« Le Sénat, sa majorité de gauche, a adopté une loi qui apportera à tous les enfants de la République, quelle que soit leur origine, la promesse d’un avenir meilleur ». Samedi 25 mai, à 1h30 du matin, Vincent Peillon peut être satisfait. Le gouvernement a réussi à faire accepter son texte sans profonde modification à une majorité fragile et divisée sur les questions scolaires. La longue séance du vendredi 24 mai, commencée à 9h30 du matin et terminée tard dans la nuit a examiné la moitié des articles de la loi plus son annexe avec plusieurs sujets de désaccord en perspective.
Quelques sujets de débat…
Le premier c’est le DIMA et les dispositifs d’orientation précoce. « Oui au collège unique, à la scolarisation jusqu’à 16 ans. Mais j’ai enseigné en ZEP, j’ai vu des élèves qui s’ennuient, car ils sont distancés, laissés de côté. Plutôt que les exclure, il faut les amener à découvrir d’autres manières d’apprendre, de travailler. Après cette expérience, ils pourront revenir en classe », affirme Colette Mélot, sénatrice UMP. » Nous avons déjà souligné les avantages de l’alternance, qui permet aux jeunes de s’épanouir et de réussir ailleurs qu’au collège. Pour les jeunes de 15 ans, le Dima répond à une véritable demande de diversification des parcours à partir de la quatrième ». « L’apprentissage junior, obsolète, est contraire au droit européen, la précédente majorité avait d’ailleurs envisagé de le supprimer dès 2007 mais ne l’a pas fait », répond V. Peillon. « Le Dima, introduit par la loi Cherpion de juillet 2011, permettait d’écarter dès 14 ans un jeune de la scolarité normale en collège et de l’occuper en attendant qu’il trouve un contrat d’apprentissage – ce qui arrivait rarement, les entreprises préférant des apprentis plus âgés. L’article 38 le remplace par un dispositif de découverte : les plus de 15 ans pourront accéder à une classe de troisième préparatoire à l’apprentissage ».
Autre sujet de débat l’exception pédagogique dans le cadre du service du numérique éducatif. « Nous précisons que l’exception pédagogique est limitée aux actes pédagogiques et activités de recherche à destination des élèves, étudiants, enseignants ou chercheurs directement concernés par cet acte d’enseignement, de formation ou cette activité de recherche », demande dans un amendement Françoise Laborde, sénatrice radicale de gauche. » Il faut mettre fin au traitement différent des oeuvres écrites selon leur support de publication et étendre l’exception pédagogique à l’élaboration et la mise en ligne des sujets d’examens et de concours organisés dans la prolongation des enseignements », répond V Peillon. « Nous ne pouvons aller plus loin, après la remise du rapport de Pierre Lescure au président de la République, qui fait l’objet d’un travail interministériel. Les incidences budgétaires pour l’État ne sont pas négligeables. Il faut tenir compte de la sensibilité des éditeurs ». Le ministre retire son amendement au profit de celui de F Laborde qui encadre davantage l’exception pédagogique redessinée par la commission du Sénat.
Dernier sujet significatif de désaccord : le mot plaisir. « Cette rédaction supprime le mot « plaisir », qui laisse à penser aux jeunes qu’apprendre doit toujours être un plaisir », explique le sénateur UMP Jacques Legendre en présentant son amendement. « Apprendre peut être contraignant et nécessiter des efforts. Je ne suis pas ennemi du plaisir à l’école, mais l’acquisition des connaissances ne va pas sans effort ». Son amendement est repoussé.
Quelles modifications du texte par le Sénat ?
Finalement, l’impact du Sénat sur le texte de la loi reste minime. Obligé de ménager une majorité fragile, le gouvernement a réussi à éteindre les incendies quitte à faire la part du feu. Défendu par les écologistes, l’éducation à l’environnement entre dans la loi avec un article 28bis nouveau. « L’éducation à l’environnement et au développement durable débute dès l’école primaire. Elle a pour objectif d’éveiller les enfants aux enjeux environnementaux. Elle comporte une sensibilisation à la nature et à la compréhension et à l’évaluation de l’impact des activités humaines sur les ressources naturelles ». Autre concession aux écologistes, l’enseignement des langues régionales est renforcé.
L’évaluation par compétences au primaire reste inscrite dans le texte de loi comme le souhaitait la commission. Un amendement gouvernemental satisfait une demande de l’UDI en faveur des stages des établissements agricoles qui pourront avoir lieu dès la 4ème. Le parti socialiste a fait passer un amendement qui maintient le salaire du parent qui accompagne son enfant lors d’une visite médicale scolaire obligatoire. Les sénateurs communistes ont obtenu le retrait de la référence européenne, mise en place par la commission, dans la définition du socle commun. Un amendement PRG a recadré en faveur des éditeurs l’exception pédagogique. Enfin, par 376 voix sur 376, le Sénat s’est trouvé unanime à défendre le principe d’une éducation aux médias.
Le gouvernement a réussi à détourner quelques points délicats. La définition des cycles imposée par la commission, qui groupait Cm2-6ème, a été annulée. C’est un décret qui fixera les cycles. Sur l’exception pédagogique où il a soutenu l’amendement PRG. Un amendement gouvernemental a écarté les projets pluridisciplinaires au brevet que la commission avait adopté sur proposition écologiste. L’éducation à la sexualité est passée de la loi à son annexe tout en gagnant en précision : 3 séances annuelles. Il a obtenu que le second représentant d’une collectivité territoriale dans les conseils d’administration des établissements puisse être un fonctionnaire, ce qui était demandé par les collectivités. Par contre il a échoué à inscrire dans la loi la territorialisation de l’orientation. Le Sénat avait inscrit dans la loi l’envoi des inspecteurs et chefs d’établissement en formation. L’article a été retiré mais une mention est faite dans l’annexe de la loi. Enfin V Peillon fait inscrire la devise républicaine et hissé la drapeau tricolore sur les établissements scolaires. La mesure touchera surtout les établissements catholiques sous contrat…
Des apports définitifs ?
Finalement il restera du passage au Sénat une affirmation forte de l’objectif de mixité sociale donnée au système éducatif par le Sénat. C’est l’école inclusive qu’a défendu le Sénat dans son article 3. Le système éducatif « veille à l’inclusion scolaire de tous les enfants, sans distinction d’origine, de milieu social et de condition de santé. Il veille également à la mixité sociale des publics scolarisés au sein des établissements d’enseignement. Pour garantir la réussite de tous, l’école se construit avec la participation des parents, quelle que soit leur origine sociale. Elle s’enrichit et se conforte par le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative ». L’article 12 bis précise : » Lorsque cela favorise la mixité sociale, un même secteur de recrutement peut être partagé par plusieurs collèges publics situés à l’intérieur d’un même périmètre de transports urbains », afin de limiter les dérogations scolaires.
Le Sénat renforce la position des parents. Il installe aussi un espace pour les parents dans les établissements scolaires » Il est prévu dans tous les établissements un espace à l’usage des parents d’élèves et de leurs délégués ». La formulation est assez vague et soumise aux capacités réelles des collectivités locales et des établissements mais le principe est acté dans la loi. Les parents ne récupèrent pas le dernier mot en matière d’orientation comme le souhaitait la commission de l’Assemblée. Mais l’expérimentation de cette procédure d’orientation passe de l’annexe de la loi à l’article 32bis. Enfin le Sénat est revenu sur l’article 4ter qui donnait le droit aux établissements scolaires de revenir sur la scolarisation d’un enfant handicapé. Il est supprimé.
Les réactions
Les sénateurs communistes se félicitent d’avoir fait reculer la territorialisation de l’éducation. Pour la carte de la formation professionnelle l’avis du recteur devient déterminant. L’orientation décentralisée n’ a pas été inscrite dans la loi. Les références européennes au socle sont retirées.
Les sénateurs écologistes ont pesé beaucoup plus sur le texte au Sénat qu’à l’Assemblée. « Ce n’est pas à 100 % l’école rêvée par les écologistes, mais il y a des avancées », précise Corinne Bouchoux. « Nous avons essayé de définir ensemble une école plus inclusive, introduit la notion de culture dans le socle. Nous avons rétabli l’article 3 en faveur de la mixité sociale. Chacune et chacun doit être considéré comme capable d’apprendre, c’est une révolution copernicienne. Nous avons adopté des mesures en faveur des enfants en situation de handicap et de la formation des enseignants à la résolution non violente des conflits. Nous avons progressé sur les langues régionales, sur l’éducation à l’environnement et à la citoyenneté, sur la place des associations et de l’éducation populaire, la formation professionnelle des enseignants ».
Les sénateurs socialistes « se réjouissent que le texte de Refondation de l’école actuellement examiné au Sénat réaffirme le collège unique » et se félicitent de la suppression du DIMA. Emeric Bréhier et Yannick Trigance, secrétaires nationaux du PS, résument les avancées. « Présence de la devise de la République « liberté, égalité, fraternité », du drapeau tricolore au fronton des établissement scolaires ainsi que l’affichage de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, assouplissement de l’accès aux langues régionales, éducation à l’environnement, renforcement des mesures en faveur des enfants en situation de handicap, expérimentation du dernier mot donné aux parents sur les redoublements : la haute assemblée a positivement enrichi le texte par son travail d’amendement ».
Pour l’UMP, Jacques Legendre a un avis bien différent. « L’effort budgétaire demandé à la Nation pour créer les 60 000 postes supplémentaires est très important dans la situation où se trouve notre pays et entravera le retour à l’équilibre de nos finances publiques… Des moyens importants sont consacrés à l’entrée en maternelle dès 2 ans ; ils seraient plus efficaces s’ils étaient concentrés en fin de maternelle et au début du primaire. Le socle devient flou, quand il n’est plus défini par la loi mais renvoyé au pouvoir règlementaire ; quand il se trouve concurrencé par des formes d’éducation transversales, l’emploi du temps n’étant pas extensible, on peut craindre son érosion. Les facilités offertes aux jeunes en situation d’échec de trouver une sortie vers l’apprentissage ont été supprimées ».
Vincent Peillon se contente de souligner sa propre réussite. « Ce vote vient démontrer la mobilisation de l’ensemble de la majorité sénatoriale autour de la politique éducative du président de la République. Toute la gauche s’est ainsi rassemblée une nouvelle fois autour de l’école ».
Le prochain défi sera justement de garder cette alliance à l’Assemblée où le texte va revenir en seconde lecture et où la situation politique se prête moins aux concessions. Quel prix Vincent Peillon est-il prêt à payer pour cette belle unanimité ?
François Jarraud