Peu étudiés jusque là , les BTS sont devenus une filière majeure de l’enseignement supérieur en accueillant un bachelier sur cinq. Accusés à la fois d’être une filière sélective et de proposer un enseignement déprécié, quelle est leur vraie place dans l’enseignement supérieur français ? Sont-ils une filière de promotion pour les « nouveaux bacheliers » ou un outil de relégation sociale ? Pour répondre à ces questions, Sophie Orange propose une thèse novatrice dans son approche et ses méthodes.
Il y a des livres qui font date. L’ouvrage de Sophie Orange, « L’autre enseignement supérieur », en fait partie. Ce livre est novateur sur bien des points. A commencer par son sujet. Bien que les STS (sections de techniciens supérieurs) soient la seconde filière du supérieur, elles ont, symptomatiquement, été très peu étudiées. Par les méthodes utilisées. Sophie Orange aurait pu se contenter des séries statistiques existantes. Elle a préféré construire ses propres données en interrogeant près d’un millier d’étudiants et en les suivant sur trois ans. Pas son approche. La thèse de S. Orange va plus loin que la plupart des travaux sociologues en offrant aussi une approche ethnographique de ses étudiants.
Cela lui permet de dessiner le portrait d’un enseignement supérieur dominé. C’est « l’enseignement supérieur des autres ». C’est celui des couches populaires. C’est un enseignement qui aboutit à un diplôme supérieur qui n’est pas reconnu au niveau européen. C’est un enseignement supérieur qui refuse l’autonomie et la théorisation et, par suite, enferme ses étudiants dans des perspectives intellectuelles et sociales étroites. C’est un enseignement qui élève des enfants des couches populaires mais sans leur donner les codes et les compétences pour devenir de vrais cadres. « Si les STS ont participé et continuent de participer à l’insinuation de l’enseignement supérieur en milieu populaire, elles forment des étudiants qui demeurent malgré tout toujours « autres », écrit S. Orange. C’est à ce prix que le « vrai » supérieur peut continuer à ne pas changer. Car si les STS sont accusées de concurrencer voire de contourner l’université, elles ont surtout pour mission d’accueillir ses recalés et de lui éviter une réelle démocratisation…
Qui sont les Ă©tudiants de STS ? Sont-ils les « nouveaux bacheliers » qu’on Ă©voque souvent ? Des « étudiants de second ordre » ? Quelles diffĂ©rences avec les Ă©tudiants d’universitĂ© ?
Les STS accueillent les « nouveaux bacheliers » apparus dans les annĂ©es 1990 avec la seconde massification de l’Ă©ducation. Ce sont des bacheliers technologiques et professionnels essentiellement. Ce sont des filières qui s’adressent aux abstentionnistes de l’enseignement supĂ©rieur. Ce sont des Ă©tudiants qui n’auraient pas poursuivi leurs Ă©tudes en universitĂ©. L’enseignement en STS fait sens pour eux parce que ça correspond Ă ce qu’ils connaissent du lycĂ©e et il se passe souvent dans leur lycĂ©e avec des enseignants qu’ils connaissent. Ce sont principalement des bacheliers d’origine populaire. Si on devait dessiner l’espace de l’enseignement supĂ©rieur suivant la composition scolaire et sociale des publics ils seraient le palier infĂ©rieur.
Comment sont-ils sélectionnés ? Ce sont des filières sélectives ?
C’est paradoxal. Tant dans la façon dont ils sont sĂ©lectionnĂ©s que dans la manière dont ils vivent cela, on peut dire qu’on est dans la continuitĂ©. Il n’y a pas de rupture avec le lycĂ©e. Parfois le dossier de candidature est une pure formalitĂ© et les enseignants prĂ©sentent le moment du choix comme très peu exceptionnel.
Il y a pourtant des critères de sélection ?
Il m’a Ă©tĂ© donnĂ© d’assister Ă des comitĂ©s de sĂ©lection. Les enseignants qui sĂ©lectionnent sont conscients de la position du BTS dans le système de l’enseignement supĂ©rieur. Ils ont conscience qu’ils n’auront pas les candidats les meilleurs. Aussi le critère de choix principal ne sera pas acadĂ©mique mais la proximitĂ© gĂ©ographique. On va retenir les candidats les plus proches gĂ©ographiquement, ceux dont on est sĂ»r qu’ils seront bien prĂ©sents. Par exemple Ă Poitiers on pourra refuser les candidats de La Rochelle parce qu’il y a 3 villes avec des STS entre les deux villes.
La docilité est un critère de sélection ?
Au lieu de choisir les meilleurs scolairement, les enseignants privilĂ©gient les jeunes qu’ils pensent les plus adaptĂ©s Ă la forme scolaire. Par exemple l’absentĂ©isme est rĂ©dhibitoire. En ce sens les STS se distinguent de l’universitĂ©. Comme elles n’auront pas les meilleurs Ă©lèves elles essaient d’avoir ceux qui viennent en cours.
Vous ne partagez pas l’avis selon lequel les STS sont un moyen de contournement du premier cycle universitaire ?
Je ne le partage pas. Le public des STS est le moins disposĂ© Ă appliquer ces stratagèmes et pour une large part n’envisage pas d’Ă©tudes après le BTS. Quand il y a poursuite d’Ă©tude ce n’est pas dans une stratĂ©gie universitaire. Les Ă©tudiants de STS ne vont pas Ă l’universitĂ© oĂą ils ne se sentent pas bienvenus. Ceux qui y vont connaissent souvent la dĂ©gringolade et le système d’Ă©quivalence qui leur accorde des ECTS fonctionne très mal. Avec le mĂŞme BTS, selon les universitĂ©s, les Ă©tudiants se retrouvent en L1 ou L2.
En BTS la formation reçue isole-t-elle les étudiants des autres élèves du supérieur ?
Ces formations sont vraiment Ă part par rapport au reste du supĂ©rieur. Elles ne sont pas constituĂ©es comme les autres. C’est vrai au niveau matĂ©riel : par exemple les BTS sont dans des lycĂ©es. C’est vrai aussi sur les valeurs. Alors qu’Ă l’universitĂ© on valorise l’autonomie , en BTS on n’a pas du tout d’autonomie. Il y a un contrĂ´le Ă©troit des Ă©tudiants. Cela crĂ©e une grande diffĂ©rence entre Ă©tudiants d’universitĂ© et de STS. C’est important car pour que ces Ă©lèves de STS puissent poursuivre des Ă©tudes il faudrait travailler cette compĂ©tence. Or on ne le fait pas. Quand les Ă©tudiants de STS se comparent aux autres Ă©tudiants, par exemple dans une ville universitaire, ils se sentent en position infĂ©rieure. Ils n’ont pas de restau U, pas de bibliothèque, pas mĂŞme de carte d’Ă©tudiant. Ils ont cours tous les jours et au lycĂ©e. Ce genre de comparaison a plutĂ´t des effets nĂ©gatifs. Ce sont les Ă©tudiants des STS de zone rurale, lĂ oĂą ils n’ont de comparaison qu’avec les lycĂ©ens, qui vivent mieux leur statut d’Ă©lève de STS.
En mĂŞme temps leur rapport Ă l’autonomie est ambigu. Ils vivent positivement le manque d’autonomie, ils approuvent le contrĂ´le et l’encadrement. Ils sont disposĂ©s Ă ce contrĂ´le par leur cursus et par leur position sociale. Le problème c’est que pendant ce temps ces dispositions ne leur sont pas transmises. Ils n’ont pas d’apprentissage de l’autonomie en STS. C’est la mĂŞme chose au niveau du volume horaire de cours entre le thĂ©orique et le professionnel. Les Ă©tudiants de BTS ont moins de cours thĂ©oriques. Ce qui n’empĂŞche pas qu’on leur reproche leur manque de culture gĂ©nĂ©rale.
C’est une faiblesse pour leur avenir ?
Pour ceux qui vont entrer dans une autre formation, oui. Quand ils sont confrontĂ©s Ă des Ă©tudiants d’IUT par exemple ils sont en difficultĂ© car leur culture thĂ©orique est moins importante. On le leur fait souvent remarquer dans les formations d’ingĂ©nieur. Les STS ne comblent pas l’Ă©cart avec les autres Ă©tudiants sur les savoirs thĂ©oriques.
Au final, diriez-vous que les BTS sont un outil de promotion ou de relégation sociale ?
C’est compliquĂ© car cela participe des deux. Il ne faut pas voir tout l’un ou tout l’autre. C’est un outil de promotion sociale et scolaire pour toute une partie de bacheliers qui autrement n’auraient pas suivi d’Ă©tudes supĂ©rieures. Avec les STS on a mis le supĂ©rieur Ă la portĂ©e gĂ©ographique et, symbolique de jeunes très Ă©loignĂ©s de l’enseignement supĂ©rieur. C’est très important. Cela permet Ă de nombreux enfants des milieux populaires d’avoir un diplĂ´me du supĂ©rieur.
Mais en mĂŞme temps, cet accès est en trompe l’oeil. Ces jeunes ne sont pas tout Ă fait dans le supĂ©rieur. A l’heure du système LMD, ils ont un diplĂ´me d’un niveau non reconnu par le cadre europĂ©en et les passerelles vers l’enseignement ne sont pas garanties. On a vu ces dernières annĂ©es des rĂ©formes qui vont dans le sens d’une meilleure intĂ©gration des STS dans le supĂ©rieur avec l’idĂ©e de favoriser les passerelles. Mais en fait on favorise bien davantage l’orientation des jeunes en Ă©chec en universitĂ© vers les BTS que dans l’autre sens. Ce sont des passerelles Ă sens unique.
La ministre de l’enseignement supĂ©rieur a annoncĂ© la mise en place de quotas acadĂ©miques rĂ©servĂ©s dans les STS pour les bacheliers technologiques et professionnels. Qu’en pensez-vous ?
Je vois le risque d’une naturalisation des publics spĂ©cifiques de chaque enseignement supĂ©rieur. On dira aux bacheliers technologiques et professionnels d’aller en BTS et aux bacheliers gĂ©nĂ©raux d’aller en universitĂ©. Ca peut aller dans le sens d’une plus grande segmentation des enseignements supĂ©rieurs. Finalement tout se jouera au collège ou au dĂ©but du lycĂ©e et on enfermera les jeunes dans un destin de plus en plus tĂ´t. Je ne suis donc pas favorable Ă ces quotas.
C’est une manière de rĂ©gler la question de l’Ă©chec en universitĂ© Ă faible coĂ»t plutĂ´t que se poser la question de l’intĂ©gration des Ă©tudiants dans le premier cycle universitaire. Avec eux on va vers un enseignement Ă double vitesse.
Propos recueillis par François Jarraud
Sophie Orange, L’autre enseignement supérieur. Les BTS et la gestion des aspirations scolaires, PUF, 2013.
Sommaire
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