S’il fallait décerner un Goncourt de l’Éducation nationale, Laurent Gaudé en serait incontestablement le lauréat 2013. Il y a quelques jours, il était, avec Jean-Jacques Goldman, au cœur d’un sujet qui a fait polémique chez ceux qui ont de l’enseignement du français une vision essentiellement patrimoniale. Hier, il était le support de l’épreuve de français (nouvelle manière) au Brevet des collèges avec un nouvel extrait de son roman « Le soleil des Scorta » autour du thème de l’exil. Un sujet qui donne aussi à penser…
Le DNB nouvelle version présentait deux innovations majeures : un sujet de réflexion était proposé aux candidats en plus du traditionnel sujet d’imagination, la dictée était rallongée d’environ un tiers. De surcroît, il était envisagé que les questions laissent une place aux réactions personnelles de l’élève face au texte proposé.
Le DNB de juin 2013 portait précisément sur un extrait du roman de Gaudé évoquant l’exil en Amérique d’une famille italienne dans la première moitié du 20ème siècle. La première partie proposait une série de questions de compréhension, d’analyse (essentiellement sur les motivations et sentiments des personnages), de grammaire (sur les valeurs de l’imparfait et du futur-simple ainsi que la construction nominale de certaines phrases du texte). Une ultime question, notée seulement sur 3 points, invitait l’élève à réagir subjectivement : « Pensez-vous que Domenico a raison en murmurant « La vie commence. » ? Développez votre réponse en quelques lignes. Vous prendrez appui sur le texte et éventuellement votre culture personnelle. » Le travail de réécriture amenait à changer le système d’énonciation dans un passage du texte. La dictée portait sur un extrait d’une œuvre de Georges Perec autour de l’arrivée d’immigrés à Ellis Island. Pour la rédaction, le sujet d’imagination était une traditionnelle suite de texte tandis que le sujet de réflexion demandait de produire un développement argumenté et construit sur la question suivante : « Le monde d’aujourd’hui laisse-t-il encore place, selon vous, à un ailleurs qui fasse rêver ? »
Un sujet d’imagination classique, des questions pour la plupart fermées et n’exigeant pas la maîtrise d’un vocabulaire spécifique … Voilà pourquoi, sans doute, certains professeurs, pour la seconde année consécutive, ont déploré sur le web la facilité de l’épreuve : « Sujet trop simpliste », « On prend les «élèves pour des ânes », « des sujets de sixièmes » … De telles réactions doivent interroger l’ensemble des enseignants sur les pratiques et les modes d’évaluation : soit les sujets sont effectivement inadaptés au travail mené dans les classes ; soit le travail mené dans les classes n’est plus adapté aux attentes réelles du système ; soit le système lui-même a fait du brevet des collèges un « machin », un objet purement institutionnel, lourd, factice et inadapté… Autrement dit, il y a (un peu partout?) des éléments à refonder . Le Brevet des collèges, démontre Anthony Lozac’h dans un récent article, est un « rite initiatique » qu’il convient de réformer pour en faire positivement un « Brevet du socle commun » : on peut alors considérer que l’épreuve de français de juin 2013 appelle, à sa façon, à « un ailleurs qui fasse rêver. »
Jean-Michel Le Baut