Le numérique est-il l’occasion d’une nouvelle pédagogie pour l’école et en particulier pour les ZEP, plutôt qu’un outil attractif et séduisant ? Pour sa 134ème réunion publique, l’Observatoire des Zones prioritaires a convié, mercredi 15 mai 2013, Rémy Thibert, chargé d’étude et de recherche au service Veille et Analyse de l’I.F.E (Institut Français de l’Éducation), à évoquer les usages scolairement efficaces du numérique en classe. Au-delà des problèmes matériels d’équipement, la question se pose en effet des transformations pédagogiques profondes que semble exiger le passage à l’ère des « apprentissages 2.0 ». Cette mutation apparaît comme une chance pour réconcilier avec l’école les élèves les plus en difficulté. Mais n’est-ce pas illusoire ? Comment accomplir la transformation culturelle nécessaire dans la réalité des pratiques de terrain ? La révolution numérique pourrait se révéler non pas tant une nouvelle chance qu’un nouveau défi, pour les ZEP – un défi qu’il vaudrait mieux réussir à relever.
Pas encore d’études de fond sur la question
La question de l’usage du numérique dans les ZEP est un problème délicat, annonce d’emblée Rémy Thibert : aucune littérature de fond n’est encore disponible sur la question. La réflexion devra s’en tenir aux conjectures faites à partir des études générales établies sur la question du numérique à l’école. Premier constat : l’évolution du vocabulaire. On est passé des technologies aux TIC puis aux TICE et maintenant aux pratiques numériques. Loin d’être anodin, ce glissement sémantique souligne l’évolution d’un outil « technologique », cantonné à un enseignement spécialisé, vers des « pratiques » généralisées qui imprègnent toutes les dimensions du champ éducatif. Or les pratiques scolaires réelles se révèlent encore très limitées, en dépit du fort développement de l’usage du numérique dans les pratiques professionnelles des enseignants. Un paradoxe qui explique et relativise le retard français pointé par les enquêtes : le niveau d’équipement est satisfaisant, mais les usages qui sont loin d’être à la hauteur des possibilités offertes. Les pratiques internes à la classe restent déterminées par le rapport traditionnel au savoir et à la transmission.
TIC, TICE et autres usages numériques, inefficaces à l’école ?
Les premières évaluations objectives de l’impact des TIC sur les résultats scolaires dans les premières années de la décennie, ne sont guère probantes, explique Rémy Thibert. Les méta—analyses construites à partir du croisement de différentes études sur un même sujet, afin d’augmenter la quantité de données disponibles, montrent un impact modéré voire inexistant ou négatif sur les résultats scolaires des élèves, mais soulignent en même temps le rôle essentiel des enseignants. Un argument fort en faveur de la formation pédagogique des enseignants, surtout sur les usages collaboratifs et pas seulement bureautiques. Mais ces études peu optimistes sur l’effet des « nouvelles technologies » ont fait l’objet de critiques et de discussions : outre le caractère discutable de leur définition de l’efficacité scolaire, qui isole une unique variable( les TIC) en ignorant toutes celles qui jouent un rôle concomitant sur les résultats quantifiables (comme la réussite aux examens), le problème fondamental n’en demeure pas moins la manière de penser et et d’évaluer ces ressources, selon des modèles antérieurs à leur apparition. Il en va encore trop souvent de même pour la manière d’en user pédagogiquement.
Les freins à l’intégration du numérique en classe
Rémy Thibert souligne quelques-uns des freins majeurs à l’intégration de la culture numérique en classe. Le rythme de l’innovation, tout d’abord : s’investir dans un lourd travail autour d’un équipement dont la limite d’obsolescence est de plus en plus proche (exemple de Twitter) ; le manque de formation initiale et continue des enseignants ; les obstacles matériels concrets dans les établissements (disponibilité du matériel, problèmes de maintenance, de connexion…) ; l’incertitude quant à l’efficacité de l’apport du numérique au regard de l’investissement requis ; la difficulté de renoncer à la relation frontale du cours magistral traditionnel ; l’absence de politiques d’établissement solides et concertées pour guider les équipes ; ces obstacles font pourtant figures de conséquences autant que de causes. Pour insuffler un nouvel élan numérique, encore faudrait-il déterminer en vue de quelle pédagogie abandonner les anciens modèles. Aussi bien pour l’évaluation que pour la conception des objectifs, il faudrait se tourner vers la question des compétences transversales, ce qui supposerait la concertation et l’organisation collective des acteurs de l’enseignement.
Modifier le rapport au savoir
Une évolution culturelle profonde est en effet nécessaire pour changer le rapport au savoir et à l’autorité professorale. Le passage en « mode multitâches », l’apprentissage de démarches de recherches plutôt que de rétention du savoir, l’organisation d’une relation horizontale – qui ne soit pourtant pas destructrice de la structure verticale, permettant à l’élève de donner sens à ses apprentissages, sont autant de critères pour ouvrir l’école aux ressources du numérique. En contrepartie, souligne Rémy Thibert, des risques existent qui ne sont pas négligeables : risque de fossé générationnel, qui semble en passe de se résorber, de fossé social, que compense progressivement la généralisation des équipements, mais aussi de fossé culturel, plus complexe à réduire. La disparité dans les usages privés du numérique (ludique dans les milieux culturels défavorisés, de recherche et de création dans les plus favorisés) alimente les disparités profondes auxquelles l’école doit s’efforcer de remédier.
Pour Rémy Thibert, les progrès dans ce domaine demanderaient essentiellement des réponses institutionnelles : formation des enseignants, d’abord, mais aussi construction de projets collectifs. Rien n’est possible sans une appréhension collective des situations et des difficultés, sans un travail de leadership et un management d’accompagnement. Le rapport Barrette (Canada, 2009) souligne que les conditions optimales d’efficacité sont réunies quand les approches sont appropriées au programme d’études. Projet d’établissements et Conseils pédagogiques pourraient constituer les supports institutionnels d’un travail commun d’adaptation et de mise en adéquation.
Jeanne-Claire Fumet
A consulter sur le site de l’IFE : Pédagogie +numérique = apprentissages 2.0, par Rémy Thibert (Dossier d’actualité n°79 , novembre 2012).