Même si les manuels scolaires sont toujours bien là, pour Bruno Devauchelle, le numérique a transformé l’environnement de travail de l’enseignant. Chaque enseignant a pu numériser ses outils de travail. Avec les tablettes et les smartphones la continuité domicile – travail est chaque jour mieux assurée…
Traditionnellement, le lieu de travail de l’enseignant est autant son domicile que l’établissement scolaire dans lequel il ou elle enseigne. Les rares espaces disponibles dans l’établissement scolaire ne sont pas vraiment adaptés, hormis quelques exceptions, à un travail individuel et entouré des ressources dont chacun a besoin pour préparer ses cours, évaluer les travaux des élèves, se documenter…. Les habitudes prises depuis de nombreuses années, en particulier dans le secondaire (temps de travail oblige) ont fait du bureau à domicile un espace essentiel pour ce travail. La décret de 1950 (décret n° 50-581 du 25 mai 1950) qui définit le temps de travail de l’enseignant du second degré a permis ce mode de fonctionnement en ne parlant que du temps d’enseignement effectif devant élève. Pour le premier degré, les choses ont changé assez récemment avec la circulaire 13-019 du 4 février 2013. Des différences significatives existent dans cette définition mais il reste que pour la plupart des enseignants, le domicile reste un lieu important pour le travail professionnel en amont et en aval des temps d’enseignement.
Le développement de l’informatique, puis d’Internet a offert aux enseignants des moyens et des ressources nouveaux qui, de manière assez souterraine et peu dite, ont fait évoluer leur environnement personnel de travail, en particulier à domicile. Parmi les premiers, dans la population globale, à avoir perçu l’importance de la révolution informatique, ils ont essayé par de nombreux chemins d’absorber ces nouveaux objets dans leur « environnement personnel de travail ». La mise en réseau des ordinateurs et surtout l’arrivée d’Internet, qu’ils ont tout aussi rapidement investi, mais toujours personnellement, ont apporté des modifications significatives à cet environnement. Les listes de diffusion, dont les premières (et toujours actives pour la plupart) ont été créées vers 1995, 1997, ont été le signe de cet élargissement. Mais, à l’époque celui-ci est resté limité, pour ces pratiques, à des personnes « motivées ». La démocratisation d’Internet et les incitations de toutes sortes ont amené nombre d’enseignant à explorer le web 1.0 pour aller y découvrir les ressources qui pourraient être utiles dans leur enseignement bien davantage que de participer à des espaces d’échanges par messagerie électronique. Avec l’émergence du web 2.0, les choses ont un peu changées, mais c’est surtout la dynamique collective piloté par l’institution qui a amplifié le mouvement, en proposant des ressources et services dans les sites académiques ou nationaux. Autrement dit l’espace personnel de travail des enseignants à continué de s’enrichir, mais s’est rapidement mis en lien avec les demandes institutionnelles.
Ce qui est assez surprenant, c’est la place des manuels scolaires papiers dans l’environnement personnel de l’enseignant, encore actuellement. D’aucuns auraient pu penser à la rapide mise de coté de ces manuels du fait de la prolifération de sites officiels, associatifs ou personnels. Il n’en a rien été, certaines associations ayant, à l’inverse proposé leurs propres manuels scolaires papier. Autrement dit la place du manuel papier semble être restée structurante en amont de la classe pour plusieurs fonctions : apport d’une base documentaire, rappel des textes officiels, progression calquée sur le rythme annuel de classe, possibilités complémentaires en ligne. On s’aperçoit aussi que chaque enseignant utilise en fait plusieurs manuels et se fait, à partir de là un cadre support de son enseignement qui va s’enrichir, selon les besoins et l’activité en ligne de documents/ressources complémentaires téléchargés. Dans certains cas, des cours « tout fait » sont téléchargés et adapté (plus ou moins) au contexte local.
Ce qui a évolué depuis plusieurs années, c’est la place de la communication avec les élèves dans l’environnement personnel. Avec ou sans ENT disponible en dehors de l’établissement, certains enseignants ont développé des stratégies d’accompagnement asynchrone des élèves passant par divers moyens de communication. Du plus traditionnel, le mail au plus médiatisé, Twitter, les usages sont nombreux. Dans certain cas, cette communication passe par un LMS ou par l’ENT de l’établissement ou encore même par le cahier de texte numérique en ligne. C’est d’ailleurs ce dernier « objet » qui a fait son entrée récente dans la vie personnelle des enseignants et qui s’y installe de façon de plus en plus ordinaire. Autre vecteur de communication avec les élèves, voire avec les parents le CTN est un désormais entré dans le paysage. Il est utile de rappeler que des initiatives personnelles dans ce domaine ont largement précédées les initiatives institutionnelles.
Un autre « objet étrange » a pu apparaître ici où là : le cours en ligne. Certains enseignants (rappelons ici le travail pionnier d’Elisabeth Kennel et de son cahier cours en terminale L) ont mis simplement leurs contenus de cours à disposition de leurs élèves, voire de leurs collègues en ligne. Leur environnement personnel de travail devenant brusquement public. D’autres ont préféré faire cela sur des espaces protégés, plateforme d’enseignement à distance (LMS) ou ENT etc… Cette manière d’étendre son bureau personnel pour en mettre une partie à distance à disposition des élèves est un signe de cette porosité de l’espace individuel vers les autres, élèves, collègues. Ces pratiques parfois nommées de mutualisation mais qui sont d’abord des pratiques de mise à disposition montrent bien que des enseignants cherchent à dépasser les limites de leur espace physique. De vraies pratiques de mutualisation ont parfois lieu sur divers sites, académiques ou associatifs, mais ces pratiques se font d’abord dans les espaces protégés proposés par les établissements. Ne nous y trompons pas, elles restent encore peu fréquentes. Elles indiquent une évolution possible.
Si l’on reprend la question de l’environnement personnel de travail de l’enseignant, il faut reparler de l’équipement personnel en matériel. L’institution n’ayant que très rarement fourni un tel matériel, les enseignants se sont équipés à domicile et dès que cela leur a semblé accessible ils se sont équipés de matériels portables. Dès ce moment, le matériel a pu sortir de la maison et le bureau personnel s’est retrouvé dans l’établissement. Certains utilisent la clé USB, d’autres le Cloud, d’autres amènent leur machine personnelle. Avec la tablette, cette tendance risque de s’accentuer. Ainsi la mobilité des matériels et la connexion aisée des matériels au réseau, cela permet de modifier l’espace de travail personnel. Cela entérine une nouvelle porosité : sphère personnelle, sphère professionnelle. Ce n’est pas sans poser de question et reste loin de faire l’unanimité.
Chaque enseignant se constitue ainsi une sorte de ressource mobile personnelle. Cela semble être une base pour développer l’utilisation du numérique par l’enseignant dans sa classe. Reste que cela introduit dans le métier d’enseignant une extension du lieu et du temps de travail. Les enseignants, attachés à leur indépendance (liberté pédagogique ?) sont donc très attachés à « leur bureau ». Désormais ce bureau se numérise, et devient un auxiliaire essentiel du travail personnel à la maison avec ce plus qui est qu’il circule parfois jusque dans la salle de classe, contournant parfois l’organisation en place dans l’établissement, mais toujours dans une visée d’amélioration de la qualité du travail et le franchissement des nombreux obstacles techniques : mon matériel, je sais comment il marche et je suis le seul à l’utiliser, cela m’évite des ennuis et des mauvaises surprises. Avec les tablettes et les smartphones, il est possible que ces pratiques s’accentuent et que la continuité domicile établissement devienne numériquement ordinaire.
Bruno Devauchelle