Alors que Vincent Peillon entend donner un nouveau souffle à la compagne du lutte contre l’homophobie à l’école, initié par son prédécesseur, Luc Chatel, en 2010, peut-on noter une évolution dans les comportements ? Pour Gary Roustan, responsable éducation de l’association Mag-Jeunes-LGBT il n’y a pas de changement notable dans les faits : en 40 interventions au long de l’année scolaire, il a rencontré chez les élèves de collèges et de lycées les mêmes réticences, la même ignorance et le même embarras qu’auparavant. Mais pas davantage, curieusement, du fait de la polémique sur le mariage pour tous, qui semble laisser le public scolaire assez indifférent. Un bon signe, estime Gary Roustan, qui indique qu’à terme, l’obtention d’un statut juridique égal devrait normaliser la situation et favoriser le recul de l’homophobie ordinaire.
Mag-Jeunes LGTB, une association Loi 1901 fondée en 1985, réalise depuis 10 ans des interventions bénévoles et gratuites, sur demande, dans les établissements scolaires de Paris et de la banlieue. Constituée d’intervenants jeunes (moins de 30 ans) et réservée aux moins de 26 ans, l’association s’efforce d’apporter soutien et conseils à des adolescents qui découvrent leur orientation sexuelle à un âge où les repères vacillent. L’homophobie ordinaire, dans la famille, à l’école ou au travail, devient une redoutable épreuve quand il s’agit à la fois de se reconnaître et de se « faire accepter » dans une identité que l’environnement social « tolère » en détournant les yeux. Libérer la parole, favoriser la discussion et les échanges de témoignages, les bénévoles de Mag-Jeunes s’y emploient par des permanences d’accueil (vendredi et samedi soir), mais aussi des activités de loisirs, des actions de prévention, de communication publique ou d’interventions en milieu scolaire.
Peurs et tabous : des chiffres éloquents
Le bilan de l’action en milieu scolaire pour 2012 est édifiant : la moitié des élèves affirme ne pas connaître de personnes homosexuelles (68% pour les garçons), et 58 % n’ont jamais abordé le sujet de l’homosexualité en famille (70% pour les garçons). Dans chaque cas, les réactions de rejet sont en proportion inversée : 36 % de réaction négatives à l’idée de rencontrer une personne homosexuelle pour les élèves qui n’en connaissent pas (contre 10% pour ceux qui en connaissent) et 30% de réactions hostiles (contre 8%) pour ceux qui n’en parlent jamais en famille. Si la moitié des jeunes garderaient leur amitié à leur(e) meilleur(e) ami(e) en découvrant son homosexualité (mais 38% chez les garçons), le taux tomberait à 38% pour ceux qui ne connaissent pas de personnes homosexuelles et s’élèverait à 68% pour ceux qui en connaissent. Méconnaissance, sexisme et peur des minorités, les ingrédients classiques de l’ostracisme sont sans là sans surprise.
Quelques actions simples
A cela, il serait possible de répondre par des actions relativement simples, selon le rapport de l’association Mag-Jeunes LGTB : d’abord, mieux informer les élèves sur leur orientation sexuelle ou leur identité de genre : la « Ligne Azur », par exemple, d’écoute anonyme par des psychologues, est très peu affichée dans les établissements scolaires. La prise en compte de la diversité des situations sexuelles dans les manuels scolaires, en SVT, mais aussi en ECJS, en histoire, en littérature ou dans les énoncés courants des autres disciplines, est quasi inexistante ou très dissimulée. La lutte contre le sexisme, avec les répartitions traditionnelles sexuées des rôles, des activités ou des loisirs, peut aussi contribuer à dépasser certains clichés homophobes. Enfin la sanction disciplinaire des insultes ou des agressions sexistes ou homophobes, clairement affichée dans le règlement intérieur, serait un moyen efficace d’en montrer le caractère inacceptable.
Des mesures peu coûteuses et relativement faciles à mettre en place, mais qui demandent une vraie adhésion de la part de tous les acteurs de l’école, au-delà des réticences encore présentes – ce que l’association attend et espère du Ministère de Vincent Peillon.
Entretien avec Gary Roustan.
« Des mots parfois très durs… »
Les demandes d’intervention ont-elles augmenté, ces derniers temps, de la part des chefs d’établissement ?
Non, la demande est toujours la même. On est intervenu davantage cette année, mais auprès de lycées où on s’était déjà rendu. Dans le 93, par exemple, il y a un lycée où nous allons régulièrement depuis depuis 9 ans ; d’autres nous recontactent, parfois, après un ou deux ans, ou pour des problèmes précis : des actes d’homophobie, des insultes, un élève pour qui ça ne se passe pas bien… L’intervention dure 2 h par classe. On présente d’abord une vidéo de témoignages de jeunes de notre association, qui racontent comment ils se sont rendus compte de leur homosexualité, comment s’est passé leur coming out avec leurs parents, quelle est leur vision de l’avenir, de la communauté… Cela permet d’aborder tous les thèmes, même ceux dont on n’a pas l’occasion de parler ensuite, pendant la discussion.
Quel genre d’informations donnez-vous ?
On explique déjà en quoi consiste l’orientation sexuelle. On évoque aussi la différence entre l’homophobie, qui est une idéologie, et la discrimination, qui recouvre des actes juridiquement définis et sanctionnés. On parle des droits des homosexuels dans notre pays et ailleurs dans le monde : 78 pays condamnent juridiquement l’homosexualité, et certains renforcent encore leurs mesures juridiques. Certains élèves réagissent en se disant homophobes et fiers de l’être, ils estiment normal qu’on tue les homosexuels dans certains pays et le disent, sans se rendre compte de qui ils ont en face d’eux. On reçoit parfois des mots très durs. On a déjà entendu « les pédés au bûcher » pendant une intervention. C’est une difficulté supplémentaire, pour nous, par rapport à d’autres associations qui interviennent sur des problèmes comme le racisme, par exemple. En général, les intervenants ne sont pas directement agressés, parce que c’est entré dans les mentalités.
« Nous ne sommes pas là pour les convaincre, mais pour les faire réfléchir »
Ce genre de réaction se retrouve dans tous les établissements ?
Un peu partout, mais il ne faut pas croire que c’est pire en banlieue qu’à Paris ! Dans un établissement de Montgeron, dans le 91, sur 22 classes de Seconde, 19 se sont montrées ouvertes et respectueuses . C’est parfois bien plus difficile à Paris. Dans les Lycées professionnels, l’accueil est souvent plus fermé, plus réticent. Dernièrement, un élève qui s’était montré assez hostile est resté nous parler à la fin : il avait souvent été moqué à cause de sa gestuelle, de son allure, nous a-t-il dit.
Avez-vous le sentiment d’atteindre les élèves, de les faire évoluer ?
Nous distribuons un questionnaire avant et après l’intervention. Il en ressort que les élèves se disent plus tolérants après la séance. Il y a beaucoup de fantasmes : c’est parfois la première fois qu’ils parlent librement de ce sujet, et avec des homosexuels, même si tous nos intervenants ne le sont pas. Mais nous ne sommes pas là pour les convaincre, seulement pour les faire réfléchir. Il arrive que certains viennent nous voir à l’association, ensuite, d’autres envoient un mail pour nous remercier, d’autres font leur coming out en pleine intervention ! C’est délicat, parce que notre présence les rassure mais après, ils se retrouvent tout seul. Mais nous n’avons pas de témoignages qu’il y ait eu des problèmes après. Nous intervenons dans des classes très différentes, de 4ème à Terminale, Bac Pro et SEGPA. En SEGPA, la discussion est plus compliquée, on rencontre des problèmes de vocabulaire : le mot hétérosexuel, par exemple, ne leur est pas connu. Mais ce sont des interventions vraiment intéressantes à mener.
« Beaucoup de jeunes sont sortis du placard, ils n’y rentreront pas. »
Avez-vous remarqué chez les élèves un écho de la polémique sur le mariage pour tous ?
Non, ils sont assez imperméables dans l’ensemble à l’endoctrinement, ça ne les intéresse pas. Ils ont beaucoup de questions sur le mariage et sur l’homoparentalité, mais pas plus en ce moment qu’avant. Ce qui les inquiète, surtout, c’est la situation des enfants : ils pensent souvent que ce n’est pas bien pour les enfants d’avoir des parents homosexuels, surtout à cause des moqueries à l’école… On fait la comparaison avec les enfants de divorcés dans les années 70 : on leur montre que ce sont peut-être les regards qui doivent changer.
Mais l’adoption d’un statut égalitaire pour tous les couples ne peut que faire évoluer les choses dans le bon sens dans le futur. Le mouvement d’opposition semble s’estomper, même si ceux qui continuent sont de plus en plus violents. C’est vrai qu’il y a une mauvaise ambiance en ce moment, un climat de peur et d’insécurité. Mais on n’a pas plus de signalements de violences. Ce qui est inquiétant, c’est la radicalité des manifestants.
Je n’avais encore jamais manifesté aucun signe extérieur de mon homosexualité. Maintenant, je porte un badge de l’association, pour que des jeunes que je croise, dans la rue, dans le métro, puissent voir que ce n’est pas une honte et qu’on est là. Beaucoup de jeunes sont sortis du placard, ils n’y rentreront pas.
Que peut-on faire au niveau de l’Éducation Nationale pour faire avancer les choses ?
Le rapport de Michel Teychenné devrait proposer des réponses et le gouvernement a l’air vraiment soucieux d’agir contre l’homophobie et la transphobie. Ce qui importe, c’est surtout la prévention. Et puis des choses simples, comme prévoir la sanction des injures homophobes, par exemple, faciliter l’intervention des associations extérieures dans les établissements, ou encore diversifier les modèles dans les manuels scolaires ; parler aussi des événements de l’histoire, comme la déportation des homosexuels pendant la guerre ou les émeutes de Stonewall à New York, en 1969. Et puis, je l’ai évoqué dans la partie scolaire du rapport SOS Homophobie 2012 : les élèves se plaignent d’une passivité des adultes face aux injures et aux gestes homophobes qu’ils subissent de la part de leurs camarades. Les adultes voient ce qui se passe mais sont parfois gênés et n’interviennent pas. Récemment, un chef d’établissement qui nous accueillait pour une intervention, nous a dit qu’il considérait l’homosexualité comme un handicap… même sil était favorable au mariage et à la parentalité. Auprès des adultes aussi, il y a encore beaucoup à faire.
Propos recueillis par Jeanne-Claire Fumet
MAG – Jeunes Gais, Lesbiennes, Bi et Trans. – 106, rue de Montreuil – 75011 Paris – France.
Permanences les vendredis de 18h à 22h et les samedis de 16h à 21h.
Le rapport SOS Homophobie 2012 (rapport 2013 en ligne fin mai)