Le bonheur d’enseigner n’a pas disparu ! C’est le message qu’ose porter une institutrice dans un livre qui sort à cette rentrée. Dans « le bonheur à l’école », Dominique Deconinck restitue ce qui donne envie de revenir en classe. Ces moments précieux où l’enseignant assume pleinement sa mission humaine : faire des petits d’homme des hommes.
Aujourd’hui il faut de l’audace pour porter ce message d’amour pour le métier d’enseignant. On a vu tant de livres d’enseignants désespérés. Ou de professeurs aigris, crachant sur les élèves ou leurs parents. Pourtant ce qui nourrit l’angoisse de la rentrée c’est aussi la crainte de ne pas revivre nos espoirs et nos plaisirs d’enseignant.
Le livre de D Deconinck restitue ces moments de la salle de classe qui deviennent lumineux. Elle raconte le métier d’enseignant à travers ce qu’elle voit et ce qu’elle entend : les leçons, les jeux des enfants dans la cour, les confidences, les moments de découragement, la complicité avec certaines collègues, la confiance accordée par l’enfant.
Ecrit avec ses 20 ans d’exercice du métier, ce livre nous invite à renouer le fil et à retrouver la classe. Le bonheur d’enseigner existe encore !
Il y a pléthore d’ouvrages qui crachent sur les élèves, les enseignants, l’école. Votre livre prend le parti de défendre le métier. N’est-ce pas aller à contre-courant ?
J’ai écrit ce livre notamment en réaction à ces multiples commentaires négatifs au sujet de l’école en général. Cela m’agace depuis longtemps car ce n’est pas ce que je vis. Et j’avais juste envie de le dire, car je pense, sans naïveté je crois, que la majorité des enseignants aiment ce qu’ils font. Et le font plutôt bien. C’est ce que je vois. Tout simplement. En ce qui concerne les élèves, je crois aussi qu’ils sont nombreux à avoir envie de réussir, à aimer l’école, à « se donner ». J’ai mis en scène aussi des élèves en difficulté, comme le personnage de Laâm, inspiré de mon expérience avec divers enfants. J’ai enseigné en zone difficile et je sais que les réalités de terrain ne sont pas identiques, mais quand même… Au pied de la cité où se situait mon école d’avant, il y avait de vrais trésors dans ma journée. J’ai été directrice d’école, je suis maître spécialisé et professeur des écoles, formatrice, mais ce que je voulais raconter c’est la vie de classe de tous les jours, la vie comme elle va dans une petite école lambda. Je ne sais pas si c’est à contre-courant, mais il me semblait que ça méritait d’être dit.
Le livre parle du plaisir d’enseigner. Où trouve t-il sa source chez vous ?
Mon plaisir à enseigner vient sûrement de mon plaisir à être en classe depuis mon plus jeune âge, même si je n’étais pas du tout tête de classe. J’ai toujours trouvé que les profs étaient des êtres particulièrement « vivants ». je trouvais que c’était trépidant la vie de l’école ! Il se passait toujours quelque chose, entre les enfants, avec les adultes, dans la classe, la cour, la cantine. Et puis il y avait cette jubilation de savoir des choses nouvelles. Même si je me souviens avoir versé des larmes de dépit face à des divisions toujours fausses, ou de m’enrager devant des classements grammaticaux opaques ! Mais la rédaction, la lecture, ça j’étais forte… En tant que prof, maintenant, je retrouve des moments jubilatoires liés à l’apprentissage, quand on voit par exemple l’étincelle dans les yeux d’un enfant qui jusque-là ne comprenait pas, quand il nous regarde en disant : « Ah d’accooord !! ». J’aime la pédagogie ! C’est une façon de penser, de faire, qui cherche à faire apprendre. Et puis il y a aussi tous ces petits moments que je décris dans mon livre, les réflexions très drôles car venant tout droit de leur monde enfantin, et qui sont révélatrices d’ailleurs de leur compréhension du monde. Cela peut être amusant, mais émouvant aussi. C’est plein de vie une classe. On parle, on rit, on se confronte, se confie, on réussit des choses, on en rate d’autres (élèves comme profs !), on en a marre parfois. Mais c’est vivant ! Je ne m’ennuie jamais.
Comment entretenir ce plaisir ?
En restant « vivant » justement ! Ce que je veux dire par là c’est qu’il ne faut pas s’endormir. C’est un métier qu’on pourrait exercer « plan plan » si l’on n’y prend pas garde. L’enseignante qui s’appelle Chantal dans le livre est inspirée de certains adultes croisés au fil des années et qui me semblaient être là sans le vouloir, ou sans en avoir envie. Il est un peu gratiné ce personnage, mais c’est un concentré ! En revanche, remettre régulièrement son travail sur la planche, je trouve ça vraiment intéressant. Se questionner, « est-ce que vraiment c’est la meilleure façon de faire ? »… Prof, c’est un métier qu’on n’a jamais fini d’apprendre… Non qu’il faille tout réinventer à chaque fois, mais quand même… La majorité d’entre nous reprend, modifie, en fonction des expériences passées, des nouveaux élèves. Entretenir le plaisir c’est aussi toujours prendre garde à la personne humaine de l’enfant, qui n’est pas seulement un élève. Le petit garçon que l’on retrouve au fil des pages dans mon livre, Arthus, reflète bien la complexité à laquelle nous sommes confrontés, qui nous bouscule mais nous apporte tellement aussi. Nous ne pouvons pas passer à côté de cette dimension si nous voulons percevoir l’enfant au plus juste. Arthus est né dans mon imagination grâce à tous les enfants particuliers croisés pendant mes années d’enseignement, ceux dont on se souvient un peu plus que les autres…
Des parents ont demandé la suppression des notes au primaire et la loi d’orientation va sans ce sens . Qu’en pensez-vous ?
Les notes… C’est tellement ancré dans la culture que c’est un terrain glissant ! Et pourtant. Ne plus mettre de notes, pour beaucoup de gens (parents, mais aussi enseignants), c’est aller au laxisme, à une évaluation de l’à peu-près, à un manque de visibilité. C’est faux. Mais il faut le montrer au grand public, faire un sujet bien mené par des journalistes avertis pour expliquer en quoi la rigueur de l’évaluation est aussi voulue par les défendeurs d’un autre mode d’évaluation ! Savoir où en est l’enfant dans son apprentissage, dans ce qu’il maîtrise et ce qu’il reste comme chemin à parcourir, cela ne nécessite pas obligatoirement des notes. D’ailleurs, ce que je dénonce dans le chapitre sur les notes, au travers de la réunion d’enseignants et par le biais de ma propre histoire de parent, c’est que les notes justement ne sont pas très « fiables « ; ça ressemble à de la rigueur mais en fait… Je vois bien que pour une même notion, les supports utilisés pour évaluer varient beaucoup d’un enseignant à un autre, sans parler du barème. Alors, avec monsieur X on a 12 et avec madame y on a 16 et bla bla bla sur le trottoir de l’école à l’heure des parents… Alors que considérer tout apprentissage (capacités comme connaissances, voire attitudes) comme ayant des niveaux de maîtrise croissants, permettrait de réfléchir à un « curseur » de l’élève qui avancerait petit à petit, parfois rapidement, parfois lentement. Le travail serait centré sur la recherche de supports cohérents : quel exercice, quelle situation, peut me renseigner sur la place du curseur de cet élève ? Alors serait bien plus visible l’apprentissage en train d’avancer. C’est ce que l’on cherche, non ? Si je prends l’exemple de la reconnaissance du verbe conjugué dans la phrase simple, on peut aller du niveau 1 au niveau 10 ! C’est rendre visible cela qui serait rigoureux. Exemple : « Le cheval galope dans le pré », et «Il m’a parfois semblé entendre un bruit ». Ce n’est pas le même niveau ! Le vrai travail rigoureux est de bien identifier les niveaux de maîtrise et trouver un système qui en rende compte. Le LPC (Livret personnel de compétences), lorsqu’il sera revu dans la formulation de certains items, sera alors un support qui pourrait être une bonne base de travail. C’était le chapitre le plus difficile à écrire car aborder ce sujet pour un large public sans employer notre jargon était périlleux. Je l’ai recommencé une bonne dizaine de fois…
Beaucoup d’enseignants craignent les parents. Vous montrez comment retourner une situation. Mais les parents ne sont-ils pas, malgré tout, un problème ?
Les parents ne sont pas un problème en tant que tels. Mon expérience de directrice d’école m’aide bien sûr, m’a appris à me positionner. Le problème principal que je rencontre c’est le déni de la collectivité. Les parents « difficiles » sont souvent ceux qui restent dans une vision restrictive de leur enfant, qui n’arrivent pas à le considérer comme membre d’un groupe (classe, école). Que ce soit au sujet de l’apprentissage, des relations avec les pairs, des attitudes face aux adultes. Cela dit, les parents ont aussi raison parfois ! Il ne faut pas systématiser, c’est dangereux. Toute relation est singulière, il faut l’analyser au plus juste.
Ce livre aborde l’usage des TICE de façon amusante : justement ça ne marche pas, et la formation est insuffisante. Est-ce vraiment les vraies raisons pour ne pas utiliser les TICE ?
Je fais partie des enseignants mal formés, d’où le choix de raconter ce chapitre comme ça ! (sourire). Je veux me former, en restant maître de ma pratique pédagogique car ce sera toujours le cœur de mon métier. Je veux faire les bons choix. Mais pour l’instant je n’ai pas assez d’éléments. J’y travaille ! Je suis consciente que les TICE entraînent un changement de posture de l’enseignant, qui gère un savoir arrivant aussi par d’autres sources que lui, mais justement c’est une aide pour différencier les apprentissages. On passe notre temps à essayer de ne pas faire trop attendre les bons élèves, ceux qui comprennent vite et bien, et à tenter de ne pas laisser de côté ceux qui « lâchent » très vite. Je crois que les TICE peuvent nous aider à être plus efficace dans ce sens. Je pense à l’utilisation de tablettes tactiles en travaux de groupe, pour un travail de recherche sur documents par exemple.
Que pensez-vous de la Refondation en cette veille de rentrée ?
Je suis passionnée par les débats. Je lis ce qui se dit, je n’ai pas d’opinion tranchée sur tout bien sûr, mais l’accent mis sur le primaire est pour moi un élément phare ! Ainsi que « plus de maître que de classe » dans les zones difficiles : en tant que maître spécialisé j’adhère, évidemment… Et j’attends le service public du numérique éducatif ! Quant aux ESPE, je suis vraiment en attente d’efficacité. J’aimerais que les profs en sortent en se disant « Allez, je me sens prêt, j’y vais ».
Ce bonheur d’enseigner que vous évoquez ne tient-il pas au fait que vous êtes professeur dans un établissement privé et donc moins exposée aux difficultés du métier ?
J’enseigne dans le privé sous contrat depuis plus de 20 ans, j’ai connu beaucoup d’écoles, et je peux affirmer que parler en général « du privé » est impossible. Je ne nie pas que la liberté d’inscription dans ces écoles peut entraîner une sélection , cela arrive dans certains établissements, notamment des collèges ou lycées de centre ville. Mais il y a aussi pléthore d’écoles privées qui jouent la carte de l’ouverture, de l’accueil individualisé, de l’école inclusive. Qui accueillent le mieux possible des élèves en grande difficulté. Bien sûr, comme pour les écoles publiques, il y a des réalités de terrain qui s’imposent. Enseigner dans certaines écoles de banlieue défavorisée demande des compétences plus complexes, des enseignants plus avertis, qui justifient des moyens particuliers. Mais que ce soit dans le privé ou dans le public, cette réalité s’impose, et dépasse parfois le cadre de l’école. Mon livre raconte ce qu’il se passe dans une classe au jour le jour, je crois sincèrement que tous les enseignants, à un moment, ont un vécu commun, des joies et des peines similaires, des constats identiques. Bref, un plaisir qui se ressemble.
Et j’aimerais bien que quelques lecteurs, à la fin de mon livre, se disent « j’aimerais bien être prof, ça a l’air vraiment chouette ».
Propos recueillis par F. Jarraud
Dominique Deconinck, Le bonheur à l’école. Journal d’une instit. Editions L’iconoclaste, 2013. ISBN 9782913366572