Les sénateurs ont adopté définitivement en seconde lecture, le 25 juin, la loi de refondation de l’Ecole de la République. Le texte voté par le Sénat reprend celui voté de l’Assemblée nationale sans modification. Il a bénéficié des voix de toute la gauche. La loi fixe les bases d’une refondation de l’Ecole. Il reste maintenant à le traduire en termes concrets et à remettre en marche l’Ecole.
Il n’aura fallu qu’un après-midi au Sénat pour adopter la loi d’orientation sur la refondation de l’Ecole. La majorité sénatoriale avait décidé de n’accepter aucun amendement et a réussi à écarter tous soit en votant contre, principalement ceux de l’opposition, soit en obtenant leur retrait (pour ceux de la majorité). Le texte du Sénat étant identique à celui de l’Assemblée, adopté le 6 juin, la loi est définitivement adoptée.
L’Ecole ne fait pas consensus
Comme à l’Assemblée, la loi n’a pas réussi à faire consensus. Elle oppose la droite et la gauche. Elle a par contré réussi à rassembler la gauche. Sur les 175 voix favorables à la loi on trouve les votes socialistes, radicaux, écologistes et communistes. Par contre l’UMP et l’UDI ont voté contre le texte (171 voix).
« Ce projet de loi ouvrira à chacun le domaine du possible : chacun pourra accéder à une vie meilleure », n’a pas hésité à promettre la sénatrice socialiste Françoise Laurent-Perrigot. Dans une envolée lyrique, et moquée par l’opposition, la sénatrice a dressé un véritable panégyrique de cette loi. « Ce projet de loi ouvrira à chacun le domaine du possible : chacun pourra accéder à une vie meilleure… Avec les cours d’enseignements moral et civique, les enfants seront sensibilisés aux valeurs essentielles de notre République… Cette loi qui est une des grandes priorités du Gouvernement donnera aux générations futures, quelle que soit leur situation, la chance d’accéder aux connaissances. Demain, on parlera de la loi Peillon ».
La sénatrice écologiste Corinne Bouchoux a souligné les apports de son groupe. « Les parcours artistiques, l’éducation à la non-violence ou à l’environnement, la place des parents, tout cela nous convient… Même si notre modèle est encore éloigné des pratiques nordiques, ce texte envoie un signal fort aux élèves en situation de handicap et à leur famille qui ont souvent du mal à les scolariser… » Le groupe communiste a soutenu le texte avec réserve. » La coopération État-région sera privilégiée : la carte sera déterminée après accord du recteur. Vous serez le garant de l’égalité sur le territoire », a souligné Brigitte Gonthier-Maurin. « Nous avons obtenu le retrait par le Gouvernement de la mainmise par la région du service public d’orientation tout au long de la vie… Nous devons nous émanciper de la notion de socle et travailler à la construction d’une culture commune de haut niveau pour toutes et tous… Nous voterons ce texte, tout en restant exigeants et vigilants ».
Pour l’UMP, Jacques Legendre a critiqué les bases mêmes de la refondation. « Vous allez créer 60 000 postes d’enseignants. C’est considérable, dans le contexte budgétaire actuel. Est-ce opportun ? Vous n’allez pas pouvoir en même temps mieux les rémunérer, alors qu’ils gagnent entre 15 et 20 % de moins que dans les autres pays de l’Union européenne… Le collège unique est un véritable gâchis, tout le monde en est conscient, sauf vous !.. Décidément, il faudra revoir ce texte », a-t-il prévenu.
Une victoire pour une grande loi
Vincent Peillon a su à la fois éviter la division de la majorité et un débat traditionnel entre tenants de l’Ecole traditionnelle et novateurs. Sans nul doute, le goût du ministre pour les drapeaux aux frontons des écoles et pour la morale civique et laïque ne sont pas pour rien dans ce tour de force.
La loi créé un cadre puissant pour refonder l’Ecole. Elle donne des moyens uniques à Vincent Peillon avec 60 000 postes alors que l’Etat est contraint de réduire le nombre de ses fonctionnaires.
Elle fixe les structures d’une réorganisation de l’Ecole. Elle crée des conseils pour les programmes et pour l’évaluation de l’Ecole. Elle organise les rapports avec les collectivités territoriales avec un fonds pour accompagner la mise en place des nouveaux rythmes.
La loi restaure la formation des enseignants avec les écoles supérieures du professorat et de l’éducation qui ouvriront dès la rentrée scolaire 2013 (27 000 postes). Elle donne la priorité au premier degré en destinant 14 000 postes au développement de l’accueil des enfants de moins de trois ans et au « plus de maîtres que de classes ». 7 000 postes iront dans le second degré prioritairement au collège.
La loi instaure un service public du numérique éducatif dont on attend un renouvellement des pratiques pédagogiques. Elle prétend régler la question de l’entretien du matériel et de l’exception pédagogique pour l’utilisation d’oeuvres en classe. Elle confirme le socle commun. Elle redéfinit la mission de la maternelle qui devient une école particulière avec l’accueil des moins de trois ans et une formation spécifique pour ses enseignants. Elle instaure un parcours d’éducation artistique et culturelle. Elle crée un enseignement moral et civique. Elle se fixe comme objectifs la fin des devoirs à la maison au primaire, la baisse des redoublements, de nouvelles évaluations.
Enfin elle fixe de nouvelles valeurs pour l’Ecole. Au Code de l’éducation, elle ajoute l’objectif de » lutter contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative « . Le système éducatif « reconnaît que tous les enfants partagent la capacité d’apprendre et de progresser. Il veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans aucune distinction. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement », ajoute la loi. » Le service public de l’éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité. Par son organisation et ses méthodes, comme par la formation des maîtres qui y enseignent, il favorise la coopération entre les élèves ». On a là l’amorce d’une réforme pédagogique qui reste évidemment à construire. Sur le terrain des valeurs la loi impose un enseignement de morale laïque et un pavoisement qui au final concernera surtout les écoles catholiques.
Premiers prolongements
Devant le Sénat, Vincent Peillon a évoqué les premiers prolongements de la loi. Il a annoncé s’attaquer au collège. « Nous parlerons bientôt du collège, qu’il conviendra de réformer après le primaire. Nous y travaillons depuis plusieurs mois déjà avec la Direction générale de l’enseignement scolaire », a-t-il dit. L’éducation prioritaire est présentée comme le second chantier. Elle « concerne près de 20 % des écoliers et des collégiens. Pourtant, elle ne répond pas entièrement aux défis actuels. Il faudra donc la réformer ». Enfin sur les redoublements, le ministre annonce « une circulaire (qui) précisera les « circonstances exceptionnelles » » admises par la loi.
Tout reste à faire
Pour autant la loi ne fixe qu’un cadre général, un blanc seing donné au ministre. Il reste à concrétiser ce texte général et à lui donner une âme. Et dès maintenant on voit la difficulté de l’exercice.
La question des rythmes est emblématique. Sur ce terrain fort concret, malgré des années de préparation, le ministre a échoué à faire adopter les nouveaux rythmes. Seule une minorité de communes les ont adopté pour la rentrée 2013. Les autres, nous dit-on, préparent leur mise en place en 2014. Mais comment éviter que cette mesure, qui impacte la vie d’une grande partie des électeurs et le budget municipal, ne devienne un enjeu des municipales de 2014 ? Que se passera-t-il si un nombre important de communes passe à l’opposition ? L’avenir de cette mesure et encore plus de ses finalités est tout sauf assuré.
La loi est présentée par le ministre comme une refondation pédagogique. Or, comme le socle ne fait pas l’unanimité à gauche, la loi remet à des décrets sa définition. Là aussi c’est de nouvelles oppositions et de nouveaux débats en perspective.
La loi fait de la formation des enseignants une priorité. C’est sans doute son point fort. Pour autant la mise en place des nouvelles écoles de formation (ESPE) est laborieuse. Les universités ont du mal à définir leur projet. Quatre d’entre eux ont déjà été retoqués par le ministère. Et on est à quelques semaines de leur ouverture !
Mais le principal problème du ministre est ailleurs. Alors que « la priorité au primaire » est un point fort de la loi, la question des rythmes, qui a monopolisé le débat public, a mobilisé les enseignants du primaire contre la refondation. Ceux du secondaire, qui s’estiment « à l’abri » du texte, manifestent peu d’intérêt à la question de la refondation. L’intérêt des enseignants se porte sur leur salaire, gelé depuis des années, sur les conditions de travail, les programmes, tous sujets délaissés par le ministre. Alors qu’elle devrait réunir les acteurs de l’Ecole pour « refonder » l’Ecole, la loi suscite soit méfiance soit indifférence chez les enseignants qui sont censés la mettre en place. Ce n’est pas le moindre des obstacles pour Vincent Peillon.
François Jarraud