Chercheur au LabSic de Paris 13, Alain Chaptal observe depuis des années la place des technologies dans les systèmes éducatifs en France et à l’étranger et spécialement dans le monde anglo-saxon. A quelques jours de l’annonce de la « stratégie numérique » de Vincent Peillon, il explique le retard français. Pour lui, la désertion des cadres intermédiaires n’est pas pour rien dans l’immobilisme du système éducatif.
Avec l’arrivée d’une nouvelle équipe rue de Grenelle, avez-vous perçu des changements dans la politique numérique ?
Il y a l’intention de bien faire et un discours plus présent qu’autrefois. Un volet TICE a été glissé dans la formation des enseignants ce qui est très important. Voilà pour le positif. En même temps j’ai peur que cette formation, dans les ESPE, soit criticable comme l’était celle des IUFM car déconnectée du terrain. Et si on revient au plan numérique proprement dit, il est clair que le ministère a peu de moyens. Dix millions c’est dérisoire. C’est le budget d’une PME ou d’un projet soutenu par un fonds innovant.
Mais le point le plus faible me semble ailleurs. Ce qui me frappe c’est l’absence de mobilisation de l’appareil de l’Education nationale. Tant que l’on n’imposera pas aux chefs d’établissement et aux inspecteurs de faire des TICE une priorité dans l’évaluation des enseignants, rien ne bougera. Or la plupart des inspecteurs n’imposent pas les TICE comme le montrent les récents rapports de l’Inspection générale sur la Corrèze et les Landes. A aucun moment les inspecteurs n’insistent sur ce point. Voilà pourtant une mesure qui ne couterait pas cher.
On dit souvent que le faible déploiement des usages des TICE est lié à des obstacles culturels. Qu’en pensez vous ?
Le ministère a changé les programmes d’enseignement et y a introduit souvent les TICE mais ce n’est pas entré dans les moeurs. Les enseignants ne sont pas persuadés que leur usage apporte une réelle plus-value. Ils sont donc prudents. Il faut que l’appareil les convainque. Or au mieux il laisse faire. Je le répète : le ministère devrait agir pour mobiliser ses cadres en faveur des usages. Du coté des enseignants, on sait qu’ils sont très utilisateurs des TICE donc il n’y a pas d’obstacle culturel. Et compte tenu de la place prise par les solutions techniques dans notre vie. c’est criminel de ne pas former les jeunes à leur usage critique. Les enseignants sont d’accord avec cette idée. Mais il est normal qu’ils aient des doutes sur l’efficacité des TICE c’est normal car la recherche n’est pas claire sur ce point.
Une autre mesure que vous recommandez ?
Il faut absolument clarifier la question de la maintenance. Les dépannages doivent être très rapides. S’il faut éplucher les factures pour savoir qui intervient ce n’est pas sérieux. Enfin il faut développer la réflexion globale sur ces technologies pour clarifier à quoi elles peuvent servir et faire le tri entre idées zombies et choses avérées. Je suis surpris de la légèreté avec laquelle se répand le déterminisme technologique. Le discours sur le BYOD (« Bring your own device » c’est à dire Apportez vos appareils personnels) sous-estime les difficultés de gestion technique. Même chose sur le MOOC, la classe inversée. Il faut que le ministère tienne un discours de vérité.
Finalement les TIC ne sont estimées que pour les applications de gestion ?
Aux Etats-Unis un véritable complexe édu-industriel s’est développé grace aux tests obligatoires imposés aux élèves. Il s’appuie aussi sur la façon dont les enseignants se sont emparés des TIC pour soutenir leur cours, avec les TBI par exemple. C’est une façon pragmatique de s’adapter aux TIC en s’appuyant sur des pratiques maitrisées. C’est une étape nécessaire.
Globalement par rapport au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, ou même à l’Espagne, je suis inquiet. L’éducation nationale est dans l’oeil du cyclone. L’enseignement en ligne devient un véritable cheval de Troie pour attaquer l’école publique et développer une approche favorable à l’industrie privée. Le ministère devrait verrouiller ce scénario. Or le débat sur l’Ecole est escamoté.
Propos recueillis par François Jarraud