2 septembre, c’est le grand saut. Ingrid, Hélène, Elias ouvrent un nouveau lycée. De surcroit un lycée innovant, le micro lycée de Paris. Leur vie prend un tournant. Les voilà qui doivent se préparer à recevoir les décrocheurs parisiens. C’est toujours le métier d’enseignant, mais vécu plus fort ?
La cafetière au centre
Au nouveau micro lycée de Paris comme ailleurs, la rentrée s’organise autour d’une cafetière. A 9 heures tout le monde est là. Il y a la quinzaine d’enseignants des structures du Pole innovant lycéen (PIL), dont fait partie le micro lycée, les personnels d’éducation, les techniciens. Coté enseignants on se connait forcément, car les équipes se cooptent, et on a des choses à se dire. Il y a aussi les invisibles qui s’invitent dans les discussions. Un enseignant décédé l’an dernier. Et le Père fondateur, Gilbert Longhi, l’ancien proviseur qui a créé tous ces dispositifs avant d’en être éloigné, qui tout au long de la journée sera la référence entre les enseignants. Justement le PIL bénéficie d’un nouveau proviseur, Gilles Posternak. On partage le souvenir de Longhi avec lui.
Mais voilà que le PIL marque sa singularité. Ici la réunion de rentrée ne prend pas la forme d’une conférence présidée par le chef d’établissement devant des enseignants assis bien en rangs. Au PIL la réunion se fait autour d’une même table. Ingrid Duplaquet, coordinatrice du micro lycée et professeure de lettres, Hélène Thammavongsa, professeure de SES et d’histoire-géo, Elias O’Reagan, professeur de maths et de sciences, se mêlent aux autres enseignants du PIL pour une réunion plénière. On va discuter de l’emploi du temps. Mais aussi des prises de décision. Au PIL chacun a son mot à dire sur tout . Certaines décisions concernent uniquement une structure, beaucoup tout le PIL. C’est justement la limite qui est mise sur la table de la rentrée. Elle se gère en commun.
Innovant mais normal
Pourtant le PIL se veut un établissement comme les autres. « On veut être intégré dans le système. On n’est pas à l’extérieur » affirme son coordinateur dans l’approbation générale. Les élèves à « raccrocher » sont demandeurs de cette normalité. Ils veulent une vraie école, avec de vrais savoirs pour atteindre, ce sera la mission en première et terminale du micro lycée, le bac.
Le PIL est le fruit d’une volonté de la région Ile-de-France et du rectorat de renforcer les dispositifs contre les décrocheurs, le micro lycée est né en juin dernier. La région compte entre 25 000 et 30 000 décrocheurs et elle a adopté en avril 2013 un nouveau plan de lutte contre ce fléau. Sous la houlette d’Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région en charge des lycées, 8 000 jeunes ont bénéficié du plan « Réussite pour tous » en 2012-2013, 140 projets de prévention du décrochage scolaire ont été soutenus à hauteur d’un million d’euros. De nombreux projets ont été mis en place en direction des classes de seconde où se concentrent un grand nombre de difficultés et où le taux de redoublement atteint parfois 30%, ainsi que des premières années de CAP et Bac Pro. On travaille l’estime de soi, l’expression, l’apprentissage à travers le théâtre ou le cinéma, le projet professionnel des jeunes, la relation avec les adultes. A cette rentrée, la région va , avec le soutien des rectorats, soutenir le droit à l’erreur des jeunes. Dans 4 territoires, ils bénéficieront d’un accompagnement renforcé pour leur orientation. Des passerelles entre L.P. et lycée général seront testées, et cela dans les deux sens. La région va aussi renforcer son aide sociale aux jeunes décrocheurs. Il s’agit de faire face aux difficultés de logement ou de trouver une place en crèche aux jeunes mères qui reprennent des études. C’est dans cette politique que se situe le nouveau micro lycée. Il bénéficie, dans le cadre de Réussite pour tous, d’un budget conséquent pour démarrer.
Comment nait un lycée
Vers 10h30, l’équipe du micro lycée se sépare de la réunion plénière. Ingrid, Hélène et Elias se réunissent à part pour affronter les tâches de l’ouverture. Il y a le recrutement des élèves. Chacun doit être reçu individuellement. Ne rentrent au micro lycée que des décrocheurs qui ont quitté toute structure d’enseignement depuis au moins 6 mois. Il faut aussi qu’ils fassent la démarche de venir rencontrer l’équipe. Chaque élève est suivi par un professeur tuteur.
Il y a aussi l’installation matérielle. Le micro lycée campe dans les ateliers d’un ancien lycée professionnel et il faut monter des cloisons, mettre en place le mobilier, les ordinateurs. Les premiers élèves sont attendus à la fin du mois. Il y a aussi les contacts à développer avec la Mission locale d’insertion. Les visites de la psychologue attachée à l’établissement. Le travail à faire avec le pédagogue référent qui va suivre l’équipe. Il faut aussi trouver un professeur d’anglais pour compléter l’équipe.
Qu’est ce qui pousse des enseignants à venir travailler en micro lycée ? Ingrid Duplaquet a déjà 15 années d’exercice comme PLP. « Je me sentais démunie face aux jeunes décrocheurs. Et j’ai envie de travailler en équipe. Ici on a tous les mêmes valeurs. Ici, l’écoute des élèves, l’aide, le soutien ça ne se discute pas. On peut faire ici des choses qu’il faut souvent cacher dans un autre établissement sous peine d’être critiquée par les collègues ». Les heures en plus ne lui font pas peur. « De toutes façons quand on est enseignant on fait bien plus d’heures que les heures de cours y compris dans l’établissement ». L’angoisse de rentrée d’Ingrid c’est trouver la bonne pédagogie. « Ici, avec les décrocheurs, il faut que chaque séquence de cours fasse une unité ». L’équipe discute sur les outils à utiliser pour aider les élèves à s’y retrouver, par exemple le numérique.
Hélène Thammavongsa rejoint le micro lycée après 15 ans d’ancienneté avec le défi d’enseigner à la fois les SES, sa discipline, et l’histoire-géo. C’est justement le travail sur l’interdisciplinaire qui l’amène ici. C’est une façon de travailler autrement avec les élèves et d’aller au bout de sa discipline.
Elias O’Reagan est à la fois le plus jeune enseignant et le plus expérimenté en micro-lycée. Contractuel, il a enseigné trois ans au micro lycée de Vitry. Il trouve au lycée un équilibre à une carrière de musicien. Il y voit aussi des défis. Affronter les difficultés cognitives des élèves. Faire face aussi aux misères humaines. Enseigner en micro lycée c’est aussi se retrouver devant des situations difficiles qui marquent profondément l’enseignant. Ici plus qu’ailleurs, on tient en faisant équipe. Celle du micro lycée se lance résolument.
François Jarraud