart entre le rêvé, le prescrit, le réalisé et l’utilisé. L’informatique pour tous, mais pas pour l’école ?
Pour parodier le ministre, pourrait-on dire que nous en sommes arrivés à l’informatique par tous et avec tous ? Ce serait magnifique après l’informatique pour tous. Mais ce n’est pas ce qui se produit. On comprend l’impatience du pilote qui a du mal à donner à son aéronef le sens de la piste d’atterrissage. Mais on comprend plus mal une sorte d’entêtement, cette absence d’imagination, à moins que ce ne soit d’audace. On peut faire une hypothèse : et si nous étions tous un peu complices de cette impossibilité du « pour tous ». Au XXVIIIè siècle le savoir pour tous préconisé pas les philosophes des lumières et relayés par les politiques tels Condorcet a fait tellement peur que Napoléon et ceux qui l’on suivi n’ont pas hésité à inventer l’élitisme républicain, sorte de système de sélection par le savoir qui permet à des « castes » de conserver le pouvoir par de nouvelles formes de savoir.
L’illusion démocratique issue de la naissance de l’informatique et d’Internet est présente dans l’informatique « pour tous ». Mais les gardiens veillent qui ont rapidement freiné l’essor de ses usages dans le monde scolaire, mais surtout qui ont laissé la « rue » et le « commerce » suppléer à cette mission du « pour tous ». Car si aujourd’hui tant d’élèves, de jeunes d’adultes sont équipés de toutes sortes d’écran c’est bien que le pour tous est entré sous une autre forme, dans d’autres lieux que ceux que l’école l’espérait. Les frémissements que les B2i et C2i pouvaient laisser apparaître ont, eux-aussi été vite combattus de toutes les manières possibles. Et le résultat prouve l’efficacité de cette vision qui ne veut pas vraiment de « l’informatique pour tous » à, par et avec l’école.
Bruno Devauchelle