Les 21 et 22 mai 2013, à l’École normale supérieure de Lyon, une conférence nationale a exploré les « cultures numériques », « l’éducation aux médias et à l’information. ». De manière plus générale, c’est bien le sens même du numérique à l’école qui s’est trouvé ainsi éclairé. De quoi est-il le nom ? Sans doute d’un malaise et d’un défi : adapter l’école à la civilisation du numérique qui oblige à repenser l’appropriation et la nature même de la connaissance. Assurément aussi d’une prise de conscience : le numérique est moins une question d’outils ou d’usages que d’enjeux, tant il rend possible et indispensable la formation de citoyens autonomes et responsables dans un monde en mutation. Les chercheurs et enseignants ont partagé réflexions et expériences. Comment ne pas être noyé par le flux d’informations que les nouvelles technologies font déferler chaque jour sur nous ? Comment l’école peut-elle développer chez les élèves des usages réfléchis de ces divers médias ? Dans quelle mesure les outils numériques en transformant radicalement les modes d’appropriation des connaissances peuvent-ils conduire les enseignants à modifier leur pédagogie ? En quoi cette culture numérique qui engendre un nouveau rapport à l’espace, au temps, aux autres, aux savoirs, invite-t-elle le système éducatif à s’interroger sur son organisation même ?
Ouvertures
Françoise Moulin, Rectrice de l’Académie de Lyon, ouvre le colloque et en souligne les enjeux : de nouvelles dynamiques de lecture et d’écriture sont en train de s’inventer chez les adolescents, l’école a désormais aussi pour mission de leur apprendre à gérer les flux, à créer de l’information, à devenir citoyens dans un environnement complexe. Olivier Faran, directeur général de l’ENS, évoque l’avènement de nouveaux rapports à la connaissance et de nouvelles formes de socialisation. En témoignent l’apparition et le développement des MOOCS, qui constitue un défi politique et éducatif. Le travail partenarial doit se renforcer, il faut apprendre à travailler ensemble, y compris pour la formation des professeurs.
Jean Yves Capul, sous-directeur de la DGESCO, rappelle que l’éducation aux médias et le numérique sont des dimensions essentielles dans la loi de refondation : l’exigence d une formation au numérique de tous les enseignants est par exemple désormais inscrite dans la loi. Cette présence du numérique à l’école peut prendre différentes formes : des usages disciplinaires, un objet d’enseignement à part entière (comme le préconise l’Académie des sciences), un moyen d’éducation aux médias. Des évolutions importantes ont eu lieu : il y a eu généralisation des équipements, à tel point que la fracture numérique n’est désormais plus technologique mais culturelle (il faut alors favoriser un usage intelligent d’internet chez ceux qui y gaspillent leur temps) ; les réseaux sociaux se sont développés, qui amènent de nouvelles formes de sociabilités ; l’internet mobile déferle, avec remise en cause possible et quasi immédiate de la parole de l’enseignant. Il faut apprendre à utiliser cette richesse que constitue internet : selon Jean Yves Capul, c’est le cadre disciplinaire, qui permet de transformer une information en connaissance et il faut envisager le numérique comme un formidable moyen pour modifier les pratiques pédagogiques. Jean-Yves Daniel, doyen de l’Inspection générale, considère quant à lui qu’il y a possibilité d’ivresse et d’addiction au numérique : il faut mener une « sensibilisation aux risques » d’une « technologie qui n’est qu’un moyen » et qui est susceptible de « faire perdre de l’épaisseur à l’humain. ». Il rappelle à la suite de Georges Charpak que l’enseignant moderne doit désormais se comporter en directeur de thèse. Il ne souhaite pas que le numérique devienne une nouvelle discipline des programmes scolaires : il ne faudrait pas faire d un côté des spécialistes, de l’autre des usagers, ce langage appartient à tous.
Une nouvelle société du savoir
Philippe Queau, directeur de la «division de l’éthique et du changement global » à l’Unesco, porte sa conférence sur « l’éducation et la culture dans les sociétés du savoir. » Il rappelle combien l’étymologie de certains mots est éclairante : le mot latin « éducation » est l’équivalent du grec « exode », autrement dit une invitation à sortir de soi ; le « savoir » vient du latin « sapere » et se donne immédiatement comme saveur, comme exercice des papilles gustatives ; le numérique, par son étymon, est symbole de partage et de nomadisme… Nous sommes là dans une dynamique de migration, d’ « errance de la sérendipité » : il s’agit de conquérir une aptitude à la liberté. Dans ce nouveau monde numérique qui fait franchir bien des frontières, il faut s’attendre, selon Philippe Queau, à une « grande transformation » : comment former les esprits en temps de crise et de mutation ? comment avec ces nouveaux outils faire travailler mémoire ou éduquer le regard ? quid par exemple d’un bac où l’étudiant aurait accès au web ? qu’évaluerait-on alors ?
Philippe Queau envisage la question sous quatre angles. L’angle des valeurs d’abord : il faut « savoir comment savoir », « acquérir une métaméthode », favoriser esprit critique, libre expression, participation créative… L’angle des représentations ensuite, dans une société gnostique fondée sur l’idée que le monde sera sauvé par la connaissance (quand d’autres autrefois défendaient le salut par la grâce) : de nouvelles façons de regarder et concevoir le monde surviennent, il faut savoir mieux voir les images et leur hors champ, comprendre qui décide des clichés et comment ils marquent nos esprits. L’angle, encore, de la convergence des médias : nous assistons à un déferlement d’images de plus en plus mélangées, cette fusion réel / virtuel peut générer une vie augmentée, il nous faut alors apprendre à naviguer entre « différents niveaux d’être » et inventer une « philosophie politique du virtuel ». L’angle, enfin, de l’impact politique et économique : il y a risque d’homogénéisation, danger de manipulation des stéréotypes culturels, bataille stratégique mondiale pour le contrôle des réseaux, des normes, des propriétés intellectuelles, des mots, des idées, des liens… Le nouveau dualisme oppose visibilité et invisibilité, ignorance et connaissance, impotence et puissance totale. Désormais, tout est numérique, tout est nombre conformément à ce qu’annonçait Pythagore, ce qui constitue un défi dans une civilisation analogique. Désormais aussi tout est nano et on peut écrire avec des atomes. Cette double révolution ne fait que commencer : il reste à mesurer son impact sur l’éducation.
Quelles responsabilités alors de l’école ?
« Cultures numériques : quelles responsabilités de l’école ? » : telle est la question posée par la première table ronde de la conférence. Comme en épigraphe virtuelle, publiée sur le site du colloque, résonne immédiatement une phrase de Bertrand Richet : « Les élèves se sentent valorisés parce qu’on les responsabilise dans leur rapport au monde et à l’autre ». Pour Christian Gautelllier, directeur au CEMEA, l’école doit impérativement partir de la réalité des pratiques numériques des jeunes, lesquelles ont comme paradigmes le collectif, l’expression, la participation, la responsabilité : l’institution relève-t-elle ce défi en mettant réellement en place des pédagogies fondées sur ces valeurs ?
Pour Sophie Jehel, de l’université Paris 8, il s’agit de développer une compréhension critique des contenus. Sept dimensions lui paraissent essentielles : l’éducation civique avec les médias (réfléchir par exemple sur leur rôle dans la démocratie) ; l’approche esthétique ou dramaturgique des médias (il faut aussi les aborder sous l’angle de l’émotion et prendre davantage en compte les contenus visuels et sonores) ; l’analyse sémiotique des contenus ; le fonctionnement économique des médias (à peine 30% des adultes comprennent comment sont financés les moteurs de recherche, la moitie des français pensent que TF1 est une chaine publique !) ; la question des valeurs (par exemple interroger avec les élèves celles que porte la téléréalité) ; la représentation de la société par les médias (par exemple la diversité) ; l’apprentissage du média lui même (notamment d’internet, du codage, de l’informatique). Il faut investir le champ des médias sous l’angle de ce qu’ils font à la société et armer les jeunes face à eux.
Michel Perez, IGEN de langues vivantes, souligne combien est bouleversé par le numérique le rapport des jeunes à l’autorité, notamment au savoir et aux maîtres. Toujours organisé verticalement, le système classe, et « faire classe », c’est toujours délivrer un enseignement. Le problème majeur, c’est celui de la place du maître. L’enseignant doit changer de posture, inventer une « nouvelle théâtralité de l’acte d’enseigner » pour reprendre la formule de Paul Mathias, trouver sa place dans un réseau où il n’y a pas de pyramide alors que sa formation l’a prédisposé à occuper un rôle social particulier : distribuer le savoir et classer les élèves. L’école est en retard, déplore Michel Perez ! Lors d’une expérimentation en Corrèze, par exemple, des ipads ont été mis à disposition des élèves, mais les règlements intérieurs n’ont pas été modifiés, d’où l’usage s’est avéré restreint, en particulier en salle d’étude et au CDI ! Et pourtant, ailleurs, on voit des élèves de l’enseignement primaire, qui n’ont donc pas l’âge légal pour être autorisés à le faire, reconstituer virtuellement leur classe sur Facebook pour échanger plus facilement conseils et aides ! Ces ruptures culturelles entre l’école et le monde restent impérativement à combler.
Xavier de la Porte, animateur à France-Culture, souhaite que la question soit aussi traitée sous l’angle de la diachronie : l’histoire des cultures numériques est encore à faire et il est intéressant de considérer les évolutions actuelles avec les penseurs de la Renaissance ou des Lumières Sur mon ipad, note-t-il, j’ai musée, livres, journaux, films… : la culture numérique est par définition une métaculture. Quels modes de traversée inventer ? On n’a plus, par exemple, le même rapport au cinéma depuis l’avènement de cette « culture des cultures » qu’est le numérique. Xavier de la Porte pointe aussi les contradictions des adultes qui reprochent simultanément aux jeunes d’être happés par les jeux vidéos et d’être incapables de se concentrer. C’est tout l’intérêt des jeux sérieux, ajoute Michel Perez, qui revient aussi sur la question de l’autorité. Celle-ci repose sur la compétence, qui est à interroger : qui la détient ? comment l’exercer, la partager, la construire ? Christian Gautelllier souligne l’urgence du problème à traiter : il ne faut pas attendre deux-trois ans, les professeurs-documentalistes et les référents numériques ont un rôle-clef à jouer pour faire vivre un vrai projet dans chaque établissement.
L’information comme objet et flux
Une deuxième table ronde s’intéresse à l’information, son « économie, son architecture et son sens ». Selon Jean-Michel Salaun, de l’ENS de Lyon, le grand rêve de la bibliothèque d ‘Alexandrie, où on pourrait accumuler tout le savoir du monde, serait en passe d’être réalisé. Mais notre capacité d’attention est limitée, nous laissons des traces, ce traçage nous construit et nous oriente. D’où, dans les pays anglo-saxons, on a lancé de très nombreux programmes de réflexion sur l’architecture de l’information, bien peu ici… Serge Abiteboul, de l’INRIA, souligne l’ampleur des mutations : le monde numérique double tous les 18 mois ! Nous sommes passés d’un réseau de données à un réseau de machines, puis à un réseau de contenus, enfin (?) à un réseau d’utilisateurs : désormais je participe à la bibliothèque d’Alexandrie ! La question est aussi de passer de l’information aux connaissances, d’apprendre à les utiliser et les produire : il faut devenir maitre et non esclave des nouvelles technologies. Il suffit par exemple de taper « Mort Elvis Presley » sur Google pour voir surgir de nombreux sites soutenant qu’Elvis est vivant : c’est, sur la toile, une information, u’il faut apprendre à valider, vérifier, traiter. Alain Rallet, de l’université Paris Sud rappelle que les données personnelles sont le carburant de l’économie numérique et que nous sommes dans une guerre informationnelle, parce que le droit n’est pas capable de réguler les frontières en mouvement.
Exemples de pratiques pédagogiques
Une cinquantaine de posters, affichés à l’ENS et consultables sur le site de la conférence, permettent de saisir la diversité des activités possibles pour favoriser l’éducation aux cultures numériques, à la production et au traitement de l’information. Ils constituent une mine d’or où chacun pourra puiser des pistes de travail : faire une revue de presse pour apprendre à rédiger un article, lire et écrire sur tablettes tactiles, relier culture antique et culture numérique, faire vivre une plateforme d’échange sur la biodiversité, éduquer au photojournalisme, produire un web-documentaire, réfléchir sur son identité numérique, transformer le CDI en Learning center via l’ENT Moodle, développer un site internet, créer un CDI virtuel avec les tablettes, lancer une webradio, mettre en place une classe médias, publier une notice biographique sur Wikipedia, utiliser un serious game d’éducation critique à internet, construire son identité professionnelle par l’écriture sur portfolios numériques, bâtir un « mur d’expression » collaboratif via les TIC, réaliser une anthologie poétique sonore et numérique, voyager à travers les sciences par une odyssée spatiale, mener dans dix collèges une écriture collaborative avec un auteur via un ENT, animer un blog de liaison CM2-6ème autour de lectures communes, enquêter pour le journal du collège, lancer une « télé de lycéens pour les lycéens », s’informer par des « totems numériques » avec des QR Codes, mener par-delà les frontières un travail d’écriture collaborative et créative via Twitter …
Plusieurs ateliers permettent aussi de découvrir des expériences concrètes d’éducation aux médias. Michel Hélaudais, coordinateur du CLEMI Bretagne, et Jacques Kerneis, formateur TICE, images et médias, présentent ainsi les « classes presse », un dispositif qui existe dans l’académie de Rennes depuis 13 ans avec différents enjeux : comment faire face à la masse d’informations qui surgit dans le quotidien? comment en produire aussi ? Deux quotidiens régionaux, Ouest-France et le Télégramme, sont partenaires de l’opération : ils offrent aux collégiens le journal papier pendant neuf semaines (180 000 exemplaires de journaux papiers sont ainsi diffusés). Chaque année, un thème est défini (en 2012-2013 : le sport dans tous ses états) et les élèves publient des articles sur la plateforme en ligne (en 2012-2013, 90 classes ont publié plus de 1 000 articles sur le site qui a reçu plus de 10 000 visites). Les projets sont résolument interdisciplinaires : le professeur-documentaliste et le professeur de français en constituent le « noyau dur », ils sont accompagnés d’un autre enseignant qui change chaque année selon le thème retenu. De nouvelles expérimentations sont en cours : au lycée professionnel autour de « portraits – histoires de vie », dans le cadre d’une liaison CM2/6ème au collège Kerhallet de Brest (les élèves de CM2 écrivent un reportage après une visite dans une classe du collège). La fréquentation de la plateforme s’avère fréquente, régulière et durable, la responsabilisation et l’investissement des élèves sont même valorisés par l’attribution d’une carte de journaliste ! Jacques Kernéis souligne un autre intérêt du travail sur le texte journalistique : il relève d’autres codes d’écriture que les modèles scolaires, permet de saisir la richesse du non linaire pour les cours, invite à en finir avec la « mythologie du grand I grand II ».
Abdelladif Kbida, professeur de mathématiques au lycée Varoquaux de Tomblain, montre comment transformer en outil pédagogique le smartphone, objet prohibé parce que susceptible de générer des connexions et communications « sauvages », parce que perçu par le professeur comme un rival dangereux, qui détourne l’attention de sa parole, menace son savoir et son pouvoir. Ici, par exemple, dans un TD de maths, les élèves utilisent leur portable comme outil de calcul formel de haut niveau via une application en ligne. En cours de maths, ils vont calculer la surface de la façade de la cantine avec leur smartphone et doivent définir une stratégie. L’expérimentation conduit à interroger la frontière entre le domaine privé de l’élève et le domaine scolaire, met en question « le rapport ambigu des jeunes» avec leur portable, entre dépendance, fascination et sentiment de toute puissance ». Les échanges font apparaître que cette culture du smartphone doit être prise en compte si l’école veut retrouver de son efficacité : les élèves expriment par exemple le souhait que soit développée une application pour l’ENT et que des notifications leur arrivent pour les informer des nouveautés publiées sur la plateforme ou des messages adressés via celle-ci…
Catherine Loisy anime un atelier sur « l’identité numérique et l’orientation ». Les actions présentées s’inscrivent dans un projet collaboratif, INO, mené par des praticiens, enseignants et COP, qui réfléchissent à un support pédagogique et une scénarisation pour accompagner la construction de l’identité numérique en s’appuyant notamment sur l’e-portfolio. Stéphanie Inza, professeure de lettres dans l’académie de Montpellier, présente un travail réalisé dans le cadre de l’AP et d’un atelier artistique : il s’est agi de créer un Google site, support de réflexion et d’échanges entre les différentes classes. Les élèves, répartis en binômes, l’ont alimenté en constituant leur propre e-portfolio, un support innovant qui permet de réfléchir sur la différence entre l’identité numérique d’une personne et sa véritable identité. Véronique Heili, professeure d’espagnol, présente une expérience similaire : ses élèves, en AP, ont effectué des recherches sur les différentes filières qui s’offrent à eux en fin de seconde, puis, après avoir trié et synthétisé les informations sur leur e-portfolio, ils en ont fait une présentation aux parents. Ce projet a permis aux élèves d’acquérir des compétences numériques, des connaissances, mais aussi de se projeter vers une orientation cohérente avec leur réalité scolaire. Stéphanie Mailles-Viard Metz, maître de conférence en ergonomie cognitive à Montpellier et co-conceptrice du parcours INO-Pairform@nce, souligne l’intérêt de tels dispositifs pour les étudiants en DUT informatique qu’elle encadre. Partant du constat que les étudiants ont du mal à construire leur projet personnel et qu’ils ont souvent une pratique non-maîtrisée des réseaux sociaux, un nouveau cadre pédagogique a été intégré au cursus : le Parcours Professionnel Personnalisé, qui fixe comme objectif de mieux se connaître à travers la pratique d’outils numériques. Concrètement, grâce à la mise en place de cet espace personnel d’apprentissage, une réflexion s’engage sur ce qu’on donne à voir de soi en fonction du support utilisé : clip vidéo, carte mentale … Les étudiants conçoivent alors un e-portfolio qu’ils pourront ensuite réactualiser.
L’éducation au numérique vue d’ailleurs
La troisième table ronde invite à déplacer son regard pour suivre les « pistes européennes et internationales de contenus et de démarches ». Selon Luisa Marquardt, de l’université de Rome, les investissements dans le secteur éducatif subissent les effets économiques de la crise alors qu’un effort d’investissement pourrait aider à la surmonter : la clé d’une économie compétitive est la créativité et une société inclusive, la formation de citoyens innovants et autonomes. Il faut éviter la rupture entre les activités scolaires et la vie des élèves. La bibliothèque scolaire peut devenir un « troisième espace » si elle est capable d’aller au-delà du modèle traditionnel de la bibliothèque comme lieu d’information, si elle se concentre sur les apprentissages. Cela suppose aussi coopération entre enseignants et professionnels de la documentation qui doivent devenir partenaires pour construire ces apprentissages. Les élèves de France ont le meilleur niveau en compétences informationnelles, numériques et informatiques : 11,6 % alors que la moyenne de la plupart des pays est de 5 %. Mais ces compétences numériques restent inadaptées, en particulier au monde du travail. Luisa Marquardt met en avant la notion de « communs de la connaissance », qui favorisent les rencontres entre les programmes scolaires et les pratiques extra-scolaires. Ce qui implique aussi de reconfigurer l’architecture des lieux, de pouvoir « faire cours » dans la bibliothèque, d’y rendre possibles des collaborations entre les classes et entre les enseignants.
José Manuel Perez Tornero, de l’Université autonome de Barcelone, rappelle que les jeunes lisent désormais les journaux non seulement sur la toile, mais à travers les réseaux sociaux. L’enjeu est de renforcer une des meilleures écoles du monde, l’école européenne, gratuite, ouverte à tous, humaniste, mais si nous ne prenons pas la mesure du numérique, il y a risque d’échec collectif. Il faut en faire un lieu de créativité, de production de nouveaux savoirs. Cela suppose une alliance entre grands médias, entreprises, politiques, communauté éducative, cela suppose aussi de travailler par projets. : « Nous avons deux ans en Europe pour le faire ». Pour sortir de la crise, il faut « changer de mentalité et inventer le futur ».
Patricia Wastiau, d’European Schoolnet, rend compte d’une vaste enquête européenne qui s’est déroulée en 2011-2012 dans 31 pays sur 11 165 établissements, 156 634 élèves et 24 522 enseignants. Des activités avec les TICE en classe au moins une fois par semaine ? Voilà qui n’est pas encore la norme. Seuls le Danemark et la Norvège ont cet usage presque hebdomadaire. Les élèves qui ont un usage intensif des TICE en classe, révèle l’enquête, sont ceux qui déclarent un niveau de confiance plus élevé dans leurs compétences digitales. Des enseignants compétents en numérique sont suffisamment confiants et positifs pour dépasser d’éventuels problèmes d’équipement. Or, pour le nombre d’enseignants ayant participé à au moins 6 jours de formation TICE au cours des deux dernières années, la France est en queue de peloton… Il s’avère que les communautés d’enseignants ne sont pas encore très développées : les enseignants français sont là aussi en dessous de la moyenne européenne. Autre leçon : les professeurs qui ont été en position d’apprenants dans des formations TICE comprennent bien mieux les intérêts des TICE dans les apprentissages. La classe du futur est un défi plus pédagogique que technologique.
Lire et écrire en numérique
Vincent Liquète, de l’université Bordeaux 4, et Catherine Becchetti-Bizot, IGEN de lettres, animent une quatrième table ronde autour de la problématique « Lire et écrire dans un monde numérique » : quelles sont les spécificités, contraintes ou opportunités des pratiques d’écriture numérique ? dans quelle mesure ces nouvelles pratiques peuvent-elles revitaliser pédagogie et rapport au texte ? quelles compétences développer alors chez les élèves ?
Jean-François Rouet, du CNRS, s’intéresse aux « enjeux cognitifs et pédagogiques de la lecture sur supports numériques ». La lecture et l’écriture numériques sont un fait, mais elles ne vont pas de soi : elles sont à apprendre, l’école doit rendre les élèves autonomes et responsables dans l’usage de ces nouveaux outils. Quelles sont les spécificités de la lecture numérique au plan cognitif ? Lire, dit l’Observatoire national de la lecture, c’est « être capable de décoder les mots écrits pour comprendre le sens des textes ». Mais cette conception repose sur certains postulats : la lecture y met en jeu un seul lecteur et un seul texte, le texte y est donné a priori … Jean-François Rouet prend l’exemple d’une élève de 3ème préparant un dossier en SVT et utilisant Google : elle trouve plus de 4 millions de références autour des « activités humaines dans le réchauffement climatique », elle va regarder plusieurs pages, lire, choisir, prendre des notes, écrire, partager … Une telle lecture met en jeu un lecteur, mais bien plusieurs textes (ce qui implique qu’on prenne en compte l’intertextualité) et le texte n’est pas donné a priori. Le texte est « un potentiel », parfois nécessaire, mais jamais suffisant. Quelle est la situation des élèves au regard de cette spécificité ? Dans une enquête de l’OCDE sur la « littératie numérique » des élèves de 15 ans, il apparaît que tous utilisent quotidiennement l’ordinateur et savent faire des choses simples, mais beaucoup sont en difficulté pour naviguer sur plusieurs pages, comparer des informations, évaluer la pertinence selon plusieurs critères. Les usages les plus fréquents des adolescents sont la communication en ligne (75%) et la recherche d’informations (50 %), mais « ce n’est pas parce qu’on pratique Facebook qu’on est compétent en recherche informationnelle.»
Serge Bouchardon, de l’Université de technologie de Compiègne, animateur du projet PRECIP, reprend à Emmanuel Souchier le mot médiéval de « lettrure » pour désigner une activité commune de lecture et d’écriture. Il est certain que les outils numériques sont capables de transformer l’écriture elle-même qui s’invente de nouvelles modalités, devient multimédia, interactive, collaborative. La question de la variabilité est au cœur de l’écriture numérique : le code comprend des variables, l’écriture est conçue de façon à pouvoir connaître des variations, elle peut connaître aussi dans le temps des variantes. Avec le numérique, elle devient tout à la fois dispositif de construction et de monstration. Des tensions surgissent : tension de la « génération singularisante » (avec les blogs par exemple, il y a industrialisation des formes et individualisation des écritures), tension de « l’écriture programmée » (entre les impératifs formels et l’expression d une pensée).
Pourquoi enseigner l’écriture numérique ? Le projet PRECIP en montre clairement les intérêts. Il y a des compétences metascripturales à construire : comment écrire un même texte à plusieurs en même temps en différents lieux ? comment gérer ses traces numériques ? Cet enseignement permet aussi de faire retour sur certaines notions disciplinaires : texte, récit, figure, auteur, littérarité … Il s’agit encore de développer la culture informationnelle et numérique, par exemple pour interroger comme Christophe Bruno dans son happening virtuel le « capitalisme sémantique » qui se développe avec Google. Enfin peut advenir un questionnement sur l’écriture elle-même : comment rendre sa langue visible et manipulable ? comment déconstruire écriture / parole par l’écriture visuelle ? comment déconstruire écriture / langue par l’écriture multimédia ? comment déconstruire écriture / lecture par le regard ? Des exemples d’application poétique pour tablette témoignent de ces nouvelles formes à travers lesquelles le texte vit par le geste du lecteur. Les élèves, conclut Serge Bouchardon, sont des alphabétisés du numérique, mais pas forcement des lettrés…
Claire Belisle, consultante, explore les « nouvelles architectures de la connaissance qui impliquent de nouveaux outils pour penser » et les « nouveaux horizons de la conscience » : l’importance des affects dans la cognition est de plus en plus soulignée. Il y a désormais une revendication forte : envisager la littératie comme autonomisation, comme émancipation intellectuelle. De nouvelles pratiques de lecture sont possibles : plus dynamiques, elles appellent un « nouveau contrat de découverte et d’inventivité » ; plus complexes, elles requièrent de nouveaux outils cognitifs pour sélectionner, organiser, cartographier, visualiser, interpréter, avec de nouveaux lieux ; plus immersives enfin. Que se passe-t-il dans la transposition du réel ? Voilà un objet de réflexion essentiel.
Les échanges avec la salle viennent envisager la question aussi sous l’angle scolaire. Une professeure des écoles fait remarquer combien la lecture numérique y est actuellement absente, et ce pour des raisons diverses : absence de volonté politique, problème de matériel, absence de formation … Une enseignante de collège interroge : les outils proposés en classe sont ils à même de rendre compte des changements du mode de pensée ? Faut-il les historiciser pour que les élèves soient dans une logique de construction de ces outils ? Il faut une histoire des supports et des formats, répond Serge Bouchardon, et parvenir à réconcilier culture et technique dans les programmes de français. Catherine Beschetti-Bizot souligne la pertinence par rapport à ces objectifs du programme de l’enseignement d’exploration « Littérature et société » en seconde.
On ajoutera que de jolis chemins sont là tracés : et si ce programme innervait d’éventuels et souhaitables nouveaux programmes du français au lycée ? et si l’on interrogeait aussi la pertinence des modèles scolaires de lecture et d’écriture les plus fréquents, ceux qui sont traditionnellement évalués au baccalauréat, qui constituent le quotidien des classes et qui apparaissent en total décalage désormais avec les pratiques numériques de lecture et d’écriture et les nouvelles compétences à développer ? et si on réconciliait culture scolaire et culture réelle pour que l’enseignement du français, au lieu de sombrer dans le gouffre qui risque là de se creuser, retrouve son sens et son efficacité, « autorise » pleinement les élèves dans leur capacité à éprouver et penser le monde ?
Le numérique au service des enseignants ?
La cinquième table ronde se demande si les ressources numériques constituent de nouvelles opportunités pour le travail, la collaboration et la formation des enseignants. Ghislaine Gueudet, de l’IUFM de Bretagne, dresse le bilan du dispositif Pairform@nce : une plateforme de partage et d’échanges, qui propose des logiciels, des espaces de travail collaboratif pour des formations locales, des parcours de formation au plan national. Certaines difficultés apparaissent : faire collaborer à distance les stagiaires qui considèrent toujours le présentiel comme essentiel ; avoir des professeurs d’un même établissement pour que le travail collaboratif continue après le stage ; pour les formateurs, s’emparer d’un parcours et de ressources qu’ils n’ont pas conçus. Un parcours de formation gagne d’ailleurs à être conçu par des équipes, de préférence hybrides : formateurs, enseignants et chercheurs. Le numérique offre la possibilité d’améliorer sans cesse ces parcours.
Isabelle Quentin, de l’académie de Lyon, rend compte d’une étude sur les associations d’enseignants comme Sesamath, Weblettres, Clionautes. Elle distingue des réseaux de type ruche où chaque acteur a une tache précise et des réseaux de type bac à sable où, selon des règles souples, les enseignants mutualisent des ressources individuelles. Dans les deux cas, les rapports avec l’institution restent compliqués : certains regrettent quelle ne les y aide pas, d’autres participent en réaction au système, d’autres encore y cherchent une forme de reconnaissance que l’Éducation nationale ne donne pas suffisamment. Paradoxalement, remarque Isabelle Quentin, on y trouve beaucoup d’acteurs qui ont une fonction institutionnelle. L’institution cherche désormais à mettre en place ses propres plateformes comme le réseau Respire ou le futur projet RPE. Comment les réseaux d’enseignant et les réseaux institutionnels vont-ils cohabiter, voire collaborer ? De façon parallèle ou intégrée ? Pour que cela fonctionne, il faut sans doute que change le management de l’Education nationale dans un sens plus horizontal et qu’on privilégie les ressources sous format libre et ouvert. D’ores et déjà, les enseignants perçoivent leurs réseaux comme de la formation continue. Répondant à une question posée sur le problème épineux des droits d’auteur, Jean-Marc Merriaux, directeur du CNDP, ajoute que dans le récent rapport Lescure, il n’y a pas encore d’exception pédagogique à proprement parler. La qualité des ressources mises à disposition est aussi interrogée : faut-il figer le système en ne publiant que des ressources modèles ou prendre en compte les propositions imparfaites ? Sommes-nous dans une logique de validation institutionnelle ou dans une vraie dynamique de construction collective ? Il faut des modèles mixtes, répond Jean-Marc Merriaux.
Atelier pratique : comment former à la lecture numérique ?
Dans son exemplaire atelier, Alexandra Saemmer, du Laboratoire « Paragraphe » à l’université Paris 8, commence par rappeler combien la lecture numérique est investie de tout un imaginaire, en l’occurrence de représentations négatives : il s’agirait d’une lecture amnésique, fragmentaire, pressée, ludique, impatiente, froide, inconfortable, superficielle, non réflexive, d’une « pseudo lecture » dans laquelle le toucher et le regard prennent le pas sur la compréhension et le sens, voire d’une « lecture contre-nature » puisque selon certains « un texte sur écran n’a pas de vécu comme un livre » et que « l’âme réside dans le papier » … Il faut prendre en compte ces réticences, former aussi à une culture rapide et se demander si la lecture de survol est une fatalité.
Le texte numérique a développé ses propres stratégies rhétoriques : il convient de les apprendre pour devenir autonome, pour pouvoir les comprendre et les utiliser. Alexandra Saemmer présente en particulier une expérience autour de la rhétorique de l’hyperlien. Les étudiants sont d’abord invités à en proposer sur papier une définition personnelle : cela révèle que domine en la matière une attente informationnelle. Un article de l’Express autour de « l’affaire John Galliano » est distribué en version papier : les liens hypertextes y sont soulignés mais inactivables ; pour chaque hyperlien, l’étudiant doit lister ses attentes ; celles-ci sont plus tard comparées aux pages effectivement mises en lien sur la toile. Surprise : tous les hyperliens ne sont pas informatifs, certains peuvent être perçus comme argumentatifs, il apparait même une divergence entre les propos accusateurs tenus dans l’interview-hypotexte et les articles-hypertextes qui défendent plutôt le couturier. L’hypertextualisation d’une interview devient ainsi source de débat et permet d’interroger la fabrique de l’information. Une nouvelle étape de travail amène à la catégorisation de la rhétorique de l’hyperlien comme tour à tour « figure de la lecture pro-informationnelle » (il satisfait alors attentes d’informations, de définitions …), « de la lecture pro-dialogique » (se juxtaposent ici des arguments contradictoires, des mises en perspective qui peuvent aider à construire une opinion ou à créer de l’incertitude, ce que les jeunes en la matière n’aimeraient guère), « de la lecture pro-déviative » (pour le lecteur prêt à se laisser surprendre ou pour le lecteur naïf et manipulable, comme le montre un lien ironique entre un article sur Nicolas Sarkozy et un autre sur Louis de Funès). Les étudiants rédigent alors une synthèse des analyses menées et le travail s’achève sur une activité créative, la production d’un article contenant des hyperliens variés.
Par cette activité, souligne Alexandra Saemmer, ils ont dépassé le premier stade informationnel et ont même inventé des figures, ils ont pris conscience de la dimension construite de l’information et de la réalité, et ce grâce à la rhétorique qui depuis l’Antiquité propose des pistes sur le sujet. Cette « méthodologie d’analyse rhétorique d’un texte numérique » paraît aisément adaptable : elle est aussi possible dans un texte narratif, dans des hyperfictions ; elle paraît transférable dans le secondaire où, comme le souligne Yael Boublil, professeure de français, il s’agit d’adopter une démarche de lecture qui soit moins univoque, de travailler la rhétorique pour donner du sens, d’inviter le lecteur à mettre la main dans le texte, d’imaginer des dispositifs par lesquels les élèves lisent en liant (à des définitions, à d’autres textes, à des images etc.).
Urgences scolaires
Que devrait-on faire à l’école, quelles sont les urgences ? Ces questions sont au cœur de la dernière table ronde de la conférence. Divina Frau-Meigs, de l’Université Paris 3, se veut « urgentiste, mais optimiste ». Elle rappelle que le secteur privé des pionniers du numérique actuellement s’accapare et marchandise l’éducation : comment réagissons-nous ? Les jeunes pratiquent le plus souvent « l’écran-navette », autrement dit la consommation (jeux, séries etc.) et le commentaire (sur les réseaux sociaux) : les formons-nous à être créatifs ? Il faut se donner comme buts la citoyenneté, l’employabilité et la créativité, ce qui suppose de travailler à l’école sur les translittératies. Divina Frau-Meigs souhaite d’ailleurs qu’on enseigne désormais non seulement des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être, mais aussi des « savoir-devenir » : la capacité à se projeter et à se construire, à mener des « mises à jour de soi », à faire des choix alternatifs, à entrer dans un engagement citoyen. Elle appelle notamment à la constitution d’équipes pédagogiques (autour d’un trinôme professeur-documentaliste, enseignant d’une discipline, « designer-tuteur »), à l’évaluation spécifique de ces compétences à des étapes clés du développement cognitif des jeunes : CM2, 3ème, 1ère), à la mise en œuvre d’une pédagogie de projet (celle qui précisément motive et apprend l’engagement).
Jérôme Dinet, de l’université de Lorraine, souligne lui aussi combien les mutations actuelles sont fortes et rapides, dans la société (par exemple le développement massif et fulgurant du secteur tertiaire en France), dans les comportements (les adolescents de 12-15 ans passent en moyenne 9 heures par semaine sur des jeux vidéos, un mariage sur sept est actuellement issu de rencontres sur les réseaux sociaux…), et potentiellement dans l’école (qui doit préparer à des métiers et à des technologies qui n’existent pas encore). La vitesse des révolutions technologiques, souvent accompagnées de révolutions humaines, s’accélère : il suffit, pour s’en rendre compte, de comparer le temps qu’il a fallu pour que se diffusent successivement la radio, la télé, les ordinateurs, les outils numériques nomades. Jérôme Dinet livre ses propositions : mettre au centre des formations les comportements humains (ce qui est important, par exemple, ce sont les affects issus d’un livre), placer les élèves au cœur du processus de création des ressources, centrer l’éducation sur leurs usages réels.
Alexandre Serres, universitaire à Rennes, souhaite que les élèves soient formés à l’esprit critique dans leurs usages du web : il lui paraît pour cela essentiel de construire un « curriculum info-documentaire » pour le collège et le lycée, d’assurer un cadre d’apprentissages, avec une heure de formation hebdomadaire, assurée principalement par le professeur documentaliste et orientée pédagogie de projet, d’encourager la réflexion collaborative entre les professeurs documentalistes et tous leurs partenaires.
Selon Odile Chenevez, du CLEMI, nous passons d’un monde où les travaux des élèves étaient confidentiels à un monde où ils doivent apprendre à publier, à être auteurs et à répondre de ce qu’ils publient. Elle formule six exigences : prendre en compte le rapport au média dans le rapport au savoir (d’où sais-je ce que je sais ?) ; accepter les médias comme ils sont (il faut oublier la posture qui désignerait les bons et mauvais, une suspension de jugement doit précéder l’analyse) ; repenser l’idée de protection de l’élève (non plus la protection qu’on leur doit, mais l’autoprotection qu’ils se doivent, tant se confronter aux risques et aux interdis présente une valeur éducative) ; considérer l’autorité numérique, autrement dit le fait de d’être auteur, comme constitutive de l’identité numérique (par exemple viser la posture active qui invite à vérifier les sources et pas seulement à les citer) ; rechercher un haut niveau de compétence pour les enseignants (qui doivent mener pédagogie du projet et du débat, se préoccuper des modèles économiques, partir des pratiques numériques des adolescents …) ; viser un paradigme de questionnement du monde en opposition avec le paradigme du savoir transmis (préférer au Trivial Pursuit la méthodologie de l’enquête). Odile Chenevez nous appelle finalement à « magnifier la curiosité des élèves ».
Certains dispositifs existants, qui privilégient de telles démarches, comme les TPE ou les IDD, sont malmenés, fait remarquer une enseignante. Comment passer de l’innovation à la généralisation ? interroge aussi Jean-Louis Durpaire, IGEN. Divina Frau-Meigs répond qu’il ne peut y avoir d’injonction prescriptive à l’innovation, que celle-ci peut être même paralysante : il y a 10% d’enseignants innovants « et c’est bien », il faut à partir de là, partager et valoriser, mettre en place un « développement durable au numérique ».
Clôtures
De quoi la refondation est-elle le nom ? Assurément de la nécessité pour l’école d’adapter ses outils, ses finalités, ses contenus, ses méthodes, son organisation à l’avènement d’une civilisation numérique. La loi de refondation en sera-t-elle plus que le prénom ? Combien de temps faudra-t-il encore pour que les belles intentions et les fortes exigences exprimées durant la conférence trouvent une réponse à la fois institutionnelle et concrète ? La répétition a-t-elle vraiment valeur pédagogique, tant ces préconisations sont ressassées d’études en colloques, tant les principes qui les soutiennent n’ont pas attendu le numérique pour être formulés ?
Geneviève Jacquinot-Delaunay, professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université Paris 8, rappelle ainsi qu’il y a peu de milieux professionnels où existent autant de créativité chez les individus et autant d’immobilisme dans le système. Il y a, note-t-elle aussi, une fâcheuse méconnaissance dans l’éducation des enjeux économiques et juridiques des nouvelles technologies. La recherche a un rôle important à jouer dans le lien entre les politiques éducatives et la formation des enseignants : il faut que se rencontrent davantage théoriciens et praticiens, il serait judicieux que chaque projet présenté à travers les posters de la conférence soit par exemple passé au prisme des quatre catégories de Philippe Queau.
Jean-Pierre Véran, inspecteur pédagogique honoraire, professeur associé à l’université Montpellier 2, conclut en posant précisément la question dérangeante : pourquoi l’ardente obligation d’éducation aux médias n’est elle pas encore généralisée ? Comme le préconisent des sénateurs, il serait bon de donner aux établissements une marge de manœuvre pour concevoir des expérimentations pédagogiques, des regroupements disciplinaires, des projets collectifs … Notre forme scolaire est à revisiter. Elle est trop marquée par la verticalité, par le cloisonnement des disciplines, des espaces, des temps. Il faudrait repenser le collège à partir de son « centre de connaissance et de culture », l’ouvrir aux partenaires extérieurs, centrer la formation sur l’apprenance plutôt que sur la seule transmission. « Le choc architectural, conclut Jean-Pierre Véran, c’est maintenant ».
Jean-Michel Le Baut
(avec la collaboration d’Aurélie Badard)
On trouvera sur le site de la conférence des contributions, des vidéos, des liens ainsi que les posters pédagogiques.
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