» Les programmes tuent la curiosité, dégoûtent les jeunes » Une école où l’on apprend non pas en s’amusant mais avec plaisir… C’est ce que réclame, vite, Gabriel Cohn-Bendit. Professeur d’allemand, fondateur du lycée autogéré de Saint-Nazaire, animateur d’action éducative en Afrique… Gabriel Cohn-Bendit incarne le militantisme pragmatique pour une autre école. Dans son dernier ouvrage il propose de repenser l’éducation… et vite !
À chaque rentrée des classes on assiste à une profusion de sorties de livres sur le système éducatif. De tels ouvrages ont-ils une utilité ?
Ils peuvent en avoir une, si les médias, grands ou petits, généralistes ou spécialisés en parlent. Je crois aux débats et à leur efficacité, même si je suis un pessimiste quant à la rapidité de propagation de certaines idées dans la majorité du corps enseignant. Cela dépend aussi de la capacité de ceux qui partagent ces idées à se constituer en force loin de tout sectarisme et d’esprit de chapelles. Nous sommes minoritaires, mais ensemble nous pouvons compter.
Certains passages de votre livre ont un aspect testamentaire. Quel héritage voulez-vous laisser à l’école, à la pédagogie, aux profs, à la société … ?
Construire une école de la coopération, de l’enseignement mutuel contre cette école de la compétition du tous contre tous. Une école où se pratiquent les valeurs de la démocratie et non pas où elles s’apprennent par cœur dans des cours de morale fussent-ils laïques, avec interrogations écrites comme moyen de contrôle. Une école où il n’y a pas plus, ni moins de place pour la Marseillaise que pour l’Internationale ou l’Hymne à la Joie. Une école où l’on apprend non pas en s’amusant mais avec plaisir et si possible avec passion. Une telle école est possible de nombreux exemples le prouvent. »
Page 60 débute un chapitre intitulé : En finir avec les programmes… Mais, vous précisez dans la première phrase qu’il est essentiel de définir ce que tout élève devrait maîtriser en fin d’école primaire… Pouvez-vous expliciter cette apparente contradiction idée ?
Définir un ensemble de comportements, de « savoirs », de compétences qu’un jeune devra maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire, en fait en fin de troisième et non à la fin de l’école primaire comme je l’ai écrit, prisonnier moi même de la vieille coupure dépassée primaire-collège , c’est tout autre chose que de définir ce qu’un jeune doit apprendre année par année, semaine par semaine discipline par discipline.
Chaque jeune à des intérêts différents, des rythmes d’apprentissage différents. Il y a des enfants qui savent lire à 6 ans d’autres ne maîtriseront la lecture qu’à 8 ans et alors ? Qui a décidé qu’on devait savoir lire à 7 ans ? En Finlande on ne commence à apprendre à lire qu’à 7 ans. Un ami instituteur m’a raconté qu’un de ses élèves bricoleurs passionné a appris à lire dans un manuel de bricolage et un autre passionné de rugby dans les articles de journaux sur le rugby. La première fonction de l’école est de susciter et de répondre à la curiosité des jeunes. Les programmes tuent la curiosité, dégoûtent les jeunes en les obligeant à travailler sur des questions dont ils ne voient pas l’intérêt et en les empêchant de travailler ce qui les intéresse.
La conclusion du livre est un appel à la refondation de l’école… S’agit-il de la refondation proposée par Vincent Peillon ?
Je ne sais pas ce que Peillon avait en tête quand il a lancé l’idée de la Refondation de l’école, mais ce qui en sort et qui a été voté au parlement n’a pas grand chose à voir avec ce que j’appelle de tous mes vœux.
Dans la préface vous racontez que vous avez écrit au ministre de l’éducation actuel, le 23 mai 2012, et que vous aviez fait de même, en 1981, à l’attention d’Alain Savary… Votre militantisme épistolaire porte-t-il parfois des fruits ?
En juillet 1981 à la suite de ma lettre ouverte publiée par Libération, Alain Savary m’avait reçu et ce fut le début de l’aventure du Lycée Expérimental de St Nazaire qui a ouvert ses portes en février 1982 et qui a fêté ses 30 ans en juin 2012. Savary a aussi permis l’ouverture du Lycée autogéré de Paris à la rentrée 1982-83, ainsi que du CLE d’Hérouville.
Je n’ai rien tenté avec Chevènement le Ministre de l’Éducation le plus conservateur de la quatrième et cinquième République. Nous avions signé à plusieurs une lettre à François Bayrou qui nous avait reçu aimablement mais sans résultat. J’ai essayé de rencontrer Allègre mais son conseiller Alain Geismar, ex soixante-huitard m’a répondu qu’il avait beaucoup de travail.
Mais j’ai à nouveau tenté ma chance avec Jack Lang qui m’a reçu et à qui j’ai vendu l’idée du Conseil de l’Innovation. C’est ainsi que certains établissements comme Clisthéne à Bordeaux ont pu voir le jour. Mais l’administration centrale du Ministère de l’Éducation a très mal vécu cette institution qui ne dépendait que du Ministre. Si j’ai pu croiser Vincent Peillon après sa nomination et être reçu par Mme George Pau-Langevin et plusieurs membres de son cabinet, il semble bien que ma présence au nouveau Conseil de l’Innovation n’a pas été jugée souhaitable.
Propos recueillis par G. Longhi
Gabriel Cohn-Bendit, « Pour une autre école ». Repenser l’éducation, vite !, éditions Autrement. Sortie le 28 août.