Point médiatique de la Refondation de l’école, la réforme des rythmes scolaires a enflammé, dans bien des communes, les désaccords entre enseignants, élus, parents d’élèves, responsables d’association, personnels municipaux… Fallait-il s’y engager dès cette rentrée ou mener les débats de concertation jusqu’à la rentrée prochaine, comme le permettait le Ministère ? Au Pré-Saint-Gervais, une commune populaire du 93, la mairie a tranché contre l’avis des enseignants et malgré les réticences des parents. La réforme a lieu dès cette rentrée. Un énorme travail de préparation, une authentique confiance mutuelle, malgré les différences de vue, et des conditions locales particulières justifient le lancement d’une expérimentation grandeur nature, à affiner et à rectifier par la pratique. « Excès de précipitation », répondent les enseignants, qui va alourdir inutilement l’organisation du travail. Pascal Léon, directeur de l’école Jean Jaurès et Anna Angeli, adjointe au maire chargée de l’éducation, nous font découvrir l’An I de l’éducation partagée au Pré Saint-Gervais.
Travailler dans l’urgence, encore et toujours…
Pour Pascal Léon, directeur de l’école Jean Jaurès depuis dix ans, la volonté municipale d’entrer dans la réforme dès septembre 2013 est prématurée et ne se fonde pas sur un temps de concertation suffisant. « Une fois encore, on se retrouve à travailler dans l’urgence, sans pouvoir prendre le temps de la réflexion et sans qu’il soit tenu compte de l’avis des enseignants ». Sept conseils d’école ont demandé le report dans les délais autorisés, sans succès. Pour Pascal Léon, la consultation des partenaires, menée séparément, n’a pas permis de dégager les conditions réelles d’un débat ; la concertation d’ensemble est intervenue après que l’essentiel était acté. Une mise en place sinon en septembre au moins en janvier 2014 aurait permis aux partenaires de consolider leurs propositions, estime-t-il. Mais pour le directeur, le problème n’est pas local : à défaut de directives nationales, la disparité de choix entre communes va entraîner des complications imprévues. 5 communes sur 40 ont fait le choix de la réforme anticipée, en Seine-Saint-Denis – et la commune des Lilas, voisine, du Pré, n’en fait pas partie. Les deux territoires limitrophes vont donc connaître des régimes scolaires différents (classe mercredi ou samedi matin, horaires de fin de journée). Il aurait été plus simple de décréter la réforme obligatoire pour tous en septembre 2014, estime Pascal Léon.
Tout à jeter, dans le projet de la Mairie ?
Pour autant, Pascal Léon est loin de rejeter en bloc le projet construit avec les partenaires éducatifs, même s’il estime qu’il aurait été plus urgent de revoir les programmes scolaires lourdement étoffés en 2008, surtout en CE1 et CM1. Commencer plus tôt la classe (8h45 au lieu de 9h) et réduire l’après-midi, il y est favorable. Faire classe le mercredi matin ne lui pose pas de problèmes. Son expérience de 10 ans d’enseignement aux États-Unis lui a appris que cette « spécificité française » de la coupure de milieu de semaine n’est pas indispensable, même si beaucoup de collègues auraient préféré revenir au samedi matin. Il est plus sceptique sur l’allongement de la pause méridienne, qu’il impute davantage à des impératifs d’intendance de cantine qu’au bien-être des enfants. Car « 2h de coupure, souligne-t-il, c’est 20 mn de repas et 1h40 de récréation, avec l’énervement, la tension, les querelles non réglées que cela ramène ensuite en classe ». Quant aux animateurs, il fait confiance à l’équipe, stable et solide, déjà en place sur la commune et impliquée dans de nombreuses activités péri-scolaires.
Que devient l’étude du soir ?
Ce qui l’inquiète davantage, c’est la complexité de gestion des différents intervenants sur la période de fin de journée. Après la classe (15h45), les élèves se répartiront après la récréation entre l’heure hebdomadaire d’APC (Activités Pédagogiques Complémentaires) menée par l’enseignant, les activités éducatives périscolaires des animateurs, les ateliers (16h30) conduits par des éducateurs municipaux et ceux des enseignants, qui remplaceront la traditionnelle « étude » (consacrée aux devoirs) par des activités éducatives non scolaires, avant la garde de 18h à 18h30. Reste à savoir l’impact sur les élèves et les familles de la suppression du temps de travail de l’étude du soir (en particulier pour les enfants non francophones qui ont un réel besoin de soutien pour l’apprentissage des leçons). Comment les élèves vont se répartir entre les activités – et surtout dans quelles proportions ? Cela justifie le maintien d’une équipe de pilotage pour assurer ajustements et réévaluation des besoins, au fur et à mesure (ce qui est prévu par la Mairie). Et repose la question de la lourdeur de la fonction de directeur : les deux écoles voisines du Pré comptent à elles deux autant d’élèves qu’un collège mais elles n’ont ni Principal, ni Adjoint, ni CPE.
Anna Angeli : courage et volonté politiques.
Pour l’adjointe au maire chargée de l’éducation, la question est toute autre : pourquoi remettre à la rentrée prochaine ce qu’on peut engager maintenant ? « Croyez-vous vraiment que 6 mois de concertation supplémentaires permettront de mettre tout le monde d’accord sur ce dossier ? Commençons et voyons à l’épreuve des faits comment cela fonctionne », affirme-t-elle. Énergique et déterminée, elle conçoit la réforme du point de vue de l’organisation politique de la commune : une ville défavorisée du 93, certes mais « moins pauvre que d’autres », au territoire limité « donc pas de problèmes de transports scolaires ! », économiquement faible, « mais nous avons un tissu associatif très riche ! », une démographie en expansion, des écoles qui menacent saturation : » Si nous ne pouvons pas mettre en place cette réforme ici, alors qui pourra le faire ? » s’amuse Anna Angeli. La décision de la Mairie a suscité de vives tensions avec les enseignants, malgré des habitudes de travail en commun bien établies ; mais elle y voit plutôt des réticences de principe et un effet de la médiatisation des problèmes parisiens. Elle croit fermement au vertus pratiques d’une mise en œuvre qui permettra de repérer concrètement les points forts et les points faibles, de réparer les failles et de développer ce qui fonctionne.
« La Mairie n’est pas un portefeuille ».
Il y a beaucoup de peurs, reconnaît-elle, et en particulier celle d’une « municipalisation » de l’école. « Mais la Mairie n’est pas un portefeuille, qui sert juste à financer les travaux. Il est légitime que nous intervenions dans la vie éducative au sens où elle inclut l’école et la dépasse. A quoi bon un adjoint à l’éducation s’il ne peut pas participer à un projet innovant ? » Anna Angeli veut changer les habitudes et les manières scolaires, même si elle se défend de toute ingérence dans la dimension pédagogique de la classe. Et elle ne se cache pas de vouloir un droit de regard accru sur les activités de l’école. L’enjeu ? « Casser ces temps d’études figés de l’après classe, proposer des activités alternatives en association avec les enseignants, diversifier l’offre culturelle. » Et faire en sorte que l’offre d’activité devienne assez attractive pour faire augmenter la demande du public : « C’est mieux de savoir les enfants en activité plutôt que tout seul chez eux devant un écran, non ? »
Des objections surmontables
Les objections des partenaires ne la déstabilisent pas. Le retour au samedi matin ? Impensable après la réforme Darcos, qu’on le déplore ou non. La pause méridienne ? Elle paraît mal gérée parce qu’elle est trop courte pour être bien animée. Le poids économique de l’embauche des animateurs ? La ville en comptait déjà 70, elle en a embauché 15. D’ailleurs, l’incitation financière du Ministère n’est pas négligeable pour le budget d’une commune modeste, autant en profiter. Le risque d’un projet controversé à la veille des Municipales de 2014 ? « Ce serait pire de travailler sur un projet qu’on risquerait de ne jamais pouvoir appliquer ! »
Anna Angeli rêve d’« une école avec des groupes mobiles, sans structures de classe, avec des accompagnants adultes plus nombreux et plus présents. » Après avoir mené tambour battant l’équipement informatique de 70% des établissements de la commune, elle entend bien ne pas rester passive devant la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires qui lui paraît une avancée significative vers une autre conception de l’activité éducative publique plus ouverte et plus heureuse. Pour cette raison, le comité de pilotage du PEDT (Projet éducatif de Territoire) va travailler sur les ajustements nécessaires et assurer le regard de la municipalité sur les activités éducatives.
Les acteurs de terrain ne sont sans doute pas au bout de leurs efforts pour se rejoindre à travers les injonctions de leurs institutions et la défense d’intérêts pas toujours explicites. La question de la réforme des rythmes a peut-être cet intérêt de contraindre à réorganiser l’équilibre tacite des relations entre autorités politiques locales et acteurs de l’enseignement public.
Jeanne-Claire Fumet