Le Dr Nicolas Girardon est responsable du service de pédopsychiatrie pour adolescents de la clinique de la Fondation Santé des étudiants de France (FSEF) à Neufmoutiers-en-Brie en Seine et Marne.
Vous abordez dans vos travaux le cas d’adolescents aux comportements dyssociaux (bagarres, incivilités, décrochage… déscolarisation totale…) qui parfois s’exposent à des risques (addictions, accidents…). Par ailleurs, le magazine Elle (1) a dernièrement publié sur un forum l’exclamation suivante : “Les élèves sont des monstres !”… Que vous inspire ce rapprochement entre les jeunes et les monstres ?
Monstrueux : une question de regard (2). Je préfère poser la question autrement… C’est parfois à travers les représentations du monstre que l’on peut tenter de saisir comment fonctionnent certaines peurs. Les adolescents que nous rencontrons souffrent de toutes sortes de peurs irrationnelles. Le « monstre » correspondrait à une organisation assez stable d’une figuration de nos peurs que la culture du moment façonne. Ainsi la peur du monstre à l’adolescence peut être compris dans les deux sens : craindre l’émergence d’une activité « monstrueuse » sur un plan psychique, biologique ou comportementale au moment des métamorphoses induites par la puberté en nous plaçant du côté de l’adulte, ses parents d’abord et parfois les professionnels amenés à cheminer avec lui.
Du point de vue de l’adolescent ces questions peuvent se poser pour lui-même : quel monstre redoute-t-il de devenir, quelles pensées inavouables son esprit risque-t-il de secréter avec le cortège des stigmates physique que la puberté vient dénoncer ? Ces points de vue s’entrecroisent d’autant plus intensément à cet âge que le poids des réalités biologique et psychique internes, est contrebalancé par l’influence des contraintes environnementales. La peur de soi rencontre la peur de l’autre envers soi-même dans un double mouvement spéculaire. Ces projections croisées amplifient par un phénomène de résonance mutuelle les représentations terrifiantes du corps et de la sexualité, des actes et de leur intentionnalité.
C’est le caractère monstrueux au sens de la surprise et du vécu d’étrangeté de ses transformations corporelle, pulsionnelle, cognitive qui peut déclencher chez l’adolescent et en écho avec son entourage une réaction d’affolement, de répulsion, d’effroi, et une anticipation péjorative de ce qui va advenir. Pour nous, l’importance du paraître fait courir le risque pour les plus démunis d’être contraints à figer une représentation d’eux-mêmes toujours plus excessive voire monstrueuse pour se différencier et se donner l’illusion de l’autonomie au risque de l’aliénation à un comportement voire une maltraitance physique auto-infligée.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Enfances & psy N° 51, Juin 2011
Monstrueux : une question de regard (Nicolas Girardon, Maxime Calvet…)
Enfances & Psy n° 51, 2011/2 168 page
Notes :
1 http://www.elle.fr/Societe/Les-enquetes/Les-profs-se-rebiffent-699522/Cliche-n-1-Les-eleves-sont-des-monstres-!-699527 29 octobre 2008.
2 Enfances & psy N° 51, Juin 2011 Monstrueux : une question de regard (Nicolas Girardon, Maxime Calvet…) Enfances & Psy n° 51, 2011/2 168 page