De toutes les expériences d’intégration profonde des TICE dans l’enseignement, celle du département des Landes est la plus ancienne et la plus exemplaire. Depuis 2001 le conseil général prête aux collégiens et professeurs des ordinateurs portables avec un accompagnement technique sur le terrain. Douze ans plus tard le bilan dressé par un rapport de l’Inspection générale est nuancé. Oui cette politique volontariste a changé quelques pratiques pédagogiques dans quelques disciplines et a le soutien des élèves et de leurs parents. Non elle n’a pas suffi à faire évoluer massivement les pratiques pédagogiques et a faire progresser le niveau des élèves. Il ne suffit pas de mettre à portée de main du matériel pour que l’Ecole change. Il faut aussi qu’elle veuille changer…
Le rapport des inspecteurs généraux Jean-Louis Durpaire, Didier Jouault, Annie Lhérété et Michel Pérez a beau parler de « réussite » à propos de l’expérience des Landes il dresse un tableau qui, pour incomplet qu’il soit, signe aussi les limites de l’action volontariste d’une collectivité locale. Compte tenu du caractère exemplaire de l’expérience landaise, il fait date et devrait avoir des retombées sur les projets des départements et des régions.
Une expérience exemplaire
C’est que les Landes est un cas exceptionnel d’engagement constant et profond d’une collectivité territoriale pour l’intégration des TIC dans l’enseignement. Dès 2001, le conseil général a expérimenté la distribution d’ordinateurs portables à des collégiens. En 2002, celle-ci est généralisée à tous les élèves de troisième du département. 4 200 portables sont distribués à la rentrée 2002. Les éditeurs sont mis en demeure de publier les premiers manuels numériques qui sont disponibles début 2003. Ils seront suivis de nombreux autres logiciels installés sur les ordinateurs. En 2004 le département organise le premier colloque sur sa politique TICE en partenariat avec Le Café pédagogique et Education et territoires. 2004 c’est aussi l’année de la généralisation des portables en 4ème. En même temps tous les enseignants des collèges départementaux, qu’ils enseignent en 4ème et 3ème ou pas, reçoivent eux aussi un portable (1 200 postes). Le département gère alors un parc de près de 10 000 portables et déploie du personnel dans les collèges. En 2009 toutes les salles de classe sont équipées d’un TBI. Au total, le département aura dépensé en 12 ans plus de 50 millions d’euros pour sa politique TICE. Exemplaire , l’expérience landaise sera copiée dans les Bouches du Rhône et dans d’autres départements, les derniers étant la Corrèze chère à F. Hollande et le Val-de-Marne.
Quels résultats ?
« L’opération « Un collégien, un ordinateur portable » est indéniablement une réussite. Installée dans la durée par le conseil général, elle donne aujourd’hui des résultats en termes de densité d’usages qui ne sont atteints dans aucun autre département en France. La mission d’inspection générale a certes constaté des niveaux d’usage très variés d’un collège à l’autre, mais, globalement, l’image qui ressort est très positive ». Le rapport de l’Inspection générale se clôt sur cette appréciation très positive.
Mais sa lecture attentive donne une image moins flatteuse. Globalement les résultats des élèves (passage de 3ème en 2de, redoublements) n’ont pas progressé. » Il n’est pas possible d’établir un lien, ici comme ailleurs, entre équipement des collèges en outils et contenus numériques, d’une part, et performance des élèves », affirme le rapport.
Les usages en classe sont très variables mais globalement en dessous des espoirs. Le constat le plus affligeant est sans doute en ce qui concerne l’éducation à l’information. « L’éducation à l’information reste marginale… Elle est le plus souvent réduite à des démarches de sensibilisation aux risques d’Internet, essentiellement à l’initiative des équipes vie scolaire, en coordination avec les équipes de direction », écrivent les rapporteurs. Dans de nombreux établissements l’ordinateur est perçu comme un danger et ses usages et l’accès à Internet (dans tous les collèges que depuis 2007) sont extrêmement surveillés.
Dans quelques disciplines l’arrivée des ordinateurs a eu un impact massif sur les pratiques des enseignants. C’est le cas dans les langues vivantes, particulièrement en espagnol, où la baladodiffusion s’appuie sur les portables. C’est aussi vrai pour les arts plastiques et l’éducation musicale. C’est aussi le cas en maths où les logiciels de géométrie sont très utilisés. En technologie, la présence des ordinateurs a fait évoluer le regard porté sur la discipline et les enseignants ont développé des stratégies pédagogiques qui tirent profit du matériel. Dans ces disciplines l’action du conseil général a été payante.
Dans les autres disciplines le bilan est mitigé. En histoire-géographie, » le cours repose souvent sur l’usage du TBI par le professeur, associé à la recherche d’informations par les élèves sur leur manuel numérique ou sur une encyclopédie installée dans les ordinateurs ». En sciences les usages sont très inégaux. En documentation, » si l’on portait un jugement sur les CDI sur la base de leur fréquentation par les élèves lors des visites de la mission, le bilan serait décourageant. Nombre d’entre eux semblent repliés sur les niveaux de sixième et de cinquième. Dans quelques collèges, des élèves ont d’ailleurs dit leur total désintérêt pour ce lieu où « tout est interdit, surveillé » ».
Pas de révolution pédagogique à l’Ecole
« Au départ, l’individualisation des activités était évidente et apparaissait comme l’un des atouts majeurs de l’ordinateur portable ; elle a pourtant rarement été utilisée à des fins de remédiation pédagogique », note le rapport. L’objectif d’améliorer les résultats des élèves avec un outil informatique qui s’adapterait à chacun n’est pas atteint.
Les usages en classe sont en dessous des espoirs et des attentes. On assiste même à des résistances come si l’ordinateur était perçu comme un concurrent. Ainsi en français, » l’usage de l’ordinateur portable des élèves soulève de larges débats ». Le rapport explicite ce rapport ambivalent à propos de la lecture. » Les professeurs mènent une réflexion intéressante sur l’usage de l’ordinateur comme support de lecture d’où une certaine réticence à l’usage des manuels de littérature numériques qui ne sont d’ailleurs pas présents sur les ordinateurs. Ils distinguent clairement la lecture pour chercher une information (possible sur écran) et la lecture-immersion dans une oeuvre qui serait mal servie par l’écran. S’ils encouragent la première (surtout à la maison), ils utilisent relativement peu l’ordinateur personnel des élèves pour la seconde ».
Mais une révolution hors l’Ecole
Les vrais changements ont lieu hors des collèges. Les enseignants ont totalement intégré l’ordinateur dans leur travail de préparation des cours. Les collégiens sont très satisfaits d’avoir un ordinateur portable. Certains se sont faits scolariser dans les Landes pour en bénéficier. Ils l’utilisent massivement pour le travail scolaire et assez peu pour le ludique (même si c’est techniquement prévu sur les machines). Le ludique passe plutôt sur leur ordinateur fixe à la maison. Le portable est donc bien perçu par eux comme un support d’enseignement/. Les élèves aimeraient qu’il soit davantage utilisé en classe. Le rapport souligne la dextérité avec laquelle les collégiens tapent leurs textes et utilisent l’ordinateur.
L’institution en accusation
L’Inspection générale n’hésite pas à dénoncer l’ambiance policière qui règne dans de nombreux collèges dans les équipes de vie scolaire. « Nous faisons des patrouilles imprévues dans les salles d’autonomie, cela les empêche de dériver » affirme un CPE. Le rapport parle « d’hyper surveillance » et d’une utilisation exagérée du logiciel permettant de surveiller les ordinateurs créant « un climat de suspicion peu propice à une activité intellectuelle ou au développement d’un climat confiant ».
Le rapport est beaucoup moins prolixe sur l’absence d’accompagnement du projet territorial par l’institution scolaire. L’initiative des Landes a été très peu soutenue par l’académie qui a volontiers laissé le conseil général se débrouiller. Elle n’a en rien légitimé l’action du conseil général. Le résultat se lit par exemple dans les documents les plus officiels par exemple les projets d’établissement où le numérique est généralement absent. Peu d’inspecteurs ont pris le parti d’utiliser cette opportunité. Et ce frein institutionnel a été clairement perçu par les enseignants qui se gardent bien de proposer une séquence avec utilisation des TICE lors des inspections. Entre Mont-de-Marsan et Bordeaux c’est une guerre non déclarée qui se déroule. L’expérience du conseil général a donc été taxée d’illégitimité dès le départ ce qui n’est pas un mince frein.
Quels enseignements ?
Finalement le grand enseignement de l’expérience landaise c’est qu’on ne peut pas changer l’Ecole par un simple apport de matériel numérique même quand les problèmes de maintenance sont gérés. La « révolution numérique » pose déjà un problème de gouvernance. Tant que deux autorités se partageront le pouvoir sur les établissements (financier et matériel pour l’un, administratif et pédagogique pour l’autre) rien d’important ne bougera.
L’autre enseignement c’est que tout bouge quand même mais en dessous. Dans la vraie vie des enseignants, dans celle des élèves, dans celle aussi des parents. Cet effet est bien réel y compris dans les apprentissages scolaires. Mais comme la norme scolaire ne change pas et que le numérique ne la travaille pas en terme de résultats scolaires l’impact est faible en dehors du rapport à l’Ecole. On ne fera pas la révolution numérique en douce. IL faudra bien à un moment aborder les questions de gouvernance et de pédagogie de façon ouverte.
François Jarraud
Dans le Café