Le moment est-il venu pour l’Education nationale de changer son mode de gouvernance ? On sait que Vincent Peillon a inscrit l’évolution des métiers de l’enseignement à son agenda annuel. Mais c’est un changement plus global qu’a demandé le Snpden le 26 août. Et c’est ce que l’Association française des acteurs de l’éducation, une association composée de cadres du système éducatif, théorise à travers un excellent numéro de sa revue (2013 n°2) consacré à « la Gestion des ressources humaines (GRH) de proximité ». Cette nouvelle gouvernance est-elle évidente, souhaitable et possible ?
A vrai dire les partisans de la GRH de proximité ne manquent pas d’arguments. Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, dans son intervention du 26 août, a montré que le changement de gouvernance est nécessaire pour que la République soit fidèle à elle-même. Il a dénoncé l’écart entre les principes républicains et la réalité vécue par les lycéens par exemple dans l’ethnicisation des établissements du fait de l’absence de carte scolaire. C’est aussi le parti pris de l’AFAE que de montrer que la GRH est « un élément majeur de gouvernance par le sens et les valeurs ». C’est seulement au niveau local , pour les auteurs, que l’Ecole peut encore assumer ses valeurs.
Mais l’AFAE a bien d’autres arguments. Le caractère de plus en plus décalé des décrets de 1950 par rapport aux réalités de l’exercice du métier. Le volume même du corps enseignant et même du parc d’établissements. La gestion centralisée s’avère incapable d’établir de vraies évaluations du million d’enseignants qui sont de facto plus ou moins laissés à eux mêmes. Or les inégalités se creusent dans le système éducatif. Inégalités entre établissements et aussi entre les personnels. L’absence d’une véritable gestion encourage leur croissance. B. Toulemonde estime qu’une autonomie plus grande des établissements serait facteur d’une plus grande efficacité alors que les résultats de l’école française se détériorent. Donner au chef d’établissement le pouvoir de notation et de recrutement des enseignants améliorerait leur efficacité. C’est aussi ce qu’affirme G Felouzis et J Perroton dans une étude comparative entre établissements privés et publics publiée en 2012 : le sentiment d’appartenance, le travail en équipe sont plus forts dans les établissements privés autonomes. L’autonomie faciliterait aussi le travail avec les collectivités locales qui jouent un rôle croissant dans la vie des établissements. Au final, comme tentent de l’établir les articles de la revue de l’AFAE, davantage d’autonomie et de pouvoir pour le chef d’établissement serait « l’avantage de tous » et par suite celui des enseignants.
Mais ces plaidoyers n’échappent pas à la critique. La plus évidente c’est, qu’à tort ou à raisons, les enseignants ne veulent pas voir renforcés les pouvoirs des chefs d’établissement ou des inspecteurs. Le rapport du médiateur montre que les relations humaines dans le système éducatif sont tout sauf harmonieuses, les cas de harcèlement bien réels. Luc Chatel s’est brisé les dents sur ce refus. Il y a aussi les représentations mêmes des personnels de direction qui ne se prêtent guère au changement. L’enquête de N Esquieu établit que, si les personnels de direction veulent être les « pilotes » de leur établissement, ils ont peu d’intérêt et de compétences pour l’accompagnement humain du personnel de leur établissement. D’autre part, l’efficacité scolaire finale du privé est contestée. Les chefs d’établissement puissants du privé ont rarement innové ou simplement amélioré leur établissement. Enfin, toute modification du statut de 1950 suppose que l’Etat ait quelque chose à négocier. Ce n’est pas le cas. Si la gestion centralisatrice par l’Etat semble avoir définitivement du plomb dans l’aile, l’appétit de puissance des personnels d’encadrement est peut-être un luxe hors de portée.
C’est dans un réel nouveau management collectif que peut se dessiner une nouvelle gouvernance de proximité. C’est lui qui peut aussi ramener de la confiance dans le système. Mais pour cela il faut avoir fait le deuil du « pilote » et sans doute « changer le logiciel » de l’Education nationale. Un sacré travail !
F Jarraud
La GRH de proximité, Administration & Education, la revue de l’AFAE, n°2 2013.