« Fais tes devoirs ». La phrase rythme le vécu des familles de 12 millions d’élèves qui, dès l’école primaire quittent l’école pour la retrouver à la maison. Pourtant les devoirs à la maison sont interdits pour l’enseignement primaire depuis… 1956. Leur utilité est contestée. Pire encore leur nocivité est affirmée. Alors pourquoi ça dure ?
Interrogé fin août 2013 par les quotidiens de l’est (Est Républicain, Progrès, DNA etc.) sur les devoirs à la maison, Vincent Peillon fait cette drôle de réponse : « Le maximum doit être réalisé à l’école. L’exercice en classe est très important pour la bonne compréhension des leçons ». Rien de plus. Pourtant la suppression des devoirs a animé le débat sur la loi d’orientation. Celle-ci se fixe comme objectif la fin des devoirs à la maison au primaire.
Combien d’heures ? Selon une étude demandée par le HCEE en 2005, la pratique des devoirs à la maison est massive. 68% des élèves consacrent plus d’une heure par jour aux devoirs à la maison. A vrai dire un flou certain encadre le temps de travail à la maison, même s’il est plus important que ne l’imaginent les enseignants. On a pu estimer entre 6 et 11 heures hebdomadaires le temps passé aux devoirs en 6ème et de 10 à 20 heures en lycée. En réalité ce temps moyen dépend de l’image que les enseignants se font de leurs élèves. Ainsi une étude du NCES américain a pu établir que plus le pourcentage de « noirs » pu « d’hispaniques » (catégories légales aux Etats-Unis) est important dans une classe plus les enseignants donnent de devoirs à la maison. En France, plus une classe sera jugée faible plus les enfants emporteront de travail à faire.
Quelle utilité ? Ce qui est certain c’est que les devoirs n’améliorent pas l’appétance pour l’école. Selon Glasman 72% des élèves estiment que les devoirs font moins aimer l’école. Permettent-ils d’y mieux réussir ? Une étude du NCES avait pu monter que « les devoirs aiment les jeunes « blancs » : Les mêmes devoirs réussissent nettement moins bien aux enfants « noirs ». En France, Patrick Rayou, auteur du dernier grand travail sur cette question, estime qu’il « ne semble pas que les devoirs soient utiles aux élèves qui ont le plus besoin de compléter des apprentissages qui n’ont pas été convenablement mis en place pendant les séquences de cours… Le report à la périphérie de la classe des moments dans lesquels les élèves sont censés être actifs peut se révéler très discriminant ». Les familles ne sont pas égales dans la façon dont elles accompagnent leur enfant dans ses devoirs. Une situation que les TIC viennent d’ailleurs perturber. Les messageries instantanées permettent de limiter le devoir à une formalité dont s’acquittent collectivement les élèves.
Le grand malentendu. « Les familles populaires, longtemps tenues à l’écart de l’école, sont aujourd’hui invitées à prendre leur place dans la scolarité de leurs enfants. Ce partenariat, socialement très intéressant, recèle cependant des pièges du point de vue des apprentissages », écrit Patrick Rayou. Il a pu mettre en évidence les « malentendus » créés sur et par les devoirs. « Les codes de la culture et du travail scolaires ne sont pas spontanément visibles et maîtrisables par tous. Dans certains cas, ce sont des manières d’apprendre très éloignées de celles que suppose plus ou moins explicitement l’école française contemporaine qui sont diffusées ».
Alors pourquoi ça dure ? Le travail de P Rayou montrait également que nombre d’ enseignants ne sont plus convaincus de l’utilité des devoirs à la maison. Mais ils craignent le regard des parents et d’être perçu comme peu sérieux s’ils ne donnent pas un fort volume de devoirs. C’est que, comme le remarque une étude du CSE québécois, « les devoirs peuvent être un moyen de concrétiser l’engagement des parents dans le vécu scolaire de leur enfant ». En FRance, où les parents sont tenus aux portes de l’Ecole, le devoir est devenu le lien le plus important entre école et famille.
Que faire ? « La suppression du travail hors la classe n’est sans doute pas réaliste notamment du fait de la montée inexorable des exigences de formation », écrit P. Rayou. Ce que confirme le maintien de la pratique même quand elle est interdite. « Mais on peut imaginer qu’on apprenne d’abord, par l’exercice au sein de l’école, ce qui est nécessaire pour y réussir, sans attendre que les familles qui ne maîtrisent pas les codes de ce travail bien particulier donnent à leurs enfants ce qu’elles ne possèdent pas elles-mêmes ». Ce qui suppose que ce soient les enseignants eux mêmes qui fassent cet apprentissage et que le temps du devoir réintègre au moins partiellement le temps de l’école. Voilà un objectif qui ne contredirait pas le mythe de la « personnalisation » vantée par Luc Chatel et qui donnerait peut-être du sens aux dispositifs mis en place de » l’école au lycée.