L’école n’aime guère le web dit 2.0, celui qui invite les internautes à produire et interagir. La plupart des sites emblématiques de l’internet participatif y sont interdits, c’est-à-dire filtrés (sauf exception ou demande expresse) comme les plateformes de blogs les plus connues, les réseaux sociaux les plus fréquentés, les espaces de partage vidéo ou audio les plus fournis. D’autres encore sont conspués, par exemple l’encyclopédie Wikipédia, pillée par tous, mais accusée de pousser à la consommation et à l’approximation. Beaucoup d’enseignants suivent aussi l’opinion publique quand elle stigmatise l’écriture web, réduite au fameux « langage SMS », perçue comme coupable de la baisse du niveau orthographique, voire linguistique, des élèves. Ce rejet est évidemment révélateur : d’un regard sur les jeunes (méprisant, angoissé ou infantilisant), d’une conception de la pédagogie (toujours plus transmissive que constructiviste, plus verticale qu’horizontale), d’un rapport au monde (dont il faut se protéger) et au temps (du présent faisons table rase).
Pourtant, tous ces outils sont passionnants. Ce n’est pas pour rien que les élèves (et pas qu’eux!) les fréquentent assidûment et l’école aurait tout à gagner à en faire un véritable espace éducatif. C’est bien parce qu’il y a des accidents de circulation qu’il faut apprendre le code de la route : c’est bien parce qu’il existe des dérapages sur le net qu’il est nécessaire d’en apprendre les bons usages, réfléchis, responsables, voire créatifs. Par-delà la nécessaire éducation aux médias, à la maîtrise des informations et à la production de contenus, les espaces jugés impurs du web 2.0 sont aussi de remarquables outils pédagogiques, susceptibles de développer connaissances et compétences, disciplinaires ou transversales. En témoignent les expériences présentées dans ce dossier qui, de l’école au lycée, instrumentalisent Spotted, Twitter, un blog ou Wikipédia pour travailler les topoi de la rencontre amoureuse, s’approprier les règles et finalités de l’écriture poétique, développer le désir et le plaisir de la lecture, s’initier à l’art contemporain. Tous les enseignants interrogés soulignent de surcroît combien les activités proposées ont suscité chez les élèves le bonheur d’apprendre en créant, en s’ouvrant au monde et en se reliant aux autres. Une étude, particulièrement éclairante, vient démontrer par ailleurs combien le web tel que le pratiquent « en vrai » les adolescents est loin d’en faire des « enfants sauvages » de la langue française… Pour que « l’école numérique » soit une aventure humaine et culturelle plus encore que technologique, puissent tous les responsables en prendre conscience : elle peut et doit s’appuyer sur les usages réels des élèves pour revitaliser les pratiques pédagogiques ; pour éduquer à la responsabilité, il faut transmettre la confiance et non véhiculer la peur ; l’école-sanctuaire, à l’ère de la mobilité des outils et de la connaissance comme flux, est vécue de plus en plus, par beaucoup d’élèves et d’enseignants, comme une école-prison ; le web 2.0 n’est pas un danger mais bien une chance pédagogique à saisir ; libérer l’école par le numérique, c’est aussi libérer le numérique à l’école.
Jean-Michel Le Baut