Par François Jarraud
- Numérique : La politique académique dévoilée
- Numérique : François Bonneau : Réfléchir à la transition du papier vers le numérique
- Numérique : Analyses et réactions
« Cette année sera celle du changement ». Vincent Peillon a réuni, le 10 juin, 300 invités de « l’édusphère », la ministre du numérique, Fleur Pellerin, des cadres du système éducatif ou de grandes institutions, élus des collectivités territoriales, des représentants de l’édition et des services numériques et même quelques rares enseignants, pour assister au « point d’étape » de sa « stratégie numérique ». Six mois après le lancement du 13 décembre, les projets avancent, des ressources apparaissent, une administration du numérique nait. Le signal envoyé du sommet est-il audible sur le terrain ? C’est là où l’effort ministériel semble le moins convaincant.
Vincent Peillon et Fleur Pellerin, accompagnés de Louis Gallois, sont allés au-devant des élèves du lycée parisien Diderot pour constater la place prise par le numérique dans l’enseignement. Il a longuement discuté avec un élèves en brevet de m’étier d’art horlogerie, un métier traditionnel où, selon le professeur d’horlogerie, B. Gabret, des logiciels aident à la conception de pièces pour la restauration des horloges. En BTS IRIS, en STI2D les étudiants montrent leurs projets qui utilisent tous des ressources numériques.
Un changement fondamental
C’est Fleur Pellerin qui justifie en premier l’effort ministériel pour le numérique. Elle-même s’engage à donner la priorité aux établissements scolaires pour le raccordement au haut débit. Elle engage l’Etat dans la constitution d’une filière du numérique éducatif et fixe l’objectif que les jeunes « aient une plaine maitrise du numérique ». Pour Catherine Becchetti-Bizot, inspectrice générale, l’éducation aux médias est une nécessité pour apprendre à gérer les flux d’information, pour en produire et pour comprendre les stratégies économiques ou politiques qui sous-tendent ces flux. Jean-Paul Delahaye, Dgesco, souligne le changement « fondamental » apporté par le numérique à la transmission des connaissances. « On voit émerger une nouvelle façon de construire la pédagogie », dit-il. « Le numérique modifie la relation entre maitre et élèves, entre maîtres, entre l’école et les manuels ». Mais « ce mouvement se situe dans le cadre disciplinaire », souligne-t-il.
« Il ne faut pas avoir peur du numérique », déclare Vincent Peillon. « Ce n’est pas un énième plan mais une mobilisation nouvelle ». Le ministre rappelle les « 15 plans » qui ont précédé sa « stratégie » « qui n’ont pas tous bien marché », parce que « cela ne peut marche que si l’on a la totalité de la chaîne » ce qui n’a pas été le cas. V. Peillon veut donc donner le sentiment que son plan couvre toute la chaine du numérique. Mais que propose-t-il concrètement ?
Ressources et dispositifs
Le ministre promet des ressources dès la rentrée 2013. La plupart concernent le primaire. Ainsi « les fondamentaux » produits par le CNDP sont de petits films vidéos portant sur des notions au programme comme le complément d’objet. On promet 200 films différents. « English for Schools » est un cours d’anglais à distance développé par le CNED. D’Col proposera des aides individuelles dans 1085 classes de 6ème dans des établissements défavorisés à la rentrée. Les élèves auront 2 heures par jour pour ce travail. M@gistère propose un service de formation à distance des enseignants du primaire créé dans le cadre de la réforme des rythmes qui propose 9 heures annuelles. Enfin l’éducthèque réunira des ressources données par les grandes entreprises publiques : INA, CNRS, IGN, Louvre etc.
La « stratégie Peillon » va plus loin que les ressources pour viser « toute la chaine » du numérique. Une nouvelle direction sera créée au ministère sous la dépendance de la Dgesco et du Secrétariat général pour piloter la stratégie numérique. Elle sera confiée à l’inspectrice Catherine Becchetti-Bizot. Elle pilotera des délégués académiques (DAN). Le ministère va renforcer l’éducation aux médias en offrant des exemples de séquences pédagogiques et une modification des programmes. Le B2i sera refondé au collège et le B2i lycée « relancé ». Il insistera davantage sur les traces et l’identité numérique. Une partie de la formation sera dévolue au numérique. Chaque établissement proposera à la rentrée une réunion sur le numérique. Vingt collèges « connectés » sont créés. Ils proposeront une autre pédagogie avec au moins 1 heure d’utilisation du numérique par jour. La question de l’avenir du manuel scolaire revient comme un leitmotiv dans les déclarations et clairement le ministère lorgne vers les 400 millions dévolus aux manuels scolaires…
Et les enseignants ?
Pour clore la journée, Vincent Peillon a signé avec 7 conseils généraux des conventions relatives aux collèges « connectés ». « Peut-être veut on aller trop vite », nous confie Serge Pouts-Lajus, un consultant renommé. « J’adhère à l’idée de lancer un mouvement mais l’épreuve des faits risque d’être difficile car on veut aller fort ». La vraie conclusion de la journée est peut-être offerte par la présidente de la CNIL, Isabelle Falque-Pierrotin. Elle propose que le numérique éducatif devienne la grande cause nationale de 2014. Un voeu qui éclaire les ambitions et les manques de la stratégie ministérielle. Dans ce voeu, les carences du numérique éducatif sont prises au sérieux et l’ambition du changement est portée à un haut niveau. Mais c’est aussi le manque de moyens de ce nouveau plan étatique qui est souligné par cet appel à la charité publique. Enfin, « rien ne changera sans les enseignants », dit V. Peillon. Compte-il sur la nouvelle administration du numérique pour les associer au changement?
François Jarraud
Le dossier de presse
http://www.education.gouv.fr/cid72307/point-d-etape-de-l-entree-de-[…]
Sur la politique académique
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2013/05/21052013Ar[…]
La présnetation de la stratégie le 13 décembre
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2012/12/14122012Ar[…]
Comment le ministère entend-il impulser le numérique dans les écoles et les établissements ? Alors que V. Peillon doit faire connaître le 10 juin sa « stratégie pour le numérique », le Café pédagogique dévoile sa déclinaison académique. Dans une note signée par le directeur de cabinet de V. Peillon et destinée aux recteurs, que le Café pédagogique s’est procurée, le ministère dresse une feuille de route de ce qui va changer dans les académies et les établissements pour faire entrer l’Ecole dans l’ère numérique. Le texte annonce un bouleversement de la gouvernance académique du numérique avec une meilleure coordination avec les collectivités territoriales. Un délégué académique sera installé dans chaque rectorat pour accompagner les projets ministériels et veiller à la formation des enseignants et des cadres. Chaque académie remplira une « feuille de route » pour la fin juin.
Une nouvelle gouvernance territoriale
« Les recteurs sont invités à oeuvrer à l’installation d’une gouvernance territoriale formalisée avec les collectivités » précise ce texte qui est parvenu aux rectorats il y a quelques jours. « L’ambition du ministre nécessite de renforcer le partenariat avec les collectivités sur le numérique autour de projets partagés ». Le texte donne en exemple les acquisitions de matériels informatiques et la maintenance. Il prévoit la mise en place d’une instance académique réunissant l’académie, le conseil régional et les conseils généraux, l’Espe et le Crdp et des instances départementales concernant le 1er degré et associant académie, communes, Espe, Crdp et éventuellement le conseil général. Un conventionnement autour des projets numériques devra avoir lieu avant la fin 2013. Ces instances doivent être mises en place avant la fin juin 2013.
Les académies devront aussi définir des projets pouvant bénéficier des fonds européens du FEDER et les mener à bien avec les régions (seules susceptibles de recevoir des fonds Feder).
Chaque académie devra nommer un Délégué académique au numérique (DAN) qui pilotera le numérique éducatif dans l’académie. Il devrait représenter le directeur du service publique du numérique éducatif que V Peillon envisage de créer au ministère.
Un plan de formation au et par le numérique
D’ici le 15 juin, chaque recteur devra avoir arrêté un plan de formation au numérique intégré au PAF pour 2013-2014. Il comprendra les actions de formation à distance qui sont prévues dans les 9 heures de formation accordées au professeurs des écoles. Des modules de formation seront proposés à la rentrée sur une plate forme développée par le CNDP.
Le soutien aux actions nationales
Les recteurs sont invités à préciser de quelle façon ils soutiendront les projets numériques nationaux qui devraient être détaillés le 10 juin. Il s’agit de l’accompagnement personnalisé de 30 000 élèves de 6ème des établissements prioritaires dès la rentrée. Dans les établissements retenus un référent encadrera les élèves en salle informatique. Ils bénéficieront « d’un ensemble de parcours personnalisés interactifs adaptés aux besoins de chaque élève » et d’un accompagnement par un enseignant tuteur du CNED. Le projet English for schools proposera à la rentrée deux sites nationaux , un pour les élèves, l’autre pour les enseignants, proposant des « univers cohérents et imbriqués, pour l’apprentissage de l’anglais pour les 8-10 ans. .
Certaines académies devront également définir un « collège numérique pilote » capable de démontrer les apports du numérique. Les académies sont aussi sollicitées pour accompagner le développement des ENT et d’un ENT 1er degré.
Une feuille de route pour la mi-juin
Chaque recteur devra construire pour la mi juin une feuille de route académique reprenant ces différents aspects et proposant des projets académiques. Elles comprendront notamment des actions vers les familles et une convention avec la Caisse des dépots sur le raccordement au très haut débit Internet.
Administration et financement
C’est donc une mobilisation administrative sans précédent que met en place le ministère à un rythme rapide. Elle englobe la création d’une administration locale du numérique sur un schéma pyramidal classique et un effort de formation des personnels. Elle veut associer cette formation au déploiement de matériel. Les récents rapports sur la Corrèze et les Landes ont mis en évidence les dégâts de l’absence de pilotage commun entre académie et collectivité territoriale.
Mais ce document marque aussi l’écart entre les ambitions et les moyens. La stratégie numérique de Vincent Peillon ne pourra exister qu’avec des fonds européens versés aux régions et avec le soutien financier des collectivités locales. Le pilotage pourrait bien alors basculer du coté local. Et il n’est pas certains qu’aux deux niveaux européen et territorial 2013 et 2014 soient de bonnes années pour dégager des moyens.
François Jarraud
La note aux recteurs
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Peillon lance une stratégie globale pour le numérique
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Pour François Bonneau, président de la commission Education de l’Association des régions de France et président de la région Centre, la nouvelle « stratégie numérique » est une nécessité. Il souligne l’importance des délégués académiques qui vont être mis en place. Mais pour François Bonneau la question de la maintenance du matériel n’est toujours pas réglée. Et la transition vers le numérique doit s’accompagner d’une réflexion sur l’avenir des manuels scolaires.
V. Peillon lance le 10 juin une « stratégie pour le numérique ». Cet effort vous semble-t-il nécessaire ?
C’est un effort indispensable. Et c’est un point fort de la loi d’orientation. Le numérique éducatif fait partie des points fondamentaux qui n’ont pas été traités correctement ces 10 dernières années. Durant ces années, les collectivités territoriales ont fait des efforts importants pour doter les établissements de matériel, pour leur maintenance. Et on a aujourd’hui un écart insoutenable entre le niveau d’équipement et les usages. Le numérique est entré dans la vie de tous et particulièrement des jeunes. Il est indispensable dans de nombreux métiers. Il vient nourrir l’information et faciliter la réflexion. Il apporte de nouvelles modalités pour appréhender ce qui est autour de nous. L’enseignement ne peut pas rester en retard. La stratégie de V. Peillon est donc très bienvenue.
Des études récentes (Corrèze, Landes) ont mis en évidence les dysfonctionnements du tandem collectivité territoriale – éducation nationale. Qu’attendez vous du plan ministériel sur ce terrain? Seulement le règlement de la question de la maintenance ?
On aurait réglé la question de la maintenance que l’on serait face au même problème. Il s’agit de pouvoir collaborer entre le rectorat, la collectivité territoriale et l’EPLE (l’établissement NDLR). C’est à ces trois niveaux, et non pas deux, qu’il faut agir ensemble. Il faut envisager tous les éléments de la chaîne, le matériel, mais aussi les suages et la production de ressources numériques. C’est toute cette chaîne qu’il faut structurer. Il faut une gouvernance territoriale dans chaque académie pour une réelle co-construction avec des objectifs clairs, un calendrier et un programme de mise en oeuvre.
Le plan Peillon prévoit la création de Délégués académiques au numérique (DAN). Cela ne suffit pas ?
Le DAN peut être l’interlocuteur ponctuel de la région, celui qui favorise le partenariat. Mais il doit être plus que cela. Il doit aussi être celui qui suite et évalue la formation des enseignants en formation initiale et continue, qui repère les équipes sur le terrain et fasse remonter les questions de soutien, qui facilite la mise en place de l’accompagnement. Il faut dans les établissements, sur le terrain, un véritable accompagnement qui soit un filet de sécurité pour les enseignants qui reculent devant l’obstacle. C’est très important. Il faut aussi penser aux familles. Les ENT doivent permettre autre chose que consulter les notes. Ils doivent donner la possibilité de proposer des travaux en ligne qui permettront l’appropriation individuelle des savoirs. Le numérique est maintenant un élément du projet des établissements, il faut, dans le droit fil de la convention tripartite rectorat – région – établissement que le numérique soit soutenu.
Là où le numérique marche c’est là où il fait partie du projet d’établissement et quand on a des équipes formées, accompagnées, ayant une réflexion collective sur la transition du papier vers le numérique, en dialogue avec la collectivité territoriale.
La question de la maintenance est-elle réglée ?
Du point de vue de l’Etat, elle l’est. Mais du point de vue des régions ce n’est pas le cas. Pour le Conseil d’Etat, le matériel acheté par les collectivités territoriales doit être maintenu par elles. Les régions considèrent que les moyens consacrés par l’Etat à la maintenance doivent leur être attribués comme point d’appui de départ. L’Etat refuse cette compensation. Si on veut que toutes les collectivités s’engagent il faut une annonce forte du gouvernement. L’Etat doit assurer aussi un accompagnement pour les usages, pour les sécuriser.
Mais il n’y a quasiment jamais eu d’accompagnement…
Le numérique va installer un rapport nouveau entre les enseignants et les élèves. Il faut que dans leur formation, et avec l’aide de l’inspection, ils y soient préparés. C’est pour cela qu’il faut des tuteurs qui les sécurisent.
Les rapports récents de l’Inspection générale montrent que les inspecteurs sont perçus plutôt comme des freins par les enseignants. Comment changer cela ?
Ou le ministère espère que le numérique entrera par la fenêtre ou il prend les choses en main. C’est ce que V. Peillon fait et c’est une chance pour la France. Le numérique est un atout pour un système éducatif plus performant. Ce n’est plus possible de rester inerte. Le ministère en fait une priorité. Il faut donc que tous les maillons de la chaîne fassent leur part. Il faut introduire le dialogue avec les éditeurs, les personnels, les collectivités locales. C’est d’une mobilisation générale dont nous avons besoin.
Le budget vous semble suffisant ?
Le problème n’est pas là. Dans la situation budgétaire actuelle qui est difficile on voit bien que l’éducation est une priorité. Dès cette année la formation des enseignants est remise en place avec les ESPE. Cela consomme beaucoup de moyens. A ce niveau ce n’est plus qu’une question de contenu de formation. Dans les établissements, le niveau d’équipement est atteint. Il reste le problème de la maintenance à régler. L’essentiel c’est la priorité que l’on donne au numérique et la nouvelle répartition entre le papier et le numérique.
Les régions vont acheter moins de manuels papier ?
Il est évident que nous ne pourrons pas avoir pour le même enseignant le support papier et le numérique. Il faut trouver une nouvelle articulation entre eux. Il y a des disciplines où on s’interroge sur la nécessité d’avoir un manuel par élève alors qu’un jeu de manuels suffirait. On a engagé les ENT. Ils vont favoriser un nouveau mixte pédagogique avec du papier et du numérique. Mais le papier sera dans des volumes différents.
Propos recueillis par François Jarraud
Tice : Pour un Acte III de la décentralisation
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De PL GHavam, département des Landes
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Sur le site du Café
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