Par François Jarraud
Mixité sociale affirmée, place des parents dans l’école, numérique renforcé : les sénateurs et sénatrices ont sensiblement veulent modifier le texte de la loi d’orientation pour la refondation de l’Ecole. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a adopté le 14 mai le texte qui sera soumis au débat du Sénat du 23 au 26 mai. Ils en proposent une lecture qui accentue la réforme pédagogique.
« Il va falloir changer le logiciel » de l’éducation nationale. « C’est un souffle nouveau ». Marie-Christine Blandin, présidente de la commission, et Françoise Cartron, rapporteure, ne mâchent pas leurs mots. Sous leur houlette la commission a profondément modifié le texte adopté en première lecture par l’Assemblée nationale. Sur les 430 amendements déposés, 130 ont été retenus et, au final, la moitié des articles de la loi ont été modifiés.
Epreuve transdisciplinaire au brevet, évaluation par compétences à l’école
Ainsi les sénateurs affirment une nouvelle orientation pédagogique dans la loi. La principale intervention sur le terrain concerne le brevet où un amendement écologiste a instauré une épreuve interdisciplinaire. Le brevet « comporte la réalisation d’un ou plusieurs projets réalisés par l’élève de manière transdisciplinaire ». Voilà les IDD affirmés. L’évaluation par compétences est vivement encouragée dans l’article 23 : » Dans l’enseignement primaire, l’évaluation sert à mesurer la progression de l’acquisition des compétences et des connaissances de chaque élève. Cette logique d’évaluation est aussi encouragée dans l’enseignement secondaire. » Le redoublement doit devenir « exceptionnel » aux dires de l’article 25bis. Les enseignants doivent être formés à la résolution non-violente de conflits dans les ESPE affirme l’article 51. Les modifications des cycles, prévues dans l’annexe du texte de l’Assemblée, deviennent article de loi dans le projet sénatorial : « La scolarité en école maternelle comprend un cycle unique. La dernière année de l’école élémentaire est couplée avec la première année du collège en un cycle commun. Le nombre et la durée des autres cycles sont fixés par décret ». Le principe de la coopération comme base pédagogique de l’école est inscrit dans la loi.
Le socle précisé
L’article 7 , rédigé en compromis avec les sénateurs communistes, confirme l’existence du socle et le définit. « Les éléments de ce socle commun et les modalités de son acquisition progressive sont fixés par décret, après avis du Conseil supérieur des programmes. Ils se réfèrent à la recommandation du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 sur les compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (2006/962/CE). »
Former les cadres pour le changement
Pour permettre ce nouvel esprit, le Sénat a l’idée d’obliger (articles 54bis et ter) la formation des inspecteurs et des chefs d’établissement. En les formant ils pourraient devenir des accélérateurs, et non des freins, de la réforme.
Mixité sociale au programme
C’est que les sénateurs ont voulu inscrire des principes dans ce texte. La lutte contre les inégalités sociales devient un principe de base de l’Ecole dès l’article 3A. Pour l’assurer concrètement les sénateurs modifient la carte scolaire. » Un même secteur de recrutement peut être partagé par plusieurs collèges publics situés à l’intérieur d’un même périmètre de transports urbains », affirme l’article 12 bis. Pour les sénateurs il s’agit d’encourager la mixité sociale en diluant les choix parentaux. L’enseignement agricole n’est pas oublié par les sénateurs : l’Etat sera contraint de prendre en charge les manuels scolaires des établissements agricoles.
Le rôle des parents renforcé
Lors du débat à l’Assemblée nationale, la place des parents à l’Ecole avait été réduite par rapport aux ambitions de la commission de l’Assemblée. La commission du Sénat ne pousse pas la loi bien loin mais elle établit des droits nouveaux pour les parents. » Il est prévu dans tous les établissements un espace à l’usage des parents d’élèves et de leurs délégués », affirme l’article 45bis. Cet espace n’est pas à la charge de l’Etat et reste mal défini mais il devra exister… Les parents ne récupèrent pas le dernier mot en matière d’orientation comme le souhaitait la commission de l’Assemblée. Mais l’expérimentation de cette procédure d’orientation passe de l’annexe de la loi à l’article 32bis : la voilà bétonnée. L’article 52bis contraint les enseignants à aider les parents dans leur rapport à l’école. Le 43 oblige les C.A. à faire un bilan annuel des actions en direction des parents. Enfin le Sénat est revenu sur l’article 4ter qui donnait le droit aux établissements scolaires de revenir sur la scolarisation d’un enfant handicapé. Il est supprimé.
Le numérique
Les sénateurs recommandent les logiciels libres (« Ce service public utilise en priorité des logiciels libres et des formats ouverts de documents ») et définit le numérique come un outil pour une pédagogie de la coopération (article 10).
Langues régionales
La place des langues régionales, qui avait fait l’objet d’un bras de faire à l’Assemblée, est renforcée par le Sénat. Soutenu par les écologistes , l’enseignement d’une langue régionale n’aura plus besoin de l’autorisation des parents.
Moins forte qu’à l’Assemblée, la majorité sénatoriale n’a pas intérêt à afficher ses divisions. Par conséquent l’esprit de compromis a régner dans la rédaction du projet de loi et les influences écologistes par exemple ont pus s’imposer plus facilement qu’au Palais Bourbon.
Le projet de la commission sera proposé en séance à partir du 23 mai. Une centaine d’amendements devraient être proposés. Le chemin législatif pourrait être encore cahoteux.
François Jarraud
Texte de la commission
http://www.senat.fr/leg/pjl12-569.html
Ce n’est pas seulement en proposant un service de soutien scolaire que l’UMP porte ses efforts sur l’éducation. Le sénateur UMP Jean-Claude Carle publie un opuscule qui est présenté comme « un projet alternatif de refondation de l’Ecole ».
Le projet phare du quinquennat Hollande, la refondation de l’Ecole, est-il déjà en panne pour que l’opposition le dispute à la majorité ? Deux initiatives de l’UMP marquent sa volonté de ne pas laisser ce terrain au gouvernement.
Trois fédérations départementales de l’UMP, la Haute-Garonne, la Haute-Loire et la Sarthe, proposent des services de soutien scolaire assurés par des militants UMP. Le parti d’opposition se défend de tout prosélytisme et assure vouloir aider les familles. Ce n’est pas l’avis du PS, où Emeric Bréhier et Yannick Trigance, secrétaires nationaux à l’éducation, dénoncent « le mépris absolu de la droite quant au respect du principe de laïcité qui intègre notamment la neutralité philosophique et politique de l’enseignement ». Le PS accuse aussi l’UMP de ne pas avoir « confiance en l’école de la République pour assurer l’apprentissage des fondamentaux ». Il interroge : « Est-ce le bilan catastrophique de ses dix années passées à détruire l’école de la République qui lui inspire ce reniement ? »
Mais l’offensive UMP est aussi idéologique avec la publication de l’opuscule de Jean-Claude Carle « Tous les élèves peuvent réussir ».
En apparence l’ouvrage fait consensus quand il propose de donner la priorité au primaire, de mettre l’accent sur la pédagogie, de supprimer le redoublement, de mettre en place une formation professionnelle des enseignants et même de renforcer le taux d’encadrement des élèves. Evidemment on se demandera pourquoi Jean-Claude Carle n’a pas défendu ces idées ces 10 dernières années quand son parti était au pouvoir. Mais il est vrai que le livre occulte cette période et se réfère systématiquement à la loi Jospin et une seule fois à la loi Fillon…
Mais chaque terme de ce consensus est redéfini par JC Carle pour construire un projet bien différent de celui de la refondation voulue par V Peillon. Ainsi la priorité au primaire de JC Carle repose sur l’idée assez aventurée que « tout se joue à 7 ans ». Pour lui il s’agit de mettre l’accent sur les fondamentaux. Les apprentissages non cognitifs doivent être supprimés ou n’intervenir que quand les premiers sont satisfaits. JC Carle défend l’idée d’un enseignement scolaire dès la grande section qui devrait intégrer l’élémentaire.
JC Carle est pour une refondation pédagogique de l’Ecole mais il en redéfinit les termes. Pour lui l’effet maitre « contrebalance le poids de l’ensemble des facteurs exogènes à l’école » comme l’origine sociale des élèves. Ces facteurs sont « difficiles à changer » alors que, on le verra, JC Carle sait comment « améliorer l’efficacité » des maîtres… Pour JC Carle la bonne pédagogie c’est l’enseignement structuré et explicite dont il affirme qu’il a fait ses preuves. Au primaire, s’appuyant sur le programme PARLER, il en déduit qu’il faut diviser les classes en groupes de niveau. C’est ce qu’il appelle personnaliser.
JC Carle est pour la formation professionnelle des enseignants à condition qu’elle se base sur ses principes. On doit apprendre aux enseignants les « bonnes pratiques » . Pour JC Carle il faut expérimenter les pratiques et dupliquer de façon obligatoire les « bonnes pratiques » parce que, pour lui, l’enseignement c’est comme la médecine un art qui s’adresse non à un groupe d’élèves mais à des individus interchangeables. L’enseignement n’est pas un acte social mais quasi médical.
Comment améliorer le niveau professionnel des enseignants ? JC Carle propose la paye au mérite et, plus précisément, d’indexer le salaire des enseignants aux résultats des évaluations nationales en prenant les indicateurs des lycées en exemple. Pour lui en se basant sur ces indicateurs on saurait tout de suite qui sont les « bons » enseignants.
L’ouvrage prétend s’appuyer sur des études scientifiques et n’être en rien idéologique. Pourtant JC Carle prend des libertés avec ses sources par exemple sur l’évaluation des bons enseignants. Il pose en études incontestées des travaux nord-américains dont les résultats sont contestés. Il ne mentionne pas le fait que les apprentissages non cognitifs sont considérés comme déterminants pour l’acquisition des fondamentaux par de nombreux chercheurs. Le regroupement en groupes de niveau est une organisation dont on connait pourtant les défauts pour les élèves les plus faibles. Quant à la paye au mérite basée sur les résultats des élèves, elle est effectivement appliquée aux Etats-Unis mais ce n’est pas pour autant qu’elle y soit acceptée.
Alors que l’éducation semble passer au second plan des préoccupations nationales et que le budget de l’Education nationale doit être plus délicat à défendre, l’offensive UMP pourrait rallumer la flamme côté PS et finalement soutenir les projets de V Peillon.
François Jarraud
L’ouvrage de JC Carle
http://www.ump-senat.fr/Jean-Claude-Carle-Tous-les-eleves.html
Sur l’enseignement explicite et la science pour enseigner
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/82En[…]
Sur la paye au mérite
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/04/18042013[…]
Sur le site du Café
|